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Lorsqu’elle fut rentrée à l’Impérial-Hôtel, elle eut, dans sa chambre, une crise de désespoir et de rage qui, près d’une heure, la tint rugissante sur le lit où elle s’était jetée, mordant l’oreiller pour étouffer ses cris.

Enfin, elle se calma peu à peu, remit de l’ordre dans sa toilette, rafraîchit son front brûlant et ses yeux rouges de larmes, et elle passa dans le petit salon qui faisait partie de l’appartement loué par elle. La Veuve était là.

Adeline lui montra un visage impassible.

– Votre Finot est un maître homme, dit-elle. Il a dit la vérité…

– Ainsi, c’est vrai? Vous les avez vus?…

– Au théâtre que Finot nous a indiqué dans la soirée.

– Ah!… Et il ne s’est rien passé?…

– Rien! fit Adeline d’un ton bref. Rien, sinon que je ne voudrais pas, pour la vie, recommencer une pareille épreuve, et que si je me retrouvais prés d’eux, comme ce soir, si je les voyais comme je les ai vus, serrés, laissant éclater leur amour et leur bonheur, je ne sais si je pourrais supporter une fois encore une pareille damnation!…

Il y eut entre les deux femmes un silence funèbre.

– Et Finot? reprit La Veuve.

– Il ne les quitte pas. Demain matin, il sera ici pour faire son rapport. Demain matin, nous verrons donc à prendre une décision… En attendant, ne nous séparons pas. Je vais vous faire arranger un lit pliant dans ce salon. Jusqu’à ce que tout soit réglé, demeurons ensemble. Est-ce votre avis?

– J’allais vous le proposer, dit La Veuve de sa voix morne, emplie de sourdes menaces.

LXI LE PÈRE ET LE FILS

Jean Nib avait visité tous les bouges où il avait quelques chances de rencontrer Biribi. Pendant des jours, il avait battu le pavé. Mais toutes ses recherches étaient demeurées vaines. Le désespoir s’emparait de lui. S’il ne retrouvait ni Biribi ni La Veuve, Rose-de-Corail était perdue pour lui.

Qu’en avait fait le bandit?…

Des jours se passèrent.

Jean Nib se sentait mourir.

Deux ou trois fois, il vint en plein jour jusqu’à l’hôtel d’Anguerrand, résolu à voir le baron, celui qui devait être son père.

Mais, à chaque fois, au moment de sonner, il fit demi-tour, et s’en alla en murmurant:

– C’est pas vrai. Tout ça, c’est comme qui dirait un rêve… J’me rappellerais, d’abord, si c’était vrai! J’me rappelle rien du tout. Donc, c’est pas vrai. Faut être maboul pour se fourrer des idées pareilles dans l’ciboulot…

Ainsi, Jean Nib ne songeait pas à profiter de la situation!

L’idée ne lui venait pas que, même si ce n’était pas vrai, il pouvait persuader le baron d’Anguerrand qu’il était son fils!…

Un mois auparavant, cette idée lui fût certainement venue…

Peut-être était-il trop absorbé par sa douleur. Peut-être ni richesse ni rien au monde de ce qu’il avait rêvé jadis, ne pouvait-il l’intéresser, maintenant qu’il n’avait plus Rose-de-Corail pour en jouir avec lui…

Un soir, affreusement triste et las, il se dirigea machinalement vers le centre de Paris.

Une fois dans la région des Halles, Jean Nib franchit la Seine, continua à marcher, et finalement se trouva devant l’hôtel d’Anguerrand sans l’avoir positivement voulu.

– Tiens! qu’est-ce que je fais ici, moi?

Il demeura longtemps songeur devant le grand portail.

Quelques minutes plus tard, avec cette habileté et cette rapidité d’action qui lui étaient familières, Jean Nib se trouvait dans l’intérieur, et, après une demi-heure de travail, ouvrait la porte du perron.

Tout était silencieux dans l’hôtel. Jean Nib se conduisait dans les ténèbres avec la même aisance que s’il eût tenu une lumière à la main.

Il parvint ainsi dans ce vaste salon où il s’était trouvé la première fois qu’il était venu.

Car, tout naturellement, il suivait exactement les chemins qu’il avait déjà parcourus et qui, par conséquent, lui étaient familiers.

Là, il s’arrêta un long moment.

Il lui parut évident que l’hôtel était désert.

En effet, dans cette nuit où il avait vu sur la table d’un cabinet les deux larges enveloppes étalées parmi d’autres paperasses, il avait visité l’hôtel sans trouver âme qui vive.

Il en conclut assez naturellement que le baron d’Anguerrand venait tous les jours dans l’hôtel, puisque les papiers eux-mêmes le prouvaient, mais que, tous les soirs, il devait s’en aller après avoir tout soigneusement refermé.

Quant à l’explication de ce départ quotidien, Jean Nib la voyait dans ce fait que le baron ne devait pas se croire en sûreté dans l’hôtel et qu’il avait quelque retraite éloignée où il passait les nuits.

Après avoir longuement écouté le silence, Jean Nib, ne percevant pas le moindre bruit, cessa de prendre toute précaution, et tourna un commutateur. Les ampoules électriques d’une applique s’allumèrent.

Jean Nib regarda autour de lui.

Et, comme dans la nuit terrible où il était venu pour tuer, ses yeux se fixèrent sur un immense portrait représentant une jeune femme…

Le portrait de la baronne d’Anguerrand, morte au château de Segré…

Jean Nib se rapprocha de ce portrait.

– C’est drôle, songea-t-il en le contemplant avec une sorte de frémissement, la première fois que je suis venu, mes yeux sont tombés sur les yeux de cette femme. Ce n’est qu’un portrait, ce n’est qu’une toile peinte… et pourtant ces yeux-là m’ont parlé… Je me souviens de la terreur que j’ai éprouvée sur le premier moment… j’ai cru que quelqu’un était là, et que ce quelqu’un me regardait… Et, quand j’ai vu que c’était seulement un portrait, même alors, je n’ai pas été rassuré… j’ai eu peur! Peur de quoi? Je n’ai jamais su… mais peur de quelque chose, puisque je n’ai pas osé frapper! puisque le baron et sa fille sont vivants grâce à cette peur que j’ai eue!… Ces yeux! oh! ces yeux du portrait…il me semblait que je les reconnaissais…

Jean Nib, à ce mot qui éclairait pour ainsi dire l’obscurité de ses pensées, tressaillit violemment.

– Je les reconnais! murmura-t-il avec une angoisse qui lui étreignait le cœur. Oh! mais c’est donc que je les avais connus!… Où ça?… Et comment?… Et quand?…

Puis, presque à haute voix, il songea:

– Ils disent que je m’appelle Edmond!… que je suis le fils du baron d’Anguerrand!… Edmond!… Barrot… la forêt… la Loire…

À ce moment, une porte du salon s’ouvrit doucement.

Un homme parut et s’arrêta.

Cet homme, c’était le baron Hubert d’Anguerrand…

Jean Nib, les yeux fixés sur le portrait, n’entendit pas que la porte venait de s’ouvrir. Il n’entendit pas qu’on la refermait doucement d’un tour de clef… il n’entendit rien, il ne vit rien que le portrait où souriait la jeune femme dans son élégante et harmonieuse toilette de soirée, d’un sourire un peu triste, comme si les fleurs qu’elle tenait à la main eussent été des fleurs du chagrin…