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– Tas de cochons!…

Soudain Pierre Gildas demeura hébété comme l’homme sur qui s’acharnent d’inconcevables fatalités.

Pierre Gildas, sur une des banquettes du restaurant, venait de reconnaître sa fille!…

Vêtue la veille encore d’une pauvre robe de lainage, Magali portait maintenant un assez beau costume que sa beauté naturelle rehaussait; un immense chapeau à plumes ornait sa tête. Elle était assise près d’une grande et forte fille habillée avec une criarde somptuosité, et, devant elles, deux messieurs grisonnants, que Pierre Gildas voyait de dos, fumaient et causaient en riant. Magali ne semblait ni triste ni gaie: elle paraissait accomplir la fonction naturelle des pauvres filles… chair à plaisir.

* * * * *

Pierre Gildas, revenant sur ses pas, longeait l’avenue de l’Opéra, sans savoir où il allait, puis traversait les Tuileries, franchissait la Seine, descendit sur la berge. Sous l’arche du pont, il chercha un abri, non contre le froid, mais contre la vie.

Et comme un grand silence pesait sur la ville, comme Pierre Gildas grelottant sentait que tout, en lui-même, devenait silence, il se traîna vers l’eau et s’y laissa glisser…

* * * * *

Anatole Ségalens, en enjambant le parapet du pont où il s’était arrêté, croyait à sa ferme intention de mourir, puisqu’il cherchait la mort. Mais dans ce laps de temps inappréciable pendant lequel il tomba dans le vide, il y eut un brusque éveil de ses forces vitales, un déchaînement soudain de sa volonté de vivre, une clameur effrayante de sa raison échappant enfin au rêve de mort qui l’avait paralysée.

Tout cela se traduisit dans cette pensée qu’il cria au moment où il s’enfonçait dans l’eau:

– Et si elle n’est pas morte! Si elle vit!…

La réaction fut foudroyante. Entraîné au fond de l’eau, entraîné par le courant qui le fit passer sous l’arche du pont, Ségalens sentit une rage de vie centupler ses forces, il remonta à la surface d’un effort puissant, et se mit à nager pour regagner la berge. À ce moment où il allongeait les bras dans une frénétique poussée, sa main rencontra quelque chose qui flottait, et se crispa, s’incrusta sur l’objet qu’elle venait de saisir… c’était un vêtement… c’était un homme.

– Allons, fit Ségalens, mon suicide aura toujours servi à quelqu’un… ce pauvre diable devra la vie à la crise de désespoir qui m’a poussé à ce plongeon…

Au bout de quelques minutes d’efforts désespérés, Ségalens toucha le bord du quai, et étant parvenu à pousser l’inconnu sur les dalles, il se hissa lui-même hors de l’eau. Alors, sans perdre de temps, il se mit à frictionner le noyé, oubliant que lui-même, quelques minutes auparavant, avait voulu mourir. Bientôt, l’inconnu ouvrit les yeux:

– Loués soient les dieux, fit Ségalens. Comment vous sentez-vous, mon pauvre homme?…

L’homme se redressa, s’assit, passa ses mains sur son front, jeta un regard sombre sur Ségalens et dit:

– Savez-vous qui vous venez de sauver? fit-il avec un éclat de rire de dément.

– Question inutile, monsieur, dit Ségalens. Allons, venez…

– Vous venez de sauver un échappé de maison centrale, reprit l’homme avec son rire terrible.

Ségalens eut un haut-le-corps vite réprimé. Doucement, il répondit:

– Cela ne me regarde pas, monsieur… Venez…

L’inconnu baissa la tête… Il demeura quelques instants immobile.

Ségalens l’entendit qui sanglotait tout bas. Il le prit par la main, et très doucement:

– Allons, venez…

– Comment vous appelez-vous? demanda l’inconnu d’une voix étrange.

– Anatole Ségalens.

– Anatole Ségalens! fit l’inconnu qui n’avait entendu que le nom. C’est bien…

Et pensif, il suivit le jeune homme qui l’entraînait. Ils remontèrent la première rampe rencontrée et se mirent à marcher dans la direction des Halles. Là, Ségalens fit signe à un taxi qui passait. Il fit monter son compagnon, s’assit lui-même, et alors, par la portière:

– Chauffeur, rue Letort!…

– Rue Letort, gronda l’inconnu dans un râle de stupeur.

Et, sur les coussins du véhicule qui l’entraînait vers la maison où il avait habité, où habitait la veille sa fille Magali, où habitait encore son fils, Pierre Gildas s’évanouit…

XXIII JEAN NIB

Au moment où, vers onze heures du soir, La Veuve et Zizi s’étaient mis en route pour gagner Neuilly, un incendie venait d’éclater rue Clignancourt.

– Un beau feu de joie, dit Zizi en passant.

La Veuve ne répondit rien.

Ils descendirent vers l’Opéra et la Madeleine, puis gagnèrent les Champs-Élysées…

La Veuve remontait l’avenue, marchant de son allure égale et fatale. Elle était silencieuse, absorbée dans le profond calcul de son œuvre de mort. En ce moment, elle songeait à Jean Nib. Elle avait toujours éprouvé pour lui et Rose-de-Corail une sorte de sympathie rude – autant qu’elle était capable de sympathie pour quelque chose ou quelqu’un. Mais Jean Nib était devenu un obstacle: froidement, elle le supprimait… Elle avait d’abord songé à lancer sur lui ce carnassier moitié dogue moitié tigre qui s’appelait Biribi. Mais elle avait redouté l’issue de la lutte – et elle avait adopté une autre tactique plus sûre: précipitant l’accomplissement du projet qu’elle avait exposé à Jean Nib et à Biribi dans le bastion, elle avait dès le lendemain matin du conciliabule prévenu que ce serait pour la nuit suivante – et aussitôt, elle avait avisé l’agent de la sûreté que l’hôtel du marquis de Perles allait être dévalisé.

En effet, La Veuve, parmi les connaissances qu’elle cultivait depuis longtemps, possédait un agent de la sûreté. Seulement, si La Veuve connaissait parfaitement la demeure de l’agent, il avait toujours été impossible à celui-ci de découvrir la tanière de La Veuve. L ’agent de la sûreté s’appelait Finot et demeurait rue Saint-André-des-Arts.

Il faut remarquer que cette opération n’avait pas d’autre but que de débarrasser La Veuve de Jean Nib, et de lui permettre d’atteindre Hubert d’Anguerrand.

Son plan était bien simple – et terrible: Jean Nib et Zizi entraient dans la villa. Jean Nib se mettait aussitôt au travail. C’est là que commençait le rôle de Zizi… Sans le faire exprès, Zizi réveillait le marquis de Perles qui, courageux et entreprenant, marchait sur Jean Nib. Celui-ci, venu pour exécuter une rafle d’objets de valeur, se trouvait en présence de l’assassinat nécessaire… Et la police intervenait alors: Jean Nib en avait pour vingt ans… au moins.

La Veuve marchait donc à son but, ayant tout combiné pour assurer le succès.

Zizi trottinait près d’elle, les mains dans les poches.

À l’Étoile, ils retrouvèrent Jean Nib.

Il était seuclass="underline" Rose-de-Corail demeurait en fonction dans la masure où Hubert d’Anguerrand était prisonnier.

– Où est Biribi? demanda Jean Nib en rejoignant La Veuve et Zizi.