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Quand elle releva les yeux, La Veuve avait disparu.

Marie Charmant avait lu la lettre que La Veuve lui avait remise. Quand elle eut achevé sa lecture, elle s’assit, très pâle:

– Allons bon! murmura-t-elle. Voilà qu’il s’en va!… Pour un long voyage, à ce qu’il dit… Il m’aime, ce doit être vrai! Il ne m’écrirait pas ainsi… Pauvre garçon! Et moi qui l’ai reçu comme un chien dans un jeu de quilles quand il a voulu me dire qu’il m’aimait!… C’est fini… Il est parti… Je ne le verrai plus… Oh! mais qu’est-ce que j’ai donc?… Jamais je n’ai éprouvé une peine pareille… Oh! mais je l’aimais, moi aussi… Je l’aime!

La petite bouquetière se mit à pleurer, sans bruit, des larmes qui, une à une, tombaient sur la lettre de Ségalens… Car cette lettre, c’était celle qu’Anatole Ségalens avait remise à Mme Bamboche au moment d’aller à son duel, et que Mme Bamboche n’avait plus retrouvée lorsqu’il l’avait réclamée!

XXXII MAGALI

À l’entrée de Ségalens, introduit par un valet de chambre, Max Pontaives se souleva sur un coude et dit:

– Un verre, Justin.

Puis il retomba indolemment sur ses coussins. Le valet apporta le verre demandé, plaça devant Ségalens, qui s’était assis, un guéridon sur lequel il disposa tout ce qu’il faut pour boire et fumer, le tout sans bruit. Il y eut entre les deux jeunes gens quelques minutes de silence. Puis, Pontaives, de sa voix la plus nonchalante, demanda:

– Quelle diable de figure avez-vous là? Vous êtes tout pâle, mon ami.

– Je m’ennuie, dit Ségalens.

– Pourquoi vous ennuyez-vous, vous?

– Parce que j’aime une jeune fille et qu’elle a disparu.

– Toutes les chances! s’écria Pontaives. Et vous vous plaignez?

– À propos. Et l’Informateur?

– Eh bien! j’ai vu M. Champenois, qui est un homme tout rond en affaires. Je lui ai exposé mon désir de faire une série de reportages sur les bas-fonds parisiens…

– Tiens, dit Pontaives, c’est une idée, ça! Pas neuve, mais enfin, ce sera une occasion pour vous de vous distraire, je vous accompagnerai… mais je vous préviens que la chose a été faite déjà.

– Oh! il ne s’agit pas de faire une tournée de grands-ducs. Je veux voir de près la pègre parisienne, me mêler à elle, vivre de sa vie, palpiter de ses émotions…

– Vous vous ferez tuer.

– On n’est jamais tué qu’une fois, dit Ségalens. Est-ce que ma tournée vous séduit toujours?

– Plus que jamais! Mais, puisque nous devons courir ensemble les mauvais lieux, commençons par l’Opéra.

Les deux jeunes gens sortirent en se donnant le bras, dînèrent sur le boulevard et passèrent la soirée à l’Opéra. Pendant le dîner, Ségalens avait raconté à son ami l’histoire de son amour et la disparition inexpliquée de Marie Charmant, puis son désespoir, sa folle tentative de suicide et le sauvetage de Pierre Gildas.

– Et qu’est devenu l’homme? demanda Pontaives.

– Il est chez moi.

– En sorte qu’en ce moment vous recelez un repris de justice? joli, peut-être…, mais dangereux!

– Enfin, cette petite bouquetière que vous adorez, si elle a disparu, c’est que quelqu’un avait intérêt à sa disparition. Avez-vous une idée là-dessus?

– Aucune. J’en suis réduit à me fier au hasard.

Après l’audition de Lohengrin, les deux amis s’en allèrent souper au plus proche café.

Le café était divisé en deux parties: une avant-salle de plain-pied avec le boulevard des Italiens, et une arrière-salle plus élevée où l’on accédait par un double escalier de quelques marches. Chacun de ces deux escaliers était encadré de hautes colonnes d’un bel effet décoratif. Il va sans dire que les deux salles étaient occupées par une double foule de soupeurs parmi lesquels évoluaient quelques jolies filles toutes prêtes à accorder leur amour au plus offrant et dernier enchérisseur.

Pontaives et Ségalens s’étaient placés à une petite table de l’avant-salle; et Ségalens revenait pour la dixième fois sur le sujet qui lui tenait tant au cœur, lorsque Pontaives s’écria:

– Oh! la belle enfant!… regardez donc!…

Ségalens se retourna: une jeune femme descendait lentement l’un des deux escaliers. Elle portait avec une naïve élégance un costume de satin gris perle, et sa tête fine, délicate, un peu pâle, se dressait harmonieusement sur des épaules parfaitement modelées, émergeant de la blancheur d’un «boa» en plumes jeté sur ses épaules.

– Voilà qui est particulier, dit Ségalens après une seconde d’attention.

– Quoi donc? fit Pontaives en continuant à fixer la jolie inconnue avec une attention et peut-être une émotion qui démentait son scepticisme de parade.

– Vous connaissez l’histoire du marquis de Perles?

– Oui, eh bien?…

– Eh bien! la petite Magali en question est devant vous! Pauvre petite! Elle aura eu assez de la misère et à pieds joints, elle a sauté dans le ruisseau…

Pontaives avait étouffé une exclamation de surprise. La jeune femme, de sa marche onduleuse et traînante, se dirigeait vers la porte.

Au moment où elle passait prés de la table, Pontaives se leva, la toucha au bras, et dit:

– Voulez-vous me faire le plaisir de boire avec moi une coupe de champagne?

Magali considéra le jeune homme, puis, souriante:

– Je veux bien, dit-elle, à condition qu’il y ait des écrevisses pour me donner soif.

Et Magali s’assit tranquillement, avec cette indifférence de la professionnelle qui accomplit son devoir sans enthousiasme. Pourtant, comme Pontaives, stupéfait de se sentir presque trembler, la regardait en silence, elle ajouta:

– Vous êtes gentil de m’inviter. J’allais me coucher. Les hommes me dégoûtent ce soir…

Cette amère et brutale sortie, le ton de morne indifférence, l’avidité avec laquelle elle vida coup sur coup les verres de Pontaives et de Ségalens formaient un étrange contraste avec la joliesse de cette figure délicate.

– Pourtant, fit Pontaives d’une voix où Ségalens surprit une sorte de tremblement imperceptible, pourtant, jolie comme vous l’êtes…

– Jolie? interrompit la jeune femme. Pas de boniment, mon cher monsieur, ou je m’en vais… Je vous dit que les hommes me dégoûtent ce soir…

Et elle commença à fourrager dans le buisson d’écrevisses qu’on venait de déposer sur la table.

– Madame ne croit pas à l’amour, dit Ségalens. Elle a bien raison. Je connais une pauvre fille, belle, sage, qui sans doute eût été heureuse si elle n’avait eu la mauvaise chance de rencontrer un homme qui…

– Qui l’a plaquée après lui avoir juré toute sorte d’amour, dit Magali. On connaît ça. C’est notre histoire à toutes. Ma foi, non, je ne crois pas à l’amour. Et puis, quand j’y croirais…

Nous devons dire que si Ségalens connaissait Magali, tout au moins de vue et pour avoir entendu raconter son aventure, Magali ne le connaissait nullement.

– Alors, vous, reprit-elle en fixant Pontaives, vous y croyez à l’amour?