Выбрать главу

«Lorsque le petit Edmond et la petite Valentine furent habillés, le baron les prit dans ses bras, et entra dans son cabinet. Il ferma la porte et déposa les enfants sur un canapé. À coups de poing, il défonça un secrétaire. Il avait pourtant sur lui la clef de ce secrétaire. Lorsque le meuble fut ouvert, il y prit une liasse de billets de banque, cinquante mille francs, peut-être, il ne compta pas. Au loin, il entendait des cris, des allées et venues. Alors il rouvrit la porte et appela. L’homme qu’il appelait se nommait Barrot. C’était un serviteur de confiance qui, pendant les absences du baron, remplissait les fonctions de garde. Hubert grondait en lui-même: «Barrot, c’est l’homme qu’il me faut!…» Et, en effet, cet homme était dur, sans scrupules… il n’avait ni femme, ni enfants et n’était pas du pays. Au bout de quelques minutes, Barrot se présenta en disant: «Ah! monsieur le baron, quel malheur! quel malheur!… – Il ne s’agit pas de cela, lui dis-je, ou quelque chose d’approchant: suis-moi!…» Je pris Edmond dans mes bras. Je fis signe à Barrot de te prendre. Vous pleuriez. Je descendis par un escalier que je savais désert. Barrot me suivait… Bientôt nous fûmes dans le parc… Alors, je marchai à grands pas, je marchai furieusement sans m’inquiéter des branches qui me fouettaient, étouffant d’une main les cris d’Edmond… C’était horrible!… et aujourd’hui comme alors, c’est horrible, Valentine!…

«Hubert d’Anguerrand parvint à la limite du parc, à une petite porte qui donnait sur les champs. Barrot avait la clef de cette porte. Sur l’ordre du baron, il l’ouvrit. Alors, Hubert déposa à terre le petit Edmond, et fit signe à Barrot d’en faire autant pour toi. Barrot attendait, effaré… «- Tu vois ces deux enfants, Barrot? – Je les vois, monsieur le baron!… – Eh bien, ce sont deux bâtards!» Edmond et Valentine ne pleuraient plus. Ils vivaient une minute d’épouvante. Ils se serraient l’un contre l’autre. Eux aussi, ils attendaient, les pauvres petits!… Le baron sortit de sa poche la liasse de billets de banque et la tendit à Barrot. Et il lui dit: «- Barrot, veux-tu te charger de ces deux enfants? Je sens que s’ils restent ici, je les tuerai. Je n’ose pas les tuer, tu comprends? – Je comprends, monsieur le baron. – Alors, tu t’en charges? – Je m’en charge, monsieur le baron! – Il y a dans ce paquet une fortune. Elle est à toi, Barrot! – Merci, monsieur le baron! – Écoute, maintenant. Si jamais tu reparais par ici, ou si l’un des deux bâtards reparaît, je te tue, comprends-tu bien? – Je comprends, très bien, monsieur le baron – Alors, prends les deux bâtards, et va t’en! Adieu, monsieur le baron!…» Voilà l’entretien qui eut lieu. Je vivrais des siècles que j’entendrais toujours la voix de Barrot me disant – Adieu, monsieur le baron!…» Barrot te saisit dans ses bras pour t’emporter… Et il saisit Edmond par la main. Moi, je rentrai dans le parc et je fermai la porte… J’étais débarrassé des deux bâtards! Alors, une chose terrible se produisit… Ces petits ne voulaient pas se laisser emmener! Ils résistaient! Ils appelaient leur mère!… Et je ne bougeai pas, Valentine! Je ne me ruai pas pour les reprendre! Il n’y eut pas de pitié en moi! Il n’y eut qu’un soulagement, te dis-je! Enfin, je ne les entendis plus!…

«Lorsque Barrot eut disparu dans la nuit, je me dis: Je n’ai plus d’enfants! Si! j’ai encore Gérard!… Ah! mais Gérard est mien, celui-là!… Je me dis cela, et j’ajoutai: Maintenant que j’ai tué l’amant, maintenant que je suis débarrassé des bâtards, c’est le tour de la femme adultère… Et alors, je pris ma course vers le château. Il est sûr qu’une heure ne s’était pas écoulée en tout depuis le moment où j’avais tué le comte de Damart. Je pris ma course, donc, pour tuer encore… tuer ta mère… Lorsque j’arrivai au château, je vis des gens rassemblés dans le vestibule. Je devais avoir un visage effrayant, car je vis ces gens, après avoir fait un mouvement pour me barrer le chemin, s’écarter, blêmes et tremblants… et tout à coup, sans savoir par où j’étais passé, je me retrouvai dans le boudoir. Je vis le corps du comte de Damart qu’on avait placé sur un canapé. J’allais m’élancer dans la chambre à coucher, lorsqu’il me sembla que le comte faisait un mouvement. Je courus à lui pour l’achever. Alors je m’aperçus qu’il y avait quelqu’un prés de lui. Ce quelqu’un était un médecin. Je l’entendis qui disait: «Il revient…» Et alors, je me penchai sur le blessé, et je vis qu’il tenait encore dans sa main crispée le papier… le papier d’amour qu’il lisait et que ta mère approuvait d’un signe de tête. Dans ce moment le comte de Damart ouvrit les yeux, et me regarda sans colère; et il répéta: «Vous m’avez tué. Hubert…» Je voulais parler, crier, le frapper, le piétiner, et je demeurais comme frappé de vertige, la folie au fond du cerveau, sans pouvoir faire un geste ni prononcer un mot. Louis de Damart parla encore, et voici ce qu’il me dit: «Hubert, vous m’avez recueilli, pauvre, vous m’avez fait une existence heureuse, je vous pardonne vos injustes soupçons…» Alors, ma langue se délia. Je me penchai davantage sur lui, et je lui dis: «Misérable ce papier…» il sourit, sa main s’ouvrit, je saisis avidement le papier et le parcourus: c’était le compte général de fin d’année établissant les chiffres de sa gérance.

«Le papier me tomba des mains. Je n’étais pas convaincu. Mais déjà se faisait jour en moi cette idée sinistre, effroyable, que Jeanne Mareil avait menti, peut-être… Péniblement, le blessé parvint à se soulever et saisit ma main. «- Avoue, balbutiai-je. Avoue! Dis-moi la vérité, et je te jure de pardonner à ta complice.» Il me regarda d’un regard si clair qu’il me semblait lire au fond de son âme, et il me dit «Écoutez, Hubert. Vous savez que, comme vous, je crois en Dieu, je crois en la vie future, je crois en l’immortalité de l’âme et en l’éternité des peines réservées au chrétien qui a parjuré le nom du Seigneur… Vous le savez? Je le sais, dis-je. – Alors, écoutez: puisse mon âme, qui va entrer dans les mondes inconnus, errer à jamais dans les sombres régions de deuils et de désespoirs, si je mens! Dans quelques minutes, Hubert, j’aurai à répondre à un juge autrement redoutable que vous. Sur ce juge qui nous voit et nous entend, sur le salut de mon âme, sur Dieu, je jure que je suis innocent, et que cette pauvre femme qui porte votre nom est innocente. Je jure que jamais un mot, un regard, une pensée n’ont de moi à elle témoigné d’autre sentiment que le respect et la vénération. Je jure que la pauvre baronne vous aime et n’a jamais aimé que vous. Hubert, je meurs par vous. Si vous…» Il voulut ajouter quelques mots. Mais, à ce moment, sa parole devint confuse, il retomba sur le canapé; bientôt une mousse sanglante rougit ses lèvres; il me jeta un dernier regard et expira…