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– Drôle de type! songeait Rose-de-Corail. C’est un richard, un de la haute. Qui sait si Jean Nib ne veut pas le faire casquer? Charlot donnait cent mille francs pour dégringoler le pante… le pante en donnera peut-être le double… le triple… pour être relâché… Mais si jamais il tombe dans les griffes de La Veuve!…

Le bruit des pas s’arrêta tout à coup: Hubert d’Anguerrand venait de se jeter sur le petit lit qui avait été aménagé pour lui.

– Le voilà qui va dormir, continua Rose-de-Corail. Il a tout de même de l’estomac!… Quelle heure qu’il peut être?…

La nuit était profonde, le silence, aux environs, était absolu. La triste chambre où Rose-de-Corail travaillait était obscurément éclairée par une chandelle qui se mourait.

Soudain la chandelle s’éteignit; la chambre demeura plongée dans les ténèbres. Rose-de-Corail ne bougea pas.

– La camoufle est morte, songea-t-elle. Et je n’en ai pas d’autre. Bah!… il doit être au moins cinq heures. Dans une heure ou deux au plus, Jean Nib sera ici… Que fait-il, maintenant?

Brusquement, elle eut un tressaillement et se leva toute droite.

Une sorte de lumière blafarde avait peu à peu pénétré dans la chambre à travers les contrevents mal joints. Rose-de-Corail courut à la fenêtre, l’ouvrit et vit alors qu’il faisait grand jour.

– Ah! ça, gronda-t-elle, il est au moins huit heures…

À midi, Jean Nib n’était pas rentré.

Rose-de-Corail fit une toilette sommaire, c’est-à-dire qu’elle ramena d’un tour de main les splendides torsades de sa chevelure, revêtit la jupe qu’elle avait raccommodée dans la nuit, jeta un fichu sur ses épaules et sortit en grondant:

– S’il lui est arrivé malheur… malheur à ceux qui en sont cause!

Elle portait à la main un petit sac en soie noire rattaché à son poignet par les rubans; dans le sac, il y avait son mouchoir, et, sous le mouchoir, un poignard. Une demi-heure plus tard, elle était chez La Veuve.

La Veuve n’était pas chez elle!

Patiente et forte dans le malheur qu’elle pressentait, Rose-de-Corail se mit en faction dans la rue Letort.

– C’est La Veuve qui a poussé Jean Nib, songeait-elle. Il faudra qu’elle me dise où il est, sinon…

Elle tâtait son poignard à travers la soie du sac. Par moment, elle grelottait, et parfois d’ardentes bouffées de chaleur montaient à son front. Le soir arriva sans qu’elle eût songé à prendre la moindre nourriture. La Veuve n’avait pas reparu.

Quand elle vit qu’il faisait nuit, Rose-de-Corail fut tout à coup frappée par cette idée que Jean Nib, retenu par un incident quelconque, avait dû arriver à la masure du Champ-Marie quelques instants après son départ, et que maintenant il la cherchait…

– Étais-je folle! songea-t-elle. Il est là. C’est sûr… Il m’attend!

Elle entra dans la chambre en disant d’une voix étranglée:

– Jean! tu es là, n’est-ce pas?…

Elle toucha le lit, s’imaginant qu’il avait dû s’endormir, après les fatigues de l’expédition. Le lit était vide… Rose-de-Corail eut un soupir terrible; elle sentit le désespoir l’envahir, et ses yeux se remplirent de larmes brûlantes. Mais elle se raidit contre cette faiblesse…

– Je le trouverai!… Il faut que je le trouve, gronda-t-elle tandis qu’un tremblement convulsif l’agitait.

L’instant d’après, elle était dehors. Quant à son prisonnier, quant à Hubert d’Anguerrand, elle l’avait complètement oublié. Dehors, dans la nuit, dans ce désert sinistre des fortifs, Rose-de-Corail se mit à marcher en murmurant:

– Où aller? Où le chercher?… Oh! aux Croque-Morts!…

Elle se prit à bondir la barrière, qu’elle franchit, et s’élança vers le sinistre cabaret, sans s’apercevoir que deux ou trois ombres la suivaient pas à pas.

Au moment où elle allait pousser la porte des Croque-Morts, Rose-de-Corail se sentit tout à coup violemment empoignée par derrière, un bâillon lui noua les lèvres avant qu’elle eût pu proférer un cri; en même temps ses mains se trouvèrent attachées.

– C’est bon, dit une voix, conduisez-la où vous savez, les aminches. Dans deux heures, je serai là et le reste me regarde.

– Biribi!… rugit Rose-de-Corail au fond d’elle-même.

Rose-de-Corail se sentit entraînée vers la nuit; les gens qui la poussaient et la traînaient, au nombre de quatre, marchèrent longtemps dans la direction de Saint-Denis. Lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin, Rose-de-Corail, épuisée, regarda autour d’elle.

– On est arrivé; tu peux te reposer, lui dit l’un des escarpes.

Arrivée! Où cela? Autour d’elle, il n’y avait qu’une vaste plaine; au loin, elle entrevoyait confusément des lumières.

– Assieds-toi, qu’on te dit! reprit rudement la même voix.

En même temps, l’homme appuya violemment sur les épaules de Rose-de-Corail qui tomba à la renverse; les escarpes s’assirent autour d’elle, simple manœuvre pour ne pas être vus de loin, et ils gardèrent le silence. Rose-de-Corail s’aperçut alors qu’elle était assise sur une sorte de talus; à dix pas d’elle, se déroulait un large ruban d’eau paisible et sinistre. Alors, elle sentit un long frisson d’épouvante la secouer:

– Le canal! murmura-t-elle.

Alors, elle comprit, ou crut comprendre la vérité: Jean Nib avait réussi le coup de Neuilly; La Veuve et Biribi l’avaient assassiné pour ne pas partager; et comme on redoutait sa dénonciation, à son tour on allait la tuer!…

Rose-de-Corail songea.

– Dans deux heures, je serai là! a dit Biribi. Il me reste donc deux heures pour trouver un moyen de venger Jean Nib avant de mourir!…

* * * * *

Biribi s’était élancé vers Paris où il était rentré, et avait rapidement gagné le taudis de La Veuve.

– Ça y est, dit-il en entrant, Rose-de-Corail ne jaspinera pas.

– Elle est morte? demanda froidement La Veuve.

– Pas encore, ricana le monstrueux bandit. Je me charge de la petite opération. Mais avant de lui faire boire le dernier bouillon, j’ai deux mots à lui dire… un vieux compte à régler.

– Des bêtises! fit La Veuve en tressaillant. Il fallait la noyer tout de suite. Avec une fille comme Rose-de-Corail, on ne sait jamais ce qui peut arriver.

– Bah! les aminches sont des costauds.

– Pour le moment, il s’agit d’en finir avec Rose-de-Coraiclass="underline" va donc, et, lorsque tu me rejoindras, tâche que ce soit réglé…

– On y va, La Veuve! dit le sacripant.

– Tâche d’arriver à l’heure au Champ-Marie! reprit LaVeuve d’un ton menaçant.

Biribi s’élança au dehors. Alors, La Veuve eut un sourire effrayant de satisfaction et murmura:

– Je n’ai plus qu’à attendre la visite de M. le baron Gérard d’Anguerrand, et à le conduire auprès de son noble père… L’entrevue sera touchante… Dire que je vais voir cela, moi!… Hubert d’Anguerrand aux prises avec Charlot!…