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«Maintenant, monsieur, continuez votre confession, je vous en prie…

– Ma confession! gronda le baron. Tu as dit le mot. Rude confession, ma fille! Je ne voudrais pas, sur le salut de mon âme, revivre l’heure que je viens de vivre… Pourtant, je continue. Où en étais-je, ma fille?… Je fus, t’ai-je dit, laissé en liberté provisoire, – qui, plus tard, se transforma en liberté définitive… Lorsque ma conférence avec le juge d’instruction fut terminée, je me rendis auprès de ta mère. Je la trouvai debout, habillée comme pour sortir. Par un miracle de l’amour maternel, la malheureuse Clotilde, que j’avais laissée mourante, avait trouvé la force de se lever et de se faire habiller elle voulait courir à la recherche de ses enfants!… Je parvins à la calmer, je lui jurai que je croyais à son innocence parfaite, et je lui dis que, dans mon premier aveuglement, j’avais donné l’ordre à Barrot de conduire les enfants à Paris, en notre hôtel de la rue de Babylone, où je voulais les soustraire à la mère que je croyais coupable. Ce récit était plausible. Clotilde me crut… «- Partez donc, me dit-elle fiévreusement, partez sans perdre une minute, et ramenez-moi mes enfants!» Je partis, à demi fou… je ne devais plus la revoir… Dans la soirée, Valentine, ta mère succomba subitement… sans avoir eu la consolation de t’embrasser une dernière fois…

«Je partis et me jetai à corps perdu sur les traces de Barrot. Pendant huit jours, je battis le pays, fouillant les moindres hameaux, m’arrêtant aux fermes les plus isolées. Je dressais des interrogatoires d’une logique serrée; je ne commis pas une faute, je n’omis aucun détail, je reconstituai l’itinéraire exact de Barrot jusqu’à Angers, et j’aurais pu dire heure par heure ce qu’il avait fait…, mais ces détails sont inutiles…

Lise tressaillit. Elle parut hésiter quelques instants. Son front se couvrit d’un rouge de fièvre. Puis, brusquement, d’une voix tremblante, elle prononça ces paroles:

– C’est maintenant, au contraire, que votre récit prend pour moi un intérêt poignant. Je vous en supplie, dites-moi tout, même ce qui vous paraît inutile…, rappelez-vous tous les détails de vos recherches…

– Oh! dit amèrement le baron, ce n’est pas la mémoire qui me manque! Plût au ciel que j’eusse pu oublier! Mais je n’ai rien oublié… rien!

Il y eut entre Lise et Hubert d’Anguerrand quelques minutes d’un silence plein d’angoisses mystérieuses.

XXXIX LA NUIT DE NÖEL

– Monsieur, dit Lise avec une résolution soudaine, vous m’avez dit que vous aviez pu suivre mes traces jusque sur la route des Ponts-de-Cé. Voulez-vous me permettre une question, maintenant? Jusqu’à quel point de la route, exactement, avez-vous suivi mes traces?

– C’est bien facile, et tu dois connaître l’endroit, puisque tu as été élevée dans le pays; les traces s’arrêtèrent à la Héronnière, à trois kilomètres des Ponts-de-Cé. Tu connais ce lieu, n’est-ce pas?

– Oui, dit Lise d’une voix faible comme un souffle.

Et en même temps, elle songea:

«L’enfant qui fut ramassée à la Héronnière, ce n’est pas moi puisque, moi, mon pauvre vieux père Frémont m’a trouvée à la croisée des routes! La fille du baron d’Anguerrand, c’est Marie Charmant!…

– Laisse-moi te raconter les choses dans l’ordre, et tu verras, reprit le baron. Je t’ai dit que mes premières recherches durèrent huit jours. Hélas! elles devaient durer des années!… Le huitième jour, je fus rejoint à Angers par un serviteur qui, après m’avoir inutilement cherché à Paris, était revenu et s’était mis à ma poursuite. Ce fut ainsi que j’appris la mort de ta mère. Cette nouvelle, toute terrible qu’elle était, glissa pour ainsi dire sur moi. C’est à peine si, après un débat avec moi-même, je consentis à me rendre au château, le corps de ta mère ayant été provisoirement déposé dans la chapelle. J’assistai comme dans un rêve à l’enterrement. Je m’impatientais des retards, des longueurs de la cérémonie. Je t’ai dit que ma tête n’était plus à moi, et que je retrouvais ma lucidité seulement pour combiner des recherches. Dans la même journée, je fus de retour à Angers, dans la misérable auberge où j’avais la dernière piste de Barrot. Jusque-là, j’avais reconstitué les marches et contremarches de Barrot. Mais, à cette auberge, je fus au pied d’un mur infranchissable. Il me fut impossible de savoir autre chose, sinon ceci: que l’homme signalé par moi, après avoir passé deux jours dans l’auberge, s’était mis en route avec les deux enfants la veille de Noël. Et comme l’hôte avait insisté pour le retenir en lui montrant la neige qui tombait, Barrot avait répondu en riant qu’il voulait assister à la messe de minuit… De quel côté avait-il pris? Par quelle route était-il sorti de la ville? Il me fut impossible de le savoir! Je fouillai la ville. Cela dura jusqu’au 5 janvier.

«Le 5 janvier au matin, l’un des émissaires que j’avais lancés… il y en avait une quinzaine… – vint me trouver et, à brûle-pourpoint, m’annonça qu’il avait découvert Barrot. Je tombai comme assommé sur le coup, mais je revins promptement à moi. Alors l’homme me dit qu’en désespoir de recherches, il avait eu l’idée d’aller compulser la liste des malades en traitement à l’hôpital et qu’il avait vu le nom de Barrot… Dix minutes plus tard, j’étais à l’hôpital. C’était lui! Mais Barrot n’était pas seulement malade: il était blessé. Il avait la tête emmaillotée de linges, et je sus qu’il avait le crâne ouvert. Je sus aussi qu’il avait deux autres blessures sur le corps et quantité d’ecchymoses. Sûrement Barrot avait dû soutenir une lutte désespérée contre des assaillants nombreux. Je sus enfin que, sur les trois blessures principales, celle du crâne était mortelle et que rien ne pouvait le sauver. Je m’approchai de son lit, je lui parlai; mais il ne me reconnut pas… Alors je me fis raconter tout ce que l’on savait au sujet de l’attaque dont Barrot avait été victime. Ce qu’on savait se réduisait à ceci: Barrot avait été trouvé, le matin de la Noël, à six heures, par des maraîchers se rendant au marché d’Angers, à vingt pas de la Héronnière, sur la route. Il avait été porté à l’hôpital. Pendant quelques jours, on avait pu espérer, sinon le sauver, du moins obtenir de lui des indications sur ses assassins que la police recherchait inutilement. Mais Barrot n’avait pu recouvrer le sentiment d’une manière assez prononcée pour pouvoir être interrogé. Seulement, doué d’un tempérament exceptionnel, il avait lutté contre la mort et prolongé son agonie au delà de toute prévision. Enfin, depuis la veille, il subissait des syncopes de plus en plus prolongées c’était la fin… Alors je dis que Barrot était un de mes serviteurs et demandai l’autorisation de le faire transporter dans une maison que je possédais à Angers. On me répondit que le transport achèverait de tuer le blessé… Alors je demandai que le lit de Barrot fût porté hors de la salle commune, dans une chambre spéciale, et cela je l’obtins. À force de sollicitations et d’argent, j’obtins également de m’installer prés de lui – et on admira mon dévouement. Le lit de Barrot, enlevé par huit hommes, fut porté dans une chambre particulière, et je demeurai seul avec le blessé… espérant un miracle.

– Et ce miracle que vous attendiez ne se produisit pas?

– Au contraire. Dieu permit qu’à l’heure suprême, Barrot sortît de sa syncope pour me parler. La journée s’était achevée, et je n’avais bougé de la chambre où râlait doucement le blessé. Une grande partie de la nuit s’écoula. Vers quatre heures du matin, je vis tout à coup que Barrot me regardait. «- Est-ce que tu me vois? lui demandai-je en tremblant. – Oui! – Est-ce que tu me reconnais? – Oui!… – Peux-tu parler? – Je puis essayer, mais hâtons-nous, car je vais mourir. – Courage, lui dis-je, tu ne mourras pas, puisque tu reviens à toi. – Dans une heure, je serai mort…» Il me regarda de ses yeux étrangement fixes… Écoute donc attentivement, Valentine, car il est possible que quelque détail te rappelle cette nuit de Noël et que tu puisses éclaircir un point demeuré obscur…