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«Un spectacle effrayant s’offrit alors aux yeux du magistrat. M. de Perles était étendu sur son lit, les couvertures rejetées, un couteau planté en pleine poitrine. Il n’y avait dans la chambre aucune trace de lutte. Aucun vol n’a suivi l’assassinat. Un médecin commandé en toute hâte ne put que constater la mort de l’infortuné gentilhomme et assura que le décès remontait à plusieurs heures.

«La police a aussitôt commencé des recherches très actives. Nous pouvons affirmer que, dès ce moment, les soupçons se concentrent sur un dangereux malfaiteur, Jean Nib, qui ne tardera pas à tomber dans les mains des agents. Ce Jean Nib est précisément l’audacieux coquin qui, arrêté au moment où il allait cambrioler la villa de Neuilly, s’est évadé pendant son transfert à la prison de la Santé…»

Il y eut un instant de silence, puis Gérard tendant le journal à Adeline, dit:

– Relisez-moi cet article où est relatée la mort de Robert de Perles…

Adeline reprit sa place et se mit à lire sans émotion. Pourtant, il avait été son amant, ce jeune homme! Mais loin d’éprouver un regret, une ombre de pitié pour cette fin tragique d’un homme qui avait eu ses caresses, elle s’en réjouissait paisiblement, comme d’une délivrance… Lorsqu’elle eut fini de lire, Gérard continua silencieusement sa promenade et Adeline s’abîma en de lointaines réflexions… Gérard l’entendit qui murmurait:

– Il n’y à que les morts qui ne parlent pas!…

– Pourquoi dites-vous cela? demanda-t-il en s’arrêtant.

– Cela?… Que disais-je donc?…

– Vous disiez il n’y a que les morts qui ne parlent pas.

– Ah?… Rien, fit Adeline sans tressaillir. Des idées qui me passaient, par la tête…

Gérard se rapprocha, se pencha sur elle, et, d’une voix sourde:

– Vous savez bien que les morts parlent quelquefois. Car celui que nous avons tué a parlé, lui, parlé et agi!…

– C’est que nous l’avons mal tué, dit Adeline avec une effroyable sérénité.

– Oui, dit Gérard d’une voix sombre. Et pourtant, il eût dû mourir. Mille autres, à sa place, se fussent tués. Il a fallu que cette misérable barque de pêcheurs bretons passât à cette minute-là et non à une autre minute. Il ne passe peut-être pas trois barques par an au pied des rochers de Prospoder!… Mais l’homme qui calcule doit toujours s’attendre à la mauvaise fortune, jamais à la bonne. L’homme qui calcule doit tout prévoir; sinon, il ne gagnera pas. Il fallait prévoir la barque, Adeline!… Et pourtant, quand je songe à la nuit terrible, je ne puis m’empêcher de vous admirer… L’idée de l’appui du balcon scié et maintenu par une simple cheville qu’il suffit d’enlever, cette idée-là est d’une profonde et ténébreuse conception… et c’est une femme, une jolie femme aux mains délicates qui conçut cela! C’est une femme qui eut la force d’âme nécessaire pour appeler la victime sur le balcon, pour l’obliger à s’appuyer, pour enlever cette cheville à cette seconde-là!… Je me souviendrai toujours, Adeline, que quand je rentrai dans la chambre, attiré par je ne sais quel magnétisme irrésistible, quand je vous vis penchée sur l’abîme, écoutant le cri de détresse que j’entendis aussi, moi… quand je vis votre visage immobile, plus terrible à contempler que le visage du ciel tourmenté de cette nuit de tempête… je vous trouvai belle, Adeline, d’une étrange beauté qui me fascinait, me faisait peur, et versait dans mes veines des torrents de feu… Jamais plus je ne vous ai vue ainsi!

Adeline tressaillait d’orgueil, frémissait d’une de ces joies infernales que Dante prête parfois à ses damnés, et vibrait d’une passion que chaque parole de Gérard soulevait plus violente, comme chaque souffle des vents du large soulève plus haut la vague qui se gonfle, monte, gronde et se déchaîne…

Jamais Gérard ne lui avait parlé ainsi!

Jamais elle ne l’avait senti si prés d’elle!

– Ô mon Gérard, balbutia-t-elle enivrée, pâlissante, pour toi, pour te conquérir, pour être toute à toi, et t’avoir à moi seule, corps et âme, que ne serais-je pas capable de faire! Gérard, tu as été injuste pour moi… Si tu me connaissais, si tu savais ce qu’il y a d’amour dans ce cœur et dans ce corps, tu te jugerais au-dessus de tous les hommes car jamais homme n’a été aimé comme tu l’es…

Elle s’était levée et l’avait saisi dans ses bras…

– Oui, dit-il, d’une voix que la passion faisait haleter, je sais que tu m’aimes, Adeline… Je suis fier de ton amour, fier surtout de ta fidélité, à l’épreuve même de mon dédain apparent…

– Fidèle! bégaya Adeline. Oh! quelle femme fut jamais plus fidèle que moi!…

– Je le sais! Je sais que tu as été courtisée par tout ce que Paris compte de gentilshommes brillants… et qu’aucune séduction n’a eu prise sur toi…, oui, je le sais!…

– Gérard, tu m’enivres, tu m’exaltes! Serait-il possible qu’enfin je t’aie vaincu!… dis! oh! dis, mon bien-aimé, est-ce que la joie suprême de ton baiser m’est enfin réservée!…

Souple, ardente, vraiment belle de sa passion comme quelque beau marbre impudique de Canova qui s’animerait sous le souffle embrasé de l’amour, elle l’enlaçait, ses lèvres cherchaient ses lèvres… Gérard s’abandonnait… Tout à coup ses yeux tombèrent sur, la lettre fermée, sur l’enveloppe trouée par le couteau de Jean Nib, sur le papier blessé, taché de gouttes brunies… et il murmura ces paroles étranges:

– Il n’y a que les morts qui ne parlent pas!…

– Que voulez-vous dire, haleta Adeline, saisie d’une vague épouvante, comme si elle eût redouté que le cerveau de Gérard ne se fût détraqué.

– C’est vous qui disiez cela tout à l’heure, Adeline!… Et, sans doute, vous songiez à Anguerrand…

– Oui, oui, c’est cela… Je songeais à ton père… Mais toi, à qui… à quoi songes-tu en répétant ces paroles?

Gérard, sans répondre, ramassa le journal qui relatait la mort du marquis de Perles, et, simplement. il dit:

– Robert de Perles est mort…

Adeline eut un effroyable sursaut du cœur. Elle devint livide. Plus rudement, elle reprit Gérard dans ses bras.

– Cela est insensé, gronda-t-elle. Je t’aime Gérard… Je me donne à toi tout entière… Je t’offre mon âme, ma chair… Gérard! Gérard!… ne m’aimeras-tu jamais?…

– Je t’aime! murmura Gérard éperdu, fasciné, tandis qu’Adeline poussait un cri de joie triomphale qui ressemblait à un gémissement de damné… Je t’aime et je suis à toi!… mais écoute… C’est une folie…

– Quoi?… Parle!… Tu me fais mourir!…

– Cette lettre… cette enveloppe qui m’a sauvé la vie…

– Eh bien!… cette lettre…, une invitation quelconque… tu l’as dit cent fois…

– Non! Je me souviens, à présent! Je me souviens parce que de Perles est mort!… Je me souviens parce que je viens de lire que de Perles a été assassiné… Cette lettre… elle m’a été remise par son valet de chambre sur le terrain du duel deux minutes après qu’il fut tombé, blessé… mort, croyait-on… tué… par le coup d’épée de Ségalens…