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– Merci, monsieur le commissaire, dit Finot, qui s’inclinait humblement, mais se demanda aussitôt pour quelle vraie raison M. Lambourne ne voulait pas faire de rapport.

Le commissaire présenta ses excuses au baron, et toute la bande sortit du salon, puis de l’hôtel.

Dehors, M. Lambourne crut de son devoir de consoler Finot.

– Eh bien! non, mille fois non, grogna l’agent en serrant les poings, je ne me suis pas trompé. J’ai vu. Et si vous voulez que je vous dise mon sentiment, monsieur le commissaire…

– Dites toujours, mon brave…

– Eh bien! là-haut, quand nous avons enfoncé la porte, je pensais que Jean Nib avait dû fuir pendant ce temps…

Finot s’arrêta, hésitant.

– Et maintenant, dit M. Lambourne, que pensez-vous?…

– Je pense, reprit Finot, je pense que l’attitude de celui que vous appelez le baron m’a fait changer d’idée. Je pense qu’il est toujours dans l’hôtel. Je pense que je vais m’installer ici et que je n’en bouge pas de toute la nuit! Voilà ce que je pense, monsieur le commissaire!

M. Lambourne haussa les épaules, et se retira en se disant que la réputation de fin limier de l’agent Finot était très surfaite. À la seule idée qu’il pût y avoir une accointance quelconque entre un escarpe comme Jean Nib et une aussi honorable, aussi respectueuse personnalité que le baron d’Anguerrand, il éclata de rire. Il partit donc, emmenant ses hommes, tandis que Finot songeait dans l’amertume de son âme:

– Quels idiots! Je veux amener Charlot au chef de la Sûreté, et il me rit au nez. Je veux arrêter Jean Nib, et c’est le commissaire qui me rit au nez!… Les deux plus terribles bandits de Paris!… Quelle revanche de les pincer tous les deux, et de rire un peu à mon tour!…

Finot fit comme il avait dit: il passa la nuit en faction devant l’hôtel d’Anguerrand, et ne regagna son logis qu’au grand jour… Il n’avait vu sortir personne.

– Eh bien! se dit-il, c’est que Jean Nib est resté. Il n’y a pas d’issue par où il eût pu filer. S’il est resté, c’est qu’il est bien de la maison. S’il est bien de la maison, je l’y retrouverai, soit qu’il s’y installe, soit qu’il y revienne. Dans tous les cas, je fais surveiller l’hôtel. J’y perdrai la tête, ou j’arrêterai Jean Nib. Et tout me dit que je l’arrêterai dans l’hôtel d’Anguerrand – peut-être en même temps que Charlot! Coup double!…

Tandis que le commissaire emmenait sa troupe, tandis que Finot prenait ses dispositions pour passer le reste de la nuit en surveillance devant l’hôtel, le baron d’Anguerrand était demeuré seul dans le salon. Lorsqu’il n’entendit plus de bruit, il descendit, s’assura que les portes étaient solidement fermées; puis, étant remonté, il éteignit les lumières.

Longtemps encore, il écouta.

Ensuite, une lanterne à la main, il visita l’hôtel du haut en bas, avec la crainte vague que l’un des agents ne fût tapi dans quelque coin.

Certain d’être seul, il se dirigea vers le couloir retiré au fond duquel se dissimulait une porte derrière des tentures; c’était là qu’il avait enfermé Adeline, et c’était là qu’Adeline elle-même avait séquestré Lise.

Le baron ouvrit la porte, et dit doucement:

– Vous pouvez venir, maintenant; ils sont partis.

– Un mot seulement, dit Jean Nib en s’avançant. Avez-vous pu savoir quel est le nom de l’homme qui conduisait les agents?…

– Sans doute: c’est M. Lambourne, le commissaire du quartier.

– J’aurais parié ma tête que c’était Finot, gronda Jean Nib en lui-même. C’est pourtant bien sa voix que j’ai reconnue. Ce roussin-là veut ma peau… Peut-être que c’est moi qu’aurai la sienne…

– Venez, reprit le baron. Vous alliez me parler, me dire quelque chose lorsque ces hommes sont arrivés…

– Oui, j’ai quelque chose à vous dire, fit Jean Nib avec un accent étrange d’où toute émotion avait disparu… Allons.

Chose singulière, ce fut Jean Nib qui marcha le premier. C’est lui qui semblait conduire le baron d’Anguerrand. C’était l’escarpe qui précédait le maître du logis et, pour ainsi dire, lui faisait les honneurs de la maison. Hubert éprouvait cet étonnement qui précède les grandes secousses de l’esprit. Il suivait Jean Nib sans pouvoir détacher les yeux de sa haute stature, et la décision, l’attitude de l’homme redoublaient son étonnement.

Jean Nib parvint jusqu’au grand salon dont Finot avait fait défoncer la porte. Le baron vit que l’escarpe avait pris place dans un fauteuil, non loin du portrait de la baronne. Hubert ne fit aucune observation et s’assit lui-même en face de Jean Nib. L’idée ne lui vint pas que peut-être il avait affaire à un fou. Une curiosité suraiguë s’était emparée de lui.

– Je vous écoute, dit-il.

– Monsieur, dit Jean Nib, après quelques minutes de silence où il parut se recueillir, je vais vous dire qui je suis et ce que je suis; après cela, je vous dirai ce que je venais faire ici ce soir… Avez-vous gardé un souvenir bien exact de notre première entrevue? Me reconnaissez-vous bien?

– Parfaitement. Un soir que je m’étais endormi dans le cabinet d’où nous sortons, un bruit, un souffle plutôt m’a réveillé tout à coup, et j’ai vu un homme, le couteau à la main, prêt à m’assassiner. Cet homme, c’était vous. Vous voyez que je vous reconnais et que je me souviens.

Un frémissement, parcourut l’escarpe. Sa rude physionomie se troubla. Un instant ses yeux se voilèrent. Mais presque aussitôt il reprit cette fermeté qui donnait au baron l’illusion de se trouver dans une situation exceptionnelle et devant un homme intimement mêlé à sa destinée.

– C’est bien cela, dit Jean Nib, en hochant la tête. Je ne vous ai pas tué, monsieur, mais je dois vous dire j’étais venu pour vous tuer, vous et votre fille… Ne vous alarmez pas… je parle parce que c’est nécessaire.

– Je n’ai pas peur, dit rudement le baron. Est-ce qu’on a peur d’un escarpe?

Ces paroles ne lui furent pas plutôt échappées qu’il les regretta. Jean Nib avait frissonné et baissé la tête. Mais bientôt, cette tête, il la releva, flamboyante, sur le baron.

– Escarpe? Oui, c’est le mot… Je continue donc. Je me suis saisi de vous ainsi que de votre fille. Et tous deux vous avez été séquestrés, deuxième crime… À la masure du Champ-Marie, je me suis trouvé en présence de votre fils Gérard, et vous avez vu que je l’ai frappé, lui. Troisième crime… Laissez-moi parler: je vous dis que c’est nécessaire, et vous pouvez croire que j’aimerais mieux me taire… Ce n’est pas tout: il y a une chose que vous ignorez. Un soir que j’avais pu pleurer celle que j’aime, je me suis rappelé toutes les richesses accumulées ici, et je suis venu pour voler. Je n’ai rien emporté, pourtant; c’est que j’ai vu sur la table de votre cabinet deux enveloppes, l’une destinée à votre fille Valentine, l’autre… à votre fils Edmond.

En prononçant ce mot, Jean Nib jeta un ardent regard sur le baron.

Celui-ci soupira; une larme pointa à ses yeux.

L’escarpe nota ce soupir et cette larme.

– Alors, continua-t-il, j’ai pensé qu’un jour ou l’autre, je pourrais faire ici un coup qui pour toujours m’enrichirait. Il s’agissait de plusieurs millions… Et, pour ne pas donner l’éveil, je me suis retiré sans rien prendre. Mais le crime n’en existe pas moins. Ça fait quatre…