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Adeline n’eut pas la force de prononcer un mot. Elle sentait ses genoux se dérober sous elle. Elle grelottait. Un désespoir atroce, infini, descendait sur son âme.

– C’est une folie, te dis-je! reprit Gérard. Mais maintenant que de Perles est mort, il faut que j’ouvre cette lettre!…

Il saisit la lettre, et avec une sorte d’avidité déchira l’enveloppe.

Gérard avait lu. Il riait, en effet. Sa physionomie n’était pas changée. Il se tourna vers Adeline:

– Les morts parlent quelquefois. Tenez. Lisez.

Il tendit la lettre du bout des doigts…

Adeline lut:

«Monsieur,

«Il est juste que vous sachiez, vous et pas d’autres, pourquoi je me suis battu, pourquoi j’ai été touché et pourquoi je suis mort: j’aime la femme qui porte votre nom, et je n’ai pu supporter que de mes bras elle passât à ceux de mon rival et adversaire.

«MARQUIS DE PERLES.»

Adeline laissa tomber la lettre de ses mains et demeura immobile, les yeux baissés, toute droite, toute raide, la figure amincie et comme vieillie, emportée sur les ailes de quelque songerie effroyable.

Elle releva les yeux et vit que Gérard n’était plus dans le petit salon. Un soupir souleva son sein. Elle était affreusement pâle; une sorte de tic nerveux plissait ses lèvres et faisait battre ses paupières d’instant en instant…

Soudain, Gérard reparut. Il était habillé, le chapeau sur la tête, prêt à sortir. Il vint à Adeline, et, sans colère, prononça:

– Puisque vous vous êtes donnée à ce de Perles et à ce Ségalens, il n’y a aucune raison de penser que vous n’avez pas été la maîtresse de tous ceux qu’on vous donnait pour amants. Je ne vous en veux pas, je ne peux pas vous en vouloir. Simplement, notre association est rompue. Je m’en vais… Vous auriez dû ménager mon orgueil, Adeline. En vous donnant le titre de baronne d’Anguerrand, je pensais que vous m’aideriez à faire de mon nom quelque chose de grand et de redoutable dans la vie parisienne. Vous en avez fait quelque chose de ridicule. Je ne veux pas être ridicule. Je vais être obligé de me créer une identité nouvelle, un nom nouveau, de devenir un personnage nouveau, afin que personne ne puisse sourire quand je passe. Vous comprenez que vous avez fait quelque chose d’irrémédiable, n’est-ce pas? Je vous laisse le nom et le titre de baronne d’Anguerrand. Il vous est loisible d’en faire ce que vous voudrez; cela ne me regarde plus. Adeline, Adeline. Si je vous entraînais avec moi dans ma personnalité nouvelle, vous ne seriez sans doute pas capable de garantir cette personnalité contre les atteintes du ridicule. Ridicule? Moi? Allons donc! J’ai cru que vous étiez une femme exceptionnelle, capable de monter plus haut que le crime. Vous êtes simplement une femme nerveuse. Vous en êtes encore à l’adultère, et je ne me sens pas le courage d’entreprendre votre éducation. Nous nous séparons donc, notre association se trouvant dissoute. Je vous quitte sans joie et sans chagrin. Adieu, Adeline…

Il avait parlé vraiment sans joie et sans chagrin, sans mépris, sans colère.

Une association dissoute, voilà tout.

Adeline le vit qui s’en allait paisiblement.

Et lorsqu’elle eut entendu se refermer lourdement la porte de la rue, elle tomba à la renverse, de tout son long, sans une plainte, sans un soupir…

XLIV DEUX GAMINS JOUAIENT…

Gérard, en sortant du pavillon, se dirigea vers la rue Letort. Il y avait sur son visage, dans son allure et ses attitudes une indomptable résolution. Coûte que coûte, il atteindrait le baron d’Anguerrand – et aussi Jean Nib. La Veuve seule pouvait le mettre sur la piste… Quant à Adeline, il la retranchait de sa pensée, comme il venait de la retrancher de sa vie. Gérard n’était pas l’homme des songeries inutiles.

Lorsqu’il arriva, Mme Bamboche s’apprêtait à fermer la porte. Aux questions de Gérard, elle répondit simplement que La Veuve était à la campagne, sans qu’on pût savoir au juste de quel côté se trouvait cette campagne.

Gérard se retira, pâle de rage, assommé par cette réponse.

La disparition de La Veuve était pour lui une émotion autrement redoutable que la lettre de Robert de Perles. Toute sa résolution tomba. Que faire, maintenant? Où aller? Par quel bout de Paris commencer sa recherche?…

Avec La Veuve, il tenait le fil conducteur. Une fatalité stupide lui arrachait ce fil…

– Si j’allais au Champ-Marie? songea-t-il. Peut-être, oui… ou bien aux Croque-Morts? Qui sait?… Voyons! Il faut dès cette nuit, dès cet instant, que je me décide… que je trouve un indice… n’importe quoi!

– J’te dis que si tu t’dépêches, t’arriveras à temps chez l’épicemar…

– C’est toujours mon tour! Vas-y! Tu m’envoyes toujours et tu te roules les pouces!

C’étaient deux voix de gavroches arrêtés à quelques pas de Gérard. Ils discutaient aigrement.

– De quoi! reprit l’un d’eux, tu fais d’la rebiffe? La Merluche, on t’a changé!

– J’y vais!…

Zizi s’effaça le long du mur à quelques pas de Gérard. Quelques minutes se passèrent. Là-bas, l’étalage était rentré: les garçons mettaient les volets. La Merluche revint.

– Quoi qu’t’as?

– Une boîte de massepains, dit La Merluche.

– C’est pas bezef, gronda Zizi.

– Dame! on fermait, mon vieux. Y avait plus qu’ça et de la jujube à l’étalage.

– Enfin, ça vaut mieux que peau de balle et balai d’crin. Soupons!…

Les deux voyous s’assirent tranquillement sur la bordure du trottoir, la boîte de massepains entre eux deux. Chacun à son tour plongeait la main dans la boîte. Seulement, quand c’était le tour de La Merluche, il en sortait l’un des petits gâteaux. Quand c’était le tour de Zizi, la boîte était soulagée de deux massepains dont il mangeait l’un et escamotait l’autre dans ses poches.

– C’est épatant, observa La Merluche, j’aurais cru qu’il y en avait davantage.

– Tu bouffes tout, pardi! Tu fais le goinfre. Laisse-moi le fond, au moins! Y en a plus qu’sept ou huit. Écoute, Merluchon, si tu veux m’laisser le fond, j’te dirai mon grand truc pour estamper La Veuve…

Gérard tressaillit. Il eut un mouvement comme pour s’avancer, mais il se retint et s’immobilisa dans son encoignure.

– Sûr? demandait La Merluche, tu m’diras l’truc?

– C’est juré que j’tè dis!

– Eh bien! prends le reste de la boîte. Mais donne-moi z’en de la boîte. Mais donne-moi z’en encore un!

Zizi octroya généreusement un massepain au digne La Merluche et engouffra le reste dans sa poche.

– Moi, reprit-il, j’ai l’truc pour faire casquer les poires. À preuve le billet de cent francs que j’ai subtilisé ce soir-là à la baronne de va-te-faire-lan-laire. En v’là encore une, la bougresse! Plus moyen de savoir oùs qu’elle perche!

– Et alors, dis que j’pourrais faire casquer La Veuve.

– T’as pas encore la main. Ça viendra… Seulement, écoute: nous partagerons. Sans ça, rien d’fait!

– Moitié chacun?…

– Ça va!