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Elle s’assit près de sa table et demeura immobile, en proie à une sombre rêverie.

Des heures passèrent.

Un bruit de pas étouffés, dans l’escalier, la fit enfin tressaillir. Elle écouta. Les pas s’arrêtaient devant sa porte. Elle ouvrit et vit Adeline… Sapho… qui entra.

– M. le baron? demanda La Veuve d’un ton rude et soupçonneux.

– Il vous attend dans la rue, dit Adeline d’une voix rauque. Hâtons-nous!… Et la fille?

– Bon. Je vais vous conduire. La mignonne n’a pas bougé. On dirait qu’elle vous attend. Venez.

Il n’y eut pas d’autre explication entre elles.

La Veuve prit sa lampe. Elle comprenait très bien: Gérard s’occupait du père, Adeline de la fille. Lorsqu’elles furent arrivées devant la porte du galetas, La Veuve se tourna brusquement vers Adeline.

– Ah! çà, gronda-t-elle, vous savez ce qui est convenu entre nous? Vous raconterez à la petite fille ce que vous voudrez, ça ne me regarde pas. Mais je veux qu’elle reste ici. Je l’aime, moi, cette enfant!

– Et si je l’emmenais?

– Alors, je reprends ma liberté, madame la baronne. Nous sommes alliées. Jouons franc jeu. Je vous préviens que, si vous m’enlevez la petite, demain matin Gérard saura qu’elle est vivante.

– Je vous l’achète, dit Sapho d’un ton de voix intraduisible.

– Elle n’est pas à vendre. Vous m’offririez un million que je refuserais. Je n’ai pas besoin d’argent, madame, j’ai besoin de vengeance…

– Vengez-vous sur Hubert, haleta Sapho – et laissez-moi Lise…

La Veuve ramassa sa lampe qu’elle avait déposée sur le parquet du palier.

– Nous ne nous entendons pas, dit-elle froidement. Adieu, madame…

Elle fit un mouvement de retraite. Adeline eut un rauque soupir. Son visage livide se plaqua de taches de cire. Ses mains fines, cachées dans son manchon, tourmentèrent la crosse du petit revolver sur lequel elles se crispaient.

Sans doute La Veuve comprit le geste d’Adeline! Sans doute elle lut dans ses yeux la volonté de meurtre qui y flamboyait. Tranquillement, elle sortit de sa poche un large couteau tout ouvert, et sans émotion apparente, elle gronda:

– Mon amant Louis de Damart a été tué par Hubert d’Anguerrand. Il serait beau, sans doute, que je sois tuée, moi, par la fille de Louis de Damart! Mais cela n’entre pas dans mes idées; il n’est pas temps que je meure! Croyez-moi, madame, laissez tranquille le joujou, quel qu’il soit. À ce jeu-là, voyez-vous, je suis la plus forte… Soyez raisonnable. Vous me dites de me venger sur Hubert. Vous ne comprenez donc pas que sa mort me suffit, puisque je suis venue trouver Gérard d’Anguerrand? Quant à Lise, c’est autre chose, madame. Je la garde. Je veux qu’elle meure selon mon idée, et non selon la vôtre.

– Ouvrez-moi cette porte, dit Sapho en grinçant des dents. Je ferai comme vous le désirez: Lise restera ici…

– À la bonne heure! grogna La Veuve.

Et, parfaitement sûre qu’Adeline lui obéirait jusqu’au bout, elle ouvrit la porte en disant:

– Dans une heure, vous me rejoignez au Champ-Marie, n’est-ce pas?… Si je ne vous voyais pas arriver, je commencerais par dire à Gérard que Lise est vivante… ensuite, on verrait!

– Dans une heure je serai là-bas, dit Adeline d’une voix ferme.

Et elle entra!…

La Veuve descendit. Dans la rue, sur le trottoir d’en face, une ombre immobile guettait. La Veuve alla droit à l’homme qu’elle entrevoyait, et, malgré son déguisement, reconnut aussitôt Gérard d’Anguerrand. Il portait une cotte d’ouvrier; ses moustaches étaient rabattues sur le coin des lèvres; un foulard était noué à son cou; une casquette couvrait sa tête: pour un policier, Charlot-Lilliers-Gérard était méconnaissable; mais pour La Veuve, il n’y avait pas d’erreur possible.

– Marchez devant, fit Gérard dont le cœur battait à grands coups, je vous suis…

La Veuve se mit à marcher rapidement. À vingt pas derrière elle, Gérard rasait les murs.

Lorsqu’ils furent près de la maison du Champ-Marie, La Veuve s’arrêta.

– C’est là? demanda Gérard, la voix rauque, haletante, presque incompréhensible.

– C’est là, répondit La Veuve, glaciale.

Gérard secoua la tête. Son œil flamboya. Ses mâchoires se serrèrent l’une contre l’autre avec la force d’une crise d’épilepsie. En quelques instants, il fit ce qu’on pouvait appeler le branle-bas de combat; il se dépouilla de sa cotte et apparut vêtu d’un veston qui le serrait à la taille; il jeta son foulard, sa casquette, redressa sa moustache, et d’un geste rapide, s’assura que son couteau était en place, à portée de sa main…

– Il faut bien que mon père me reconnaisse! grogna-t-il.

– Un instant! dit La Veuve. Vous gâteriez tout par trop de précipitation. Je vais entrer la première.

– Soit!… Hâtez-vous! gronda Gérard.

– Je laisserai la porte ouverte. J’en ai pour vingt minutes. Quand il sera temps, je sifflerai… vous entendez?… Ne venez pas avant mon coup de sifflet… ou je ne réponds de rien…

– J’attendrai… mais faites vite! dit Gérard avec un tel rugissement que La Veuve en eut un sourire d’extase mortelle, et murmura:

– Cette fois, mon Hubert, nous allons en voir de drôles!… Mais avant de te montrer ton cher fils, n’est-il pas juste que tu revoies une dernière fois celle que tu as tant aimée? Ô ma mère, ajouta-t-elle, avec un accent de haine flamboyante, dormez tranquille! Ô mes enfants, c’est ce soir que nous prenons notre revanche, ô mon petit Louis! ô ma petite Suzette adorée!…

Elle eut une sorte de sanglot, fit à Gérard un signe d’autorité, et pénétra dans la maison.

C’était vrai: elle voulait voir Hubert avant de le livrer à Gérard… mais, comme elle entrait, une idée, brusquement, la fit dévier pour un instant. Une idée, une petite idée… un instant fugitif… une toute petite pierre sur sa route, peut-être, mais La Veuve, méthodique, implacable, raisonneuse, voulait avoir toutes les chances pour elle.

Voici donc l’idée qui, au moment où elle allait se diriger sur la pièce habitée par Hubert, la fit dévier:

– Et l’autre, là-haut?… La bouquetière… Il ne faut pas qu’elle entende… qu’elle sache!… Tant pis pour elle… et pour Biribi!…

Et La Veuve, rapidement, monta au premier étage de la masure… à ce premier étage où Marie Charmant se trouvait enfermée…

Gérard, dehors, attendait, ramassé sur lui-même, haletant, tantôt préparant les suprêmes paroles qu’il voulait dire à son père, tantôt prenant la résolution de le frapper tout de suite, sans un mot…

Combien de temps attendit-il?… Dix minutes peut-être… Tout à coup, il tressaillit, et saisit son couteau: un coup de sifflet strident déchirait le silence… le signal de La Veuve!…

Gérard se rua sur la maison…

XXV ZIZI AMOUREUX

Cette nuit-là, Ernest Gildas dit Zizi-Panpan errait tristement dans le quartier. Il était seul. Le fidèle La Merluche était resté à la maison. Dans la soirée, Zizi, après une charmante journée passée en famille, avait éprouvé le besoin de prendre l’air.