– Donc, reprit Zizi, tu vas trouver La Veuve, bien gentiment; tu commences par causer avec elle de la pluie et du beau temps; tu la vois qui s’tortille, qu’à l’air emberlificotée de t’voir, et finalement, elle te demande: «Mais, mon petit Julot, comment qu’ça s’fait qu’t’as dégoté mon adresse?…»
– Et si elle ne me le demande pas?
– Elle te le demandera! C’est juré, que j’te dis!…
– Bon! fit La Merluche convaincu. Elle me demandera comment qu’j’ai trouvé son adresse. Et alors?
– Alors, tu lui répondras…
«Comment qu’j’ai trouvé votre adresse, La Veuve? Bien simple! Vous savez que mon dab exerce la profession de flic? Eh bien! quéqu’fois, à table, il raconte ce qui s’passe au commissariat. Alors figurez-vous qu’nous y a raconté que la préfecture donne une prime à tout agent qui découvrira oùs que vous perchez. Alors, mon paternel voudrait bien gagner la prime, vu qu’ça mettrait du beurre dans les épinards pour le prochain terme…»
– Alors, c’est entendu? Demain matin, à huit heures, j’t’attends au pied du Calvaire, Y avait justement quéqu’jours que j’voulais y aller pour y faire un pèlerinage… j’profiterai d’l’occase…
Et Zizi, se levant, poussa La Merluche étourdi par cette arithmétique, en lui disant:
– File donc, il n’est qu’temps! V’là onze heures et demie qui sonnent!
* * * * *
Le lendemain matin, à l’heure dite, le fils de l’agent Chique, ayant quitté le domicile paternel en disant qu’il se rendait à l’ouvrage, grimpa sur les hauteurs de la Butte, et, à l’endroit convenu, trouva Zizi qui l’attendait. Zizi, en apercevant son lieutenant, remit ses billes dans sa poche et dit simplement:
– Amène-toi!…
Pendant le trajet, il répéta ses instructions. Puis, parvenu au coin de l’étrange sentier qui porte le nom de la rue Saint-Vincent, il s’assura que les abords étaient solitaires et lança La Merluche.
Ce dernier demeura une demi-heure chez La Veuve.
Il sortit enfin et rejoignit Zizi. À ce moment, un homme passant prés de ce dernier s’engageait dans la rue Saint-Vincent; mais Zizi le vit à peine, hypnotisé qu’il était par La Merluche qui arrivait en courant.
La Merluche exhiba triomphalement deux billets de banque de cinquante francs. Zizi en saisit un et le fit disparaître.
– Raconte un peu comment que ça s’est passé…
– Mon vieux, épatant! D’abord, La Veuve, en me voyant, a paru tout à fait tourneboulée. Si ses yeux avaient été des pistolets, j’étais fait. Puis, quand j’y ai eu dit le coup de la prime, et qu’on la cherchait, elle n’a pas fait ouf! Elle s’est assise, si tellement estomaquée qu’j’en ai eu peur. Et puis quand j’y ai eu dit que pour cent balles j’fermerais ma boîte, elle a pensé une minute à des choses, puis elle m’a aboulé les deux faffes et elle m’a dit:
«- Mon p’tit Julot, j’bougerai pas d’ici pendant huit jours; si tu veux revenir dans huit jours, j’te donnerai dix fois plus qu’aujourd’hui, tu entends? Dix fois plus, ça fait mille! Seulement, si on m’trouve d’ici là, j’pourrai rien t’donner…
– Ça, murmura Zizi à part lui, ça veut dire qu’elle va décamper aujourd’hui…
– Alors, continua La Merluche, j’y ai juré que j’dirai rien à personne, tu penses! et que j’reviendrai dans huit jours…
– Veinard! fit Zizi. Tu vas être trop riche! Mille balles! Non! y a qu’à toi qu’ces choses-là arrivent!
XLV L’ÂME DE LA PETITE LISE
Lorsque La Merluche, sur l’instigation de Zizi, eut rendu visite à La Veuve, lorsque celle-ci lui eut remis les cent francs, La Veuve, demeurée seule, s’assit sur son escabeau, les jambes brisées, le visage convulsé de terreur et de haine.
Que la police fût à sa recherche, elle n’en douta pas un instant. Et du moment qu’on la cherchait, sa capture n’était qu’une question d’heures.
– M’en aller d’ici? songea-t-elle. C’est ce qu’il y a de plus pressé. Mais elle… comment l’entraîner en plein jour? Si elle crie, je suis perdue. On me l’enlève.
Elle se trouvait alors au premier étage de la bicoque; étage qui donnait de plain-pied sur les jardins et devenait ainsi rez-de-chaussée; un escalier de bois permettait de descendre au niveau de la rue Saint-Vincent, c’est-à-dire à une sorte d’entrée sur laquelle s’ouvrait la salle basse où était enfermée Lise.
Tout à coup, La Veuve entendit que quelqu’un montait l’escalier. Elle eut un frémissement, et quelque chose comme une malédiction gronda sur ses lèvres.
– C’est la police! trop tard! Valentine m’échappe!
À ce moment, l’homme qui montait étant arrivé tout prés d’elle releva la tête, et La Veuve poussa un strident éclat de rire: ce n’était pas un agent… c’était le fils d’Hubert… le frère de Valentine!
– Nouvelle réunion de famille! songea La Veuve. Que va-t-il sortir de là?… Salut, monsieur le baron, ajouta-t-elle à haute voix.
– Salut, La Veuve! dit Gérard d’Anguerrand. Mais, pour vous mettre tout de suite à l’aise, je veux vous apprendre que j’ai un autre nom que celui que vous me donnez. Je m’appelle aussi Lilliers… Je m’appelle aussi Charlot…
– Asseyez-vous donc, monsieur le baron. Je vous attendais. Je ne sais pas comment vous m’avez dénichée ici, mais je vous attendais.
– Savez-vous ce qui s’est passé au Champ-Marie?
– Pas exactement, dit La Veuve, puisque, pendant que vous montiez, moi j’étais ficelée par Jean Nib…
– Par Jean Nib!…
– Et je me doute que, du moment où Jean Nib vous est tombé dessus, monsieur votre honorable père, un honnête homme… oui! un honnête homme, puisque aucun des crimes qu’il a commis n’est prévu et puni par le code…
«Qu’est-ce que je disais? reprit-elle. Oui, puisque Jean Nib est apparu au Champ-Marie, je me suis doutée que les choses avaient mal tourné pour vous. J’ai vu partir votre père…
– Mais vous disiez que Jean Nib vous avait attachée?
– Eh bien! je m’étais détachée, voilà tout. Jean Nib a sauvé M. le baron d’Anguerrand.
– Écoutez, La Veuve! dit Gérard. Peu m’importe, au fond ce que vous avez vu ou pas vu. Je viens simplement vous demander: «Qu’est devenu, Jean Nib, Qu’est devenu le baron d’Anguerrand?»
– Vous avez raison! dit rudement La Veuve. Avec un homme comme vous, il est stupide de ruser. Mais avant de répondre à votre question, je veux vous en poser une autre après l’affaire du Champ-Marie, je ne vous ai pas cherché, vous, puisque je vous croyais mort. Mais j’ai cherché madame votre digne et honorable épouse.
– Pourquoi? demanda froidement Gérard.
– J’avais une affaire avec vous. J’en avais une autre avec Mme la baronne, une autre que vous ne saviez pas, vous, que vous ne deviez pas savoir!
Cette affaire que vous ne saviez pas, continua-t-elle tout haut, je vais vous la dire. Pendant que je vous conduisais au Champ-Marie, la baronne, votre noble épouse, montait chez moi pour y voir quelqu’un… Stupidement, j’avais eu confiance dans la parole de cette honnête femme… Le quelqu’un qu’elle devait voir… quelques minutes seulement… rien que pour lui dire quelques mots…, c’était ma fille…