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– Mon enfant! bégaya le baron. Ma fille! sois rassurée… ne crains plus rien… tu es sauvée, puisque voici ton père!…

– Mon père! balbutia Lise en pâlissant.

Et au même instant, le récit que lui avait fait Marie Charmant dans le galetas de La Veuve se présenta tout entier à son esprit… Mais le baron, ivre de joie, les yeux plein de larmes, s’avançait vers elle, les bras ouverts…

Dans cet élan de son être vers celle qu’il appelait Valentine, en cette seconde bénie où tout ce qu’il y avait d’amer et de terrible dans cet homme se fondait en un sentiment d’une infinie douceur, le poignard qu’il tenait à la main s’échappa et tomba sur le tapis…

– Viens, ma fille, sanglota le baron, viens, ma pauvre Valentine… tes chagrins sont finis, nous allons fuir, partir ensemble… Seigneur! comme tu es pâle… comme tu as dû…

Un cri terrible l’interrompit…

Sapho venait de ramasser le poignard et d’en frapper Lise en hurlant:

– Puisque je dois mourir, meurs donc la première, Valentine d’Anguerrand!…

Lise s’affaissa dans les bras du baron, le corsage empourpré de sang. Hubert ne dit pas un mot. Il enleva Lise dans ses bras robustes, et d’un bond fut hors de la pièce; dans le couloir, il déposa la jeune fille évanouie, morte peut-être… Dans le même instant, il se releva et se tourna vers Sapho qui marchait sur lui, le poignard levé. Le baron n’eut qu’un geste: sa main s’abattit sur le poignet de Sapho…

Sapho poussa un hurlement de douleur et lâcha le poignard.

Alors le baron la poussa dans l’intérieur de la pièce…

Il était d’une pâleur de cadavre. Adeline se mit à trembler de terreur, toute sa rage tombée, comprenant que, cette fois, elle était condamnée sans rémission. Pourtant, elle essaya de joindre les mains et balbutia:

– Pardon! oh! pardon! j’étais folle! je ne savais pas ce que je faisais!…

– Le crime que vous venez de commettre sera le dernier. Vous allez mourir. Mais je ne souillerai pas mes mains à vous exécuter. Vous mourrez où vous êtes. Nul ne viendra vous ouvrir, nul n’entendra vos cris, car, à partir de ce moment, cet hôtel sera inhabité. Adieu, madame!

Adeline entendit alors des pas étouffés et pesants qui s’éloignaient…

Puis un silence effrayant tomba sur elle et la glaça…

XXXIV PERPLEXITÉ D’UN GARDIEN DE L’ORDRE PUBLIC

Mettre la main à la fois sur Jean Nib évadé et sur Rose-de-Corail, c’était pour M. Finot le chef-d’œuvre que rêve tout homme de police qui a la police dans le sang. Depuis quatre jours, M. Finot n’en dormait plus. Il avait commencé par s’assurer que La Veuve n’avait pas menti et que Jean Nib, à peine arrêté, avait réellement échappé à la justice, et il avait tressailli de joie en constatant que c’était vrai. Aussitôt, il s’était mis en campagne, et, après deux jours de démarches personnelles, il avait pu circonscrire le champ de ses recherches.

Or, ce même soir du quatrième jour, La Veuve arriva chez Finot.

– Vous m’apportez mes vingt-cinq mille francs? demanda l’agent.

– La moitié, dit La Veuve en lui tendant douze mille cinq cents francs en billets de banque que l’agent saisit en frémissant.

– Vous venez chercher votre protégée? reprit Finot.

– Non j’ai encore quatre jours, puisque j’ai encore douze mille cinq cents francs à vous remettre. Je viens causer avec cette enfant. Puis je m’en vais.

Sans plus s’inquiéter de Finot, La Veuve entra dans la pièce où se trouvait Marie Charmant.

Elle la rendait responsable de la disparition de Lise. Mais elle eut beau tourner et retourner les questions, Marie Charmant ne pouvait rien lui apprendre, puisqu’elle ne savait rien. Au bout d’une heure, La Veuve se leva pour s’en aller en ricanant méchamment:

– Prends patience. ma fille! Dans quelques jours tu auras la clef des champs; si ce n’est pas dans quelques mois… Tu es jeune, tu as l’avenir devant toi…

– Écoutez, La Veuve, dit alors la jeune fille d’une voix qui tremblait un peu, je voudrais vous demander quelque chose…

– Demande… que veux-tu savoir?

– Monsieur Ségalens…

– Eh bien! que lui veux-tu, à ce beau jeune homme?

– Rien, oh! rien… Seulement, pourriez-vous me dire s’il est rentré… d’un voyage qu’il a dû faire?

– Il est rentré, dit La Veuve simplement. Je l’ai vu.

– Merci! oh merci! Alors, vous l’avez vu?

– Bien sûr que je l’ai vu! fit-elle d’une voix indifférente. Puisque cela t’intéresse, je te dirai donc qu’il est venu chercher ses meubles, et qu’il est reparti, cette fois pour toujours. Il nous a dit qu’il s’en retourne se marier dans son pays, où sa fiancée l’attend depuis longtemps…

– Ah! fit doucement Marie Charmant.

Et comme La Veuve s’en allait en lui lançant un «Au revoir!» plein de rancune satisfaite, la bouquetière recula jusqu’au lit de fer qui occupait le fond de la pièce, et elle s’y laissa tomber, abattue et sans forces…

* * * * *

– Monsieur Finot, cette fois, je tiens la piste…

– Je vous écoute.

Voilà, monsieur. J’ai acquis la conviction que Jean Nib et la fille Rose-de-Corail vont se terrer ce soir dans un hôtel borgne du boulevard de la Chapelle, à La Marmotte.

M. Finot ferma les yeux, joignit les mains sur son ventre, et médita quelques minutes. Alors, d’une voix brève:

– Vous, dit-il, devant la porte de la Marotte. Deux hommes au coin de Tanger. Deux au coin d’Aubervilliers. Bon. Un homme à l’angle de Château-Landon, un autre au coin, de l’Aqueduc. Sept en tout. Ça suffit. Pas un mot au patron, hein? Et personne là-bas avant une heure du matin. Je connais mon homme: il nous glisserait dans les doigts; il faut l’empaumer en plein sommeil. Moi, je serai sur les lieux à une heure et demie précises. Rompez!

La pendule marquait vingt-trois heures. Il jeta un dernier regard autour de lui.

Il se dirigea vers la porte. Mais soudain, il s’arrêta, fit demi-tour et marcha à la pièce occupée par Marie Charmant.

– Faites excuse, mademoiselle. Tiens! grommela-t-il, elle s’est endormie tout habillée sur son lit… Eh!…mademoiselle!… Elle dort bien!… Hum! (Il avança de deux pas.) Mademoiselle!… Réveillez-vous que diable!… (Encore un pas.) Ah ça!… Quel sommeil!… (Il se penche.) Oh! mais… elle s’est trouvée mal!… (Un cri étouffé, un sourd juron arraché par la stupeur.) Évanouie?… Non?… Ce bras que je lève retombe pesamment!… Ces yeux à l’envers!… Ces dents découvertes!… Sacré nom de Dieu!… Elle est… oui!… elle est morte!…

La pendule sonnait minuit.

Brusquement, les traits de Finot se détendirent.

Et alors, sans regarder, il empoigna le cadavre dans ses bras et le tint serré sur sa poitrine.

Et il se mit en marche.

Lourdement, pesamment, il traversa la salle à manger, et, par une machinale précaution, éteignit la lampe: il se trouva dans les ténèbres, avec ce cadavre dans les bras, poitrine contre poitrine… Un frisson le secoua de la tête aux pieds. Il grogna un sourd juron pour se donner du courage, et gagna la porte extérieure.