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Ségalens pâlit. Un cri jaillit de ses lèvres. Il lâcha la crosse de son revolver qu’il tenait au fond de la poche de son veston et fit un mouvement comme pour saisir le bras de Biribi. Mais à ce moment, celui-ci, ayant jeté un regard sur ses acolytes, se leva brusquement au même instant, Tête-de-Veau s’élançait vers la porte de la route, qu’il fermait, et le Rouquin allait se planter devant la porte du fond. Ces divers mouvements s’étaient exécutés en un clin d’œil, et Ségalens vit se lever au-dessus de sa tête le poing formidable que Biribi balançait comme une massue, en grondant:

– Va lui porter ça de ma part, à Marie Charmant!

Ségalens, en gestes méthodiques mais rapides comme trois décharges de foudre, exécuta trois mouvements. Un: il plaça ses mains sous la table et ses mains nerveuses se crispèrent au bois. Deux: il souleva la table sur laquelle retomba alors le poing de Biribi. Trois: il rejeta violemment cette table à toute volée.

Il y eut un bruit de bouteilles brisées, des jurons furieux, des grondements de fauves qui sentent la pique du dompteur sur leurs mufles. Biribi, renversé, se releva d’un bond, sa face monstrueuse bouleversée de fureur, et il vit Ségalens qui, en deux sauts, avait gagné un angle du cabaret.

– Surine-le! hurlèrent les escarpes.

Biribi tira son couteau, l’emmancha solidement à son poing et s’avança. Un silence terrible s’abattit sur cette scène. Les quatre autres bandits marchèrent de conserve, par mouvements lents et obliques.

Ségalens vit qu’il avait devant lui un cercle de cinq couteaux…

Il braqua son revolver, et dit froidement:

– Vous êtes cinq et j’ai six coups à tirer. Je vous préviens que je ne raterai pas un de vous. Tenez, vous allez voir si je sais viser. Je vais tirer mon sixième coup, puisque vous n’êtes que cinq; je vais le tirer là-bas, sur le goulot de cette bouteille…là… la dernière sur la tablette… regardez!

Les escarpes s’arrêtèrent et regardèrent, hébétés de stupeur devant un pante si peu semblable aux autres, littéralement hypnotisés par la curiosité. Ségalens tira.

Le goulot de la bouteille sauta et tomba, tandis que la bouteille elle-même vacillait à peine sur sa base.

Il y eut un recul parmi les escarpes.

Les quatre acolytes de Biribi gagnèrent doucement du côté de la porte.

Biribi demeurait à la même place, cloué au sol par la stupéfaction.

– Tas de vaches! rugit-il. Vous avez le taf, hein?…

Les escarpes s’arrêtèrent.

– Coco s’est esbingé, murmura le Rouquin en signe d’humble explication. Sûr qu’il a été chercher des flics. Allons, aboule-toi Biribi… On retrouvera le pante…

– Et moi, fit Biribi d’une voix étranglée, je dis que le premier qui fiche le camp…

Un geste de son couteau indiqua clairement quel sort il réservait à ceux qui refuseraient de lui obéir. Pris entre deux terreurs, les escarpes hésitaient. Pourtant la terreur du revolver et la police que le garçon pouvait ramener d’un instant à l’autre était la plus forte…

– Finissons-en, dit Ségalens.

Le revolver toujours braqué, dans la main droite, il se fouilla de la main gauche et sortit quelques pièces d’or.

– Attention! poursuivit-il tranquillement. Je vous donne à choisir. Un louis ou une balle. Je commence par toi, l’homme au crâne poli. Veux-tu une balle dans la peau? Veux-tu un louis?… Le louis si tu t’en vas. La balle si tu restes.

– Zut! fit Tête-de-Veau d’une voix rauque d’émotion. Aboulez le jaunet, et je décampe!

Ségalens jeta un louis que l’homme attrapa à la volée. L’instant d’après, Tête-de-Veau avait disparu, laissant ouverte la porte du cabaret.

– À toi, l’homme aux cheveux roux, dit Ségalens avec un éclat de rire. Que choisis-tu?

– Le jaunet, gronda le Rouquin, haletant.

Quelques secondes plus tard, il ne restait dans la salle que Ségalens, toujours son revolver au poing, et Biribi, livide de rage, mais tenu en respect par la certitude d’être tué d’une balle s’il faisait un pas en avant.

– À ton tour, dit Ségalens. Seulement, à toi, je ne te propose pas un louis pour t’en aller. Je te propose un billet de mille francs, mille, entends-tu, si tu veux causer gentiment avec moi…

– Si vous n’aviez pas votre rigolo, fit Biribi dans un grognement farouche, vous ne seriez pas si costaud…

Et, d’un geste furieux, avec un soupir de rage impuissante, il jeta son couteau inutile jusqu’au fond de l’arrière-salle.

– Ne croyez pas, au moins, que ça va se passer en douceur. J’aurai deux comptes à régler au lieu d’un, voilà tout. Mais je vous aurai. Si c’est pas ce soir, ce sera dans un an. Mais je vous aurai!

– Alors! fit Ségalens d’une voix étrange, tu crois que si je n’avais pas mon revolver, j’aurais peur de toi?

– Oui, dit le bandit rudement.

– Eh bien! regarde. J’ai tiré une balle, n’est-ce pas?

– Oui… mais il vous en reste cinq!

Ségalens sourit, leva le canon vers le plafond, et appuya cinq fois de suite sur la gâchette. Au lieu des détonations, Biribi entendit cinq fois le bruit sec du barillet tournant à chaque coup… Le revolver n’avait qu’une balle!… Et cette unique balle, Ségalens l’avait déchargée sur une bouteille!…

Alors, Ségalens remit son revolver dans sa poche.

Biribi demeura quelques secondes immobile, le front penché; il frissonna de fureur, en crispant les poings à cette pensée que ses acolytes et lui-même avaient été arrêtés par un revolver vide:

– Oh! les vaches! gronda-t-il, les sacrées vaches!…

En même temps, il se défit de son veston, et retroussa les manches de sa chemise. Il riait. Il grognait des choses confuses. Il tressaillit d’une joie effroyable.

– C’est comme ça?… T’as plus de rigolo?… Tu vois cette main-là?… Je marche sur toi, je t’empoigne à la gorge, et j’te serre le kiki! Qu’est-ce que je te disais que tu irais faire un tour au rendez-vous des Macchabées? Qu’en dis-tu?…

– Essaye! dit paisiblement Ségalens.

Biribi écarta deux tables qui le gênaient. Ségalens, dans le même coin, ne fit que d’imperceptibles mouvements; mais ces mouvements l’avaient calé sur ses jambes et mis en garde, les coudes ou corps, les deux poings prêts à l’action, légèrement ramassé sur lui-même.

Biribi recula de deux pas, cherchant le mode d’attaque.

Tout à coup, il baissa la tête, la renfonça dans les épaules, se courba, et d’un bond, il fut sur Ségalens. Au même instant, il jeta un grognement de douleur et recula en vacillant, la face sanglante… Ségalens l’avait saisi par la nuque de la main gauche, et son poing droit, en trois ou quatre coups brefs, avait puissamment martelé le visage du bandit.

Aveuglé par le sang, ivre de rage, Biribi avait reculé pour s’essuyer et recommencer l’attaque.

Et, comme il portait les deux mains à sa figure, Ségalens, à son tour, fonça sur lui… Le corps-à-corps fut bref; Biribi, étourdi par les coups, n’y voyant plus, les yeux noirs, le nez écrasé, Biribi étendit ses deux mains pour saisir son adversaire à la gorge. À ce moment, il tomba à la renverse, sur le dos, et Ségalens fut sur lui, le maintenant par les épaules, les genoux sur sa poitrine.