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* * *

Lorsque Marie Charmant se retrouva seule après qu’Anatole Ségalens eut balbutié un rapide remerciement et regagné le palier, elle demeura quelques minutes rêveuse…

– Aimer!… murmura-t-elle tout bas. Ce serait pourtant si doux!… Je suis seule dans la vie! Je ne me connais ni amis ni parents, et parfois, moi aussi, je me prends à rêver d’un joli intérieur où nous serions deux… Hélas! qui voudrait d’une fille si pauvre? une malheureuse bouquetière de la rue… qui voudrait en faire sa femme?… Ce jeune homme a sur le visage un air de loyauté qui est comme une lumière…

Elle s’assit, caressant distraitement le chat Titype, les yeux perdus dans le vague.

Il est aussi pauvre que moi, ajouta-t-elle plus bas.

Soudain, elle pâlit.

– Pauvre?… Et qui me le prouve?… qui me dit que ce n’est pas une frime pour m’enjôler, et que son histoire de me demander l’aumône d’une fleur n’est pas une comédie?…

À ce moment, de l’étage inférieur, en même temps que le ronron d’une machine à coudre, monta une voix jeune, fraîche et pure qui chantait:

Ô Magali, ma bien-aimée,

Fuyons tous deux sous la feuillée.

Au fond des bois silencieux

Et des bosquets mystérieux…

Et la voix qui disait ce couplet était d’une infinie tristesse; c’était un chant de désolation pareil à un ressouvenir d’amour défunt…

– Pauvre Magali! murmura Marie en tressaillant. En voilà une qui a cru à l’amour, qui s’est donnée toute et de si grand cœur, et qui a coupé dans le pont… dans les grands prix! La voilà lâchée, si malheureuse, si triste qu’à peine j’ose la regarder… Qui sait ce qu’elle va devenir, celle-là?

* * * * *

Quand le soir fut venu, Marie Charmant, sa lumière éteinte, debout contre sa porte close, écouta avec un grand battement de cœur son voisin qu’elle entendait aller et venir dans le logis d’à côté, elle se disait:

– Il va partir… il va aller à cette grande fête qui se donne, rue de Babylone, chez ce baron de…

À ce moment, la porte du voisin s’ouvrit. La jolie bouquetière s’immobilisa jusqu’à retenir sa respiration. Elle entendit le jeune homme qui sortait. Elle comprit qu’il s’arrêtait une seconde sur le palier… puis il descendit…

Alors, à son tour, elle ouvrit doucement, se pencha sur la rampe et, à la lueur du gaz qui pétillait au-dessous d’elle, entrevit Anatole Ségalens qui s’enfonçait lentement au fond de l’escalier. Il avait disparu depuis quelques minutes, et elle était encore là, penchée. Enfin, elle se redressa, avec un long soupir la petite bouquetière s’apprêtait à rentrer dans son logis, lorsqu’un gémissement parvint jusqu’à elle. C’était comme un sanglot lointain…

– Oh! songea Marie Charmant, ces plaintes que j’entends encore!… Oui, cela vient bien de là-haut… du galetas qui appartient à La Veuve!…

Haletante, elle se mit à monter le petit raidillon d’escalier qui conduisait aux combles, et aboutit enfin devant une porte fermée. Elle écouta. Cette fois, le gémissement lui arriva très distinct.

– Qui pleure derrière cette porte? murmura la bouquetière. Et pourquoi pleure-t-on? Il y a là quelque horrible secret… Oh! mais La Veuve est dehors… et quand elle sort, elle rentre bien tard! Cette fois, oui, cette fois, il faut que je sache!…

À l’instant même, la plainte se tut, et un silence de mort régna dans le grenier.

Marie Charmant se pencha vers la serrure, et, le sein palpitant d’une terreur qu’elle avait peine à maîtriser, appela à voix basse:

– Qui que vous soyez, dit-elle, n’ayez pas peur, je suis une amie…

Une amie! répondit une voix faible et douloureuse.

– Oui! une amie, puisque vous avez du chagrin! Vous pleurez, je vous consolerai. Vous souffrez, je vous soulagerai… Venez… Parlez-moi… N’ayez aucune crainte. Espérez!

– Oh! dit la voix mystérieuse en se rapprochant. Qui êtes-vous, vous qui venez parler d’espoir et de consolation à celle qui n’espère plus rien et que rien ne peut consoler?

– Je vous entends depuis vingt jours… la nuit, je compte vos pas… et j’ai bien souvent frissonné de pitié lorsqu’un de vos sanglots descendait jusqu’à moi… J’habite au-dessous de vous… Je m’appelle Marie Charmant. Et vous?…

Derrière la porte, la voix douloureuse répondit avec un soupir:

– Moi, je m’appelle Lise… ou plutôt, hélas!… Valentine d’Anguerrand!…

XIV FIGURES QUI SE PROFILENT

La veuve, qui venait de sortir de chez elle, ne tarda pas à remarquer, à dix pas devant elle, un jeune homme très élégamment vêtu qui marchait en évitant avec un soin minutieux les flaques de boue.

– Le beau mystérieux! ricana-t-elle. L’amoureux de la petite bouquetière! Il fait signe à Biribi? Un instant: Biribi est à moi!

En effet, Anatole Ségalens s’arrêtait près d’un fiacre qui stationnait en bordure de trottoir – un de ces vieux fiacres à galerie comme il ne s’en trouve plus, à Paris – et le jeune homme disait, non sans une pointe de vanité:

– Cocher, rue de Babylone! À l’hôtel du baron Gérard d’Anguerrand!…

– Tiens! songea La Veuve en tressaillant, il va où je vais!…

– Je ne marche pas! répondit le cocher, sorte de brute trapue et massive à mâchoire de dogue. Cocotte a les arpions nickelés, pour l’instant.

– Mon cher ami, fit Ségalens, vous êtes bien mal élevé…

– De quoi? de quoi? On est retenu, quoi! Ce n’est pas toi, peut-être, qui va m’apprendre…

– Sang Dieu! interrompit Ségalens, si vous n’êtes pas sage, je puis toujours vous apprendre la danse et le maintien à la façon de mon pays…

– Et moi, je vais te donner une leçon de savate à la façon de Biribi, mon ami! vociféra le cocher – ou le faux cocher, car cet homme semblait porter la houppelande traditionnelle comme un déguisement.

Aussitôt, sautant de son siège, il se rua sur le jeune homme.

Au même instant, le colosse roula sur la chaussée en poussant un hurlement de rage et de douleur: un formidable coup de poing venait de l’atteindre en plein visage et lui avait à demi démoli une mâchoire sans qu’il eût eu le temps de voir d’où cela lui tombait.

– Monsieur est servi! fit en souriant Ségalens qui, après le geste foudroyant de son poing, reprenait son attitude la plus élégante et remettait son monocle en place.

– Mince de gnon! glapit la voix vinaigrée d’un gamin qui, les deux mains dans les poches, assistait à cette scène.

– J’aurai ta peau! gronda Biribi en se relevant.

Déjà il se fouillait, ouvrait son couteau, et, livide de fureur, marchait sur Ségalens, lorsqu’il s’arrêta court: entre Ségalens et lui, une ombre s’interposait, façon de fantôme: La Veuve!

– Eh bien! cocher, dit-elle tranquillement, je crois que vous me faites attendre.

Tiens!… madame Louis XIV, songea Ségalens.

En même temps, La Veuve fit de la main un signe imperceptible qui, pour un observateur de cette scène, eût été un geste quelconque, mais qui dut sans doute exercer un mystérieux pouvoir sur le faux cocher, car celui-ci, d’un violent effort, parut se dompter, et gronda: