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Dehors, Lise nota le numéro du pavillon, puis le nom de la rue. En effet, elle ignorait entièrement ce quartier. Quant à trouver la rue où elle avait été prisonnière de La Veuve, c’était facile, bien qu’elle y eût été amenée de nuit par Jean Nib et qu’elle en fût sortie la nuit aussi, lorsqu’elle avait suivi Adeline. Dans le courant des entretiens qu’elle avait eus avec Marie Charmant, elle avait appris que cette rue s’appelait la rue Letort. Le premier gardien de la paix qu’elle rencontra lui indiqua le plus court chemin pour s’y rendre.

Lise, sans plus tarder, avait commencé son enquête. Elle avait visité déjà une quarantaine de maisons. Le temps s’écoulait, mais elle ne se décourageait pas.

Il serait bien étonnant, songeait-elle, que je ne finisse pas par tomber sur une voisine qui la connaît et qui m’indiquera la maison; au pis aller, j’irai ainsi jusqu’au bout de la rue.

Tout à coup, vers le milieu de la rue, elle vit sortir une femme d’une maison, et s’arrêta court sur le trottoir, pâle de terreur. Machinalement, elle leva les yeux sur la maison et elle la reconnut. Ce devait être cette maison et pas une autre.

Pourquoi? Parce que cette femme venait d’en sortir… et cette femme, c’était La Veuve.

– Elle ne m’a pas vue! songea Lise. Et puis, quand même elle me verrait? En plein jour, avec tout ce monde, qu’ai-je à craindre? N’est-ce pas elle plutôt qui pourrait redouter que je ne la dénonce? Pauvre femme!… Pourquoi la dénoncerais-je? Qui sait ce qu’elle a pu souffrir!… Et puis, elle n’était que l’instrument d’une autre… d’Adeline!

Elle tressaillit… Adeline!… sa sœur!… La fille de Louis de Damart! Oh! il fallait se hâter pour la délivrer… quoi qu’il pût en advenir…

Elle traversa rapidement la chaussée et entra dans la maison d’où elle avait vu sortir La Veuve.

À peine eut-elle disparu dans le couloir que La Veuve revint sur ses pas…

Elle avait vu Lise!…

Le visage de La Veuve ne témoigna ni étonnement, ni joie, ni un sentiment quelconque. Seulement, il y eut dans ses yeux une rapide flambée. Et comme elle se rapprochait de l’entrée, avec des mouvements obliques et glissants, si l’un des nombreux passants qui circulaient sur les trottoirs l’eût examinée dans cette minute, il eût été épouvanté de cette allure d’araignée guettant la mouche qui va se prendre… Mais chacun allait à ses affaires, nul ne s’inquiétait des allures de La Veuve.

La Veuve, penchée à l’entrée du couloir, écoutait ce qui se disait dans la loge de Mme Bamboche.

– Une bouquetière? Mlle Marie Charmant? faisait la voix de la concierge. Pour sûr qu’elle reste ici. Ou plutôt qu’elle y restait. Il y a qu’un beau jour la pauvre petite n’est pas rentrée.

La Veuve n’en écouta pas davantage. Elle se retira en souriant comme elle pouvait sourire.

– Je la tiens! songeait-elle.

Lorsque Lise sortit de la maison, elle tremblait légèrement. Elle était abattue par la disparition de Marie Charmant comme par une catastrophe personnelle. Dans sa situation actuelle vis-à-vis du baron d’Anguerrand, elle n’aurait rien pu imaginer de plus poignant…

Elle s’en allait donc désespérée, osant à peine envisager la nécessité où elle allait se trouver de raconter ce qu’elle venait d’apprendre au père de Valentine, lorsqu’elle se sentit touchée au bras. Elle leva la tête et se vit en présence de La Veuve…

– Vous! balbutia-t-elle, reprise d’épouvante. Que me voulez-vous?…

– Vous demander pardon, dit La Veuve. Je vous ai fait souffrir. Vous devez m’en vouloir beaucoup…

– Soyez assurée du contraire, dit Lise en frissonnant. Plus je vous regarde, plus il me semble que vous êtes à plaindre plutôt qu’à haïr…

– Vous me plaignez donc? fit sourdement La Veuve.

– De tout mon cœur, dit Lise.

– Pourtant, j’avais une excuse, reprit La Veuve, comme si elle n’eût pas entendu la réponse de Lise. Je vous ai fait du mal, c’est vrai, mais je n’étais pas libre de ne pas vous en faire… Ce temps est passé…

– Oui, oui, bien passé, pauvre femme, dit Lise, et quant à ce qui me concerne, ne craignez rien de moi.

– Craindre? fit La Veuve d’un ton de surprise. Que pourrais-je craindre? Il y a longtemps que je ne puis plus rien craindre… Adieu, mademoiselle. Je vous remercie de me pardonner ce que je ne me suis pas pardonné, moi, puisque, pour réparer le mal que je vous ai fait, je m’impose de sauver une pauvre créature comme vous… Au fait vous la connaissez… c’est la petite bouquetière qui est venue vous voir dans le galetas… Adieu, et excusez-moi de vous quitter si vite.

La Veuve fit un signe de tête et s’éloigna rapidement.

En quelques pas, Lise, bouleversée d’émotion, l’eut rejointe et murmura ardemment:

– C’est bien de Mlle Marie Charmant que vous venez de parler? Sauriez-vous où elle se trouve? Si vous le savez, de grâce, dites-le-moi, et vous aurez rendu un grand service à des personnes en état de vous récompenser…

– Je le sais, puisque j’y vais, dit La Veuve. Malheureusement, la pauvre petite est obligée de se cacher; elle a dû quitter précipitamment la maison de la rue Letort, en sorte qu’on la croit morte, et elle a tout intérêt à passer pour morte… Excusez-moi donc, encore une fois, et adieu…

– Vous ne me quitterez pas ainsi, supplia Lise. Je vous dis qu’il y va de grands intérêts…

– Voyons, vous me jurez que vous n’avez pas de mauvaise intention?… Bon, bon…, je vous crois! Écoutez, réellement, je ne puis pas vous conduire prés de celle qui a mis en moi toute sa confiance… mais je puis lui demander si elle consent à vous voir…

– Et vous viendrez me le dire ce soir… et dès demain je pourrai venir la voir… Oh! c’est cela! Je suis bien sûre qu’elle en sera heureuse.

La Veuve tressaillit. Un nuage passa sur son front.

– Ce soir elle aura quitté Paris, dit-elle, pour toujours, elle l’espère.

– Que faire? balbutia Lise. Il faut pourtant que je la voie… il ne peut en résulter que du bonheur pour elle, et pour d’autres.

– Voici ce que vous pouvez faire: suivez-moi à distance. Si vous changez de résolution en route, vous prendrez à gauche ou à droite sans que je m’en aperçoive, et tout sera dit… Mais si vous me suivez jusqu’au bout, vous vous arrêterez à quelques pas de la maison où j’entrerai. Si Mlle Marie consent à vous voir, je vous ferai signe par la fenêtre, et vous entrerez…

Ayant ainsi parlé avec son accent de morne et glaciale indifférence, La Veuve se remit en route sans attendre la réponse de Lise.

Lise la laissa gagner dix pas, puis elle se mit à marcher sans la perdre de vue. Son cœur battait sourdement, et, sans qu’elle s’en rendît bien compte, une espèce de terreur vague la gagnait peu à peu.

Lise continua à suivre la silhouette noire qui, maintenant, montait les rampes de Montmartre, puis contournait les clôtures du Sacré-Cœur, puis enfin, descendait une ruelle escarpée… Tout à coup, La Veuve tourna à gauche, dans un étrange chemin qui porte le nom de la rue Saint-Vincent.

En arrivant au coin de ce chemin, Lise revit La Veuve qui marchait toujours de son pas égal, lent, indifférent. La jeune fille, quelques secondes, s’arrêta. Là, il n’y avait plus personne! À gauche, un gros mur, soutenu de place en place par des contreforts, formait la terrasse, de terrains vagues ou de jardins incultes. Le long de ce mur s’ouvraient deux ou trois portes en mauvais état permettant de pénétrer dans les caves de deux ou trois bicoques dont l’unique étage, surplombant la rue, devenait rez-de-chaussée du côté de la terrasse. Lise vit La Veuve disparaître par l’une de ces portes…