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– Votre fille? interrogea Gérard étonné.

– Oui: ma fille! Pourquoi n’aurais-je pas une fille, moi aussi? Et pourquoi, ayant une fille, ne l’aimerais-je pas tout autant que M. le baron peut aimer la sienne?

– Je vous crois, La Veuve. Je vous crois capable d’amour, puisque vous êtes capable de haine…

La Veuve eut un regard étrange pour celui qui lui parlait ainsi. Elle frissonna, Un sanglot étouffé la secoua…

Puis, secouant la tête, elle reprit:

– Avez-vous confiance en votre femme?

– Oui, dit froidement Gérard.

– Tant mieux, fit la Veuve avec un sourire sinistre. Cependant, dites-moi, elle n’existe que par vous. Si une raison quelconque vous séparait d’elle, que deviendrait-elle?

– Elle serait réduite à la misère, dit Gérard qui se demandait: «Est-ce qu’elle saurait ce qui s’est passé hier entre Adeline et moi?…»

– C’est cela! reprit La Veuve. Aujourd ’hui la baronne millionnaire, la grande dame de l’hôtel d’Anguerrand, demain rien du tout… la misère!… si vous vous séparez d’elle… si, par exemple, vous veniez à aimer une autre femme…

– Ce n’est pas probable! dit Gérard avec la même froideur.

– Ce que je vais vous dire… votre femme le savait… notez cela, monsieur le baron!… Elle le savait… et elle vous le cachait… comprenez-vous?

– Je comprends, fit Gérard avec une profonde attention. Mais qu’avez-vous à me dire?…

– Je veux vous parler… de cette jeune fille que… votre femme est venue voir chez moi…

– Votre fille? fit Gérard en tressaillant.

– Oui: ma fille! répondit La Veuve avec un horrible sourire.

– Voyons, La Veuve! Mon temps est précieux. Pouvez-vous, oui ou non, me donner le moindre indice sur Jean Nib?…

– Jean Nib? Il a échappé à Finot. Voilà tout ce que je sais. Vous connaissez Finot?

– Oui! dit Gérard.

– Eh bien! depuis un mois Finot est sur les dents. Finot renonce. Jean Nib n’est plus à Paris. C’est plus que sûr! Et vous pouvez m’en croire. Car j’ai au moins autant d’intérêt que vous à mettre la main sur lui.

Gérard gronda entre ses dents un juron de rage, puis, jetant à La Veuve un regard profond:

– Et… le baron d’Anguerrand? Oh! pour celui-là, vous devez savoir, La Veuve! Ou bien vous n’êtes pas la femme que je croyais!…

– J’ai perdu sa trace.

– Malédiction! gronda Gérard qui pâlit.

– Patience! fit La Veuve avec un ricanement. Cela peut se retrouver… Eh bien.?… Vous vous levez?…

– Adieu, La Veuve! Je n’ai plus affaire à vous! fit brusquement Gérard.

– Vous croyez cela? grogna La Veuve en le saisissant par le poignet. Vous vous trompez. Ou bien si vous n’avez plus affaire à moi, j’ai affaire à vous… Je vous ai dit que votre noble épouse, profitant d’un moment de stupidité… ils sont rares chez moi…, mais enfin, elle en a profité… elle a pu voir ma fille!…

– Que m’importe?… allons., adieu, La Veuve!…

– Attendez donc!… Je dis «ma fille…» C’est une façon de parler. J’aime tant cette jeune fille!… Et bien, croyez-vous que votre noble et bonne épouse me l’a enlevée?

– Enlevée? fit Gérard surpris. Et quel intérêt?…

– Attendez donc!… Elle me l’a enlevée sous prétexte aussi que cette enfant vous aime… vous aime d’amour!… Comme si une sœur pouvait aimer son frère d’amour!… Quelle folie!…

Gérard chancela. Un nuage passa devant ses yeux, puis il devint pâle comme la mort.

Il s’avança lentement sur La Veuve, hésita une longue minute, et puis d’une voix confuse, murmura:

– Qu’est-ce que cela veut dire? Dois-je croire qu’il s’agit de Lise?…

– Et de qui s’agirait-il donc?… à moins que vous n’ayez une autre sœur.

Gérard respira péniblement. Il se disait à lui-même: «Cet espoir est fou. Cette vieille est folle. Et moi-même ne suis-je pas fou? Ne sais-je pas que Lise est morte? Il se disait cela, mais l’espoir était le plus fort.

– Et vous dites? Répétez. Voyons que dites-vous?

– Je dis que votre femme, la baronne Adeline, est venue chez moi dans la nuit où je vous ai conduit au Champ-Marie, et qu’elle m’a enlevé Lise. Voilà ce que je dis. Cela vous étonne? Je vous avais assuré que Lise était morte, n’est-ce pas? Que Jean Nib avait épargné votre père, mais qu’il avait frappé la fille, n’est-ce pas? Eh bien! j’ai menti. J’avais mes raisons pour mentir.

Maintenant, j’ai mes raisons pour dire la vérité. Voilà.

– Écoutez, dit Gérard, tâchez de me parler clairement. Je vous assure que votre vie ne tient qu’à un fil. Si vous mentez, si vous vous jouez du misérable cœur qui bat encore dans cette poitrine, je vous jure que vous aurez plaisanté pour la dernière fois.

Gérard était effrayant à voir et à entendre. Mais La Veuve se redressa.

– Vous menacez de me tuer. Moi, je ne vous menace pas. Vous ne pouvez pas me tuer, vous. Si j’avais dû mourir par l’un de vous, il y a longtemps que je serais morte. Je vous dis que je ne dois pas mourir encore. Car, sans cela, auriez-vous rencontré Jean Nib? Jean Nib qui me connaissait! Est-ce à moi que Jean Nib fût venu dire vue votre père était vivant? Est-ce à moi que Jean Nib eût amené Lise? Et encore aujourd’hui, comment se fait-il que vous m’ayez trouvée et que vous soyez là? Si je devais mourir, vous ne seriez pas là…

Gérard eut un rugissement qui exprimait le tumulte effrayant de sa pensée. Pendant quelques minutes, il demeura immobile, tremblant, la sueur au front.

– Je vous pardonne, dit-il, de m’avoir affirmé que Lise était morte, tandis qu’elle est vivante!…

– Je vous l’affirme. Je conçois votre joie… le contraire ne serait pas naturel… Quel frère ne se réjouirait d’apprendre que sa sœur n’est pas morte?

Un nuage passa sur le front de Gérard, fugitif et rapide comme ces vapeurs qui se dissipent à peine formées.

– C’est bien cela, dit-il. Quoi de plus naturel? Un frère… une sœur… Et où est-elle?…

– Demandez-le à la baronne d’Anguerrand. Mais elle ne vous dira rien. Ou bien elle inventera une fable: que Lise s’est sauvée… qu’elle ne sait plus… que sais-je! Tenez, si vous voulez vous confier à moi, je me fais forte de retrouver la petite…

– Vous? haleta Gérard.

– Moi. Et pourquoi pas?

– Comment ferez-vous?

– C’est mon affaire, dit La Veuve avec un mystérieux sourire. Mais si vous voulez venir dans un mois jour pour jour au rendez-vous que je vais vous assigner…

– Écoutez! interrompit soudain Gérard.

– Quoi? fit La Veuve sans frémir, sans pâlir, mais en elle-même éclata une formidable malédiction, et en même temps, par un mouvement d’apparente maladresse, elle renversa une chaise.

– Écoutez donc! gronda Gérard. Cette voix qui appelle… oh! cette voix!…

– Vous êtes fou! dit La Veuve. Vous croyez donc toujours qu’on est à votre poursuite?… Tenez, passons dans les jardins… et au surplus, il vaut mieux vous en aller par là…