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Brusquement, elle entendit qu’on tirait les verrous.

– Courage, courage!… Mademoiselle Marie, c’est-y vous?… Oui, n’est-ce pas? Encore ce verrou!… Nom d’une chique, la bougresse ne les a pas ménagés, les verrous! Et ils sont de taille. Encore celui-là!… Ça y est!… C’est moi, n’ayez pas peur!… Tiens! par exemple!…

La porte ouverte, Zizi, demeurait stupide.

– La baronne! murmura-t-il.

La première pensée d’Adeline fut de chercher des yeux le poignard qu’elle avait laissé tomber dans sa lutte avec le baron d’Anguerrand. Elle le vit, le ramassa vivement et, alors, bien certaine de pouvoir se défendre, examina curieusement le gamin qui, tout interloqué, se tenait devant elle.

Elle éclata de rire.

– Le fait est, dit Zizi rageur, que c’est plutôt rigolo! Quelle veste! non, mais quelle veste!

Adeline riait nerveusement, furieusement.

Zizi s’était reculé, effaré, épouvanté de ce rire… Derrière cette porte qu’il venait d’ouvrir, il n’eût rien pu imaginer de plus tragique, pas d’apparition plus effrayante, plus imprévue que cette femme livide qui riait…

– Merci, mon petit ami, prononça enfin Adeline qui reprit son calme en même temps que le sang remonta à ses joues.

– Pas de quoi, dit Zizi, vrai, y a pas de quoi. C’est pas de ma faute. J’me suis trompé d’adresse.

– Qui êtes-vous? demanda-t-elle.

– Ah! zut!… C’est elle qui s’déguise en juge d’instruction, à c’t’heure? Qui que j’suis? Comme vous pouvez le voir, c’est moi que j’suis Zizi-Panpan… de la rue Letort.

Adeline tressaillit.

– D’oùs que vous avez enlevé la pauv’ petite, acheva Zizi, qui, en même temps, recula vivement de quelques pas, pour se mettre hors d’atteinte.

En effet, un frémissement avait agité Adeline, et ses yeux étrangement clairs s’étaient posés sur Zizi avec un si funeste éclat que le gavroche, comme il l’expliqua plus tard, en sentit la petite mort se faufiler le long de ses reins. Ce ne fut qu’un éclair. Déjà, Adeline, comprenant qu’il fallait à tout prix s’assurer le silence du gamin, lui souriait le plus aimablement du monde, et reprenait:

– Mais, mon petit ami, je ne sais ce que vous voulez dire…

– Bah! faites donc pas la gourde, madame la baronne. Je vais vous dire. J’ai tout vu. J’ai suivi votre sapin. Y a pas à tortiller: la gosse est entrée ici. Oùs qu’elle est maintenant, le diable, vot’patron, le sait mieux que moi. Seulement, je vais vous dire j’ai vu du sang dans la grande cuisine, là-bas. Alors, esgourdez bien, madame la baronne: si, dans deux jours au plus tard, la petite n’est pas rentrée rue Letort, je sais ce qui me reste à faire! À la revoyure, madame la baronne!

Zizi bondit en arrière: Adeline venait de s’élancer sur lui. Mais elle avait fait quelques pas à peine que déjà Zizi dégringolait l’escalier, se hissait en haut du portail, se laissait tomber de l’autre côté et disparaissait…

Adeline était demeurée quelques instants méditative. Dans les menaces de ce gamin, elle voyait une complication redoutable. Mais bientôt son visage se rasséréna et reprit cette expression de froide volonté qui lui était habituelle quand elle savait que nul ne la regardait.

Elle entra dans sa chambre à coucher et s’habilla d’un de ces vêtements de couleur sombre et de ligne modeste que les femmes mettent quand elles veulent passer inaperçues. Alors, elle ouvrit un coffre-fort dissimulé sous un placage de bois des îles figurant un charmant secrétaire vieux style. Dans un petit sac de cuir fermant à clef et se portant en sautoir, elle entassa à la hâte et sans les examiner des bijoux dont la valeur totale pouvait monter à deux millions.

Lorsqu’elle fut prête, elle jeta un dernier regard autour d’elle, puis descendit et arriva au grand portail intérieur, qu’elle s’apprêta à ouvrir. À ce moment, la cloche de l’hôtel résonna dans le silence, au-dessus de sa tête.

Adeline demeura figée, muette, blême.

Sa première pensée fut celle-ci:

– Ce misérable gamin a été au premier poste venu, et maintenant, derrière cette porte, il y a des agents…

Cependant le silence demeurait profond, sauf une sorte de râle étouffé qu’Adeline entendait.

– Oh! le guichet! songea-t-elle tout à coup.

Elle approcha son visage du judas grillagé et murmura:

– Ce n’est pas la police… Qu’est-ce que cet homme?… Que veut-il?… Il a l’air épuisé… il se tient à peine… quelque malheureux dont je me débarrasserai par une aumône…

Résolument, elle ouvrit la porte, et tendant une pièce blanche à l’homme qui s’appuyait à l’encoignure:

– Tenez, mon brave, vous prierez Dieu pour moi…

L’homme, avec effort, releva la tête et, sourdement, murmura:

– Adeline!

Elle ne jeta pas un cri. Elle n’eut pas un geste inutile. Elle saisit Gérard dans ses bras, le soutint, le ranima de ses caresses.

– Toi! balbutia-t-elle enivrée, toi!… Blessé, dis?…Oui! blessé!… Par qui?… Par ton père?… Il a voulu te tuer?… Oh! le misérable!… Moi aussi, il a voulu me tuer… Peux-tu marcher?… Essaye… Il faut essayer… Il faut fuir, mon Gérard… fuir, entends-tu?… Car maintenant, nous sommes environnés d’ennemis mortels, et demain, la police…

– La police! gronda Gérard dans un effort; Oui…fuyons… soutiens-moi…

XXXVIII LE BARON D’ANGUERRAND

Vers cette même heure, un taxi s’arrêtait devant un de ces modestes pavillons qu’on remarquait alors à l’extrémité de la rue Damrémont. Le lendemain de la scène du Champ-Marie, Hubert d’Anguerrand avait loué ce pavillon pour trois mois. Le pavillon était tout prés de la maison du Champ-Marie. Hubert éprouvait comme un vague besoin de ne pas s’écarter de ce quartier. Il lui semblait que là devait être le centre des opérations de son fils. Là, aux antipodes de la rue de Babylone, Gérard devait dépouiller l’homme du monde pour devenir l’escarpe…

Qu’était devenu Gérard, qu’il avait laissé grièvement blessé? Qu’était devenue cette jeune fille qui s’était offerte à le conduire auprès de Lise (c’est-à-dire auprès de sa fille)? Le baron n’en avait aucune idée…

Après une installation sommaire dans le pavillon, il s’était rendu à l’hôtel d’Anguerrand où, peut-être, il avait le moyen de s’introduire secrètement et d’habiter même sans être découvert. Là, pendant deux jours, il avait guetté… et on a vu ce qui était résulté de son apparition soudaine au moment où Adeline fouillait dans l’armoire aux poisons.

Du taxi que nous venons de signaler, descendirent Lise et le baron d’Anguerrand. Lorsqu’ils furent dans l’intérieur de la maison et qu’une lampe eut été allumée, le premier soin d’Hubert fut d’inspecter la blessure de Lise plus minutieusement qu’il n’avait pu le faire dans l’office de l’hôtel. La blessure n’offrait aucune gravité. Le baron la pansa soigneusement, et voulut alors conduire la jeune fille dans une chambre où il y avait un lit.