– D’abord, fit Gérard, votre parole que vous ne m’avez pas vu, que vous n’avez pas vu… celle qui m’accompagne…
– Vous avez ma parole.
– Maintenant, Pontaives, je veux vous emprunter de l’argent…
– Combien? fit Max qui s’attendait à quelque gros emprunt motivé par il ne savait quelles causes. Car le baron d’Anguerrand était archimillionnaire au su et au vu de Tout-Paris.
– Une centaine de louis, dit Gérard.
Pontaives, cette fois, ne put maîtriser un tressaillement. Que s’était-il passé pour que le millionnaire baron eût besoin de deux mille francs, alors qu’il ne sortait jamais sans une grosse somme sur lui?…
Il se souleva à demi, et dit:
– Tournez-vous… Allongez la main vers cette japonaiserie que vous voyez… Tournez la clef… là… vous y êtes… Prenez ce qu’il vous faut, mon cher.
Gérard avait obéi. Au fond d’un tiroir, il vit quelques billets de banque et de l’or… l’argent de poche du riche désœuvré. Il prit deux billets de mille francs et referma le meuble.
– Je vous rendrai cela demain soir, dit-il.
– Fi donc! Ne parlons pas de cette misère, ou vous allez me faire croire que vous m’en voulez de ce que je me suis trouvé votre témoin adverse au duel de ce pauvre de Perles… Vous savez qu’il est mort?
– Oui. J’ai su cela hier. Mais passons maintenant à une troisième question Que dit-on de moi… depuis…
– On a dit… attendez donc… que n’a-t-on pas dit?…que vous aviez filé pour voir le soleil de minuit au Groënland; vous savez que c’est la mode… et d’autres, que vous aviez armé un yacht pour faire le tour du monde…
– La vérité est plus simple, dit Gérard qui eut un deuxième soupir de soulagement: nous étions à Prospoder… un vieux manoir que nous avons là-bas, en Bretagne… une toquade de feu mon père…
– Eh bien! vous me voyez enchanté! J’ai été seul à le dire, et par conséquent le seul à avoir deviné la vérité…
– Pontaives, vous possédez à Neuilly une villa dont j’ai admiré la position et l’agencement. Loin du bruit, loin des importuns, des murs élevés, enfin tout ce qu’il faut pour assurer le mystère. Pontaives, voulez-vous me céder votre villa?
– Jamais! s’écria Pontaives en riant.
– Alors, louez-la moi? Il me la faut tout de suite!… Soyez généreux jusqu’au bout, Pontaives!
– Diable, mon cher!… Tout de suite? C’est que j’installe à Neuilly une jeune personne qui me tient fort au cœur et qui, elle aussi, veut absolument, et de toute nécessité, demeurer cachée… Il faut au moins deux jours pour lui installer un autre logis… et vous céder la villa.
– Vous êtes l’homme le plus généreux que je connaisse, dit Gérard avec une sombre émotion qui, du moins, était réelle. Vous faites là pour moi un sacrifice que bien peu de gens de notre monde eussent consenti. Mais, dites-moi, est-il réellement indiscret de vous demander qui est cette personne qui habite votre villa?…
– Magali est une cocotte, dit Pontaives; mais elle n’est pas ma maîtresse.
– Ah! elle s’appelle Magali?…
– Oui. Et tenez… elle a été la cause indirecte du duel de ce pauvre marquis avec mon ami Ségalens.
– Ce Ségalens est votre ami?
– Oui, dit gaiement Pontaives. Pour en revenir à Magali, je vous répète qu’elle n’est pas ma maîtresse. Je lui donne l’hospitalité dans ma villa, voilà tout. Mais je vous assure que j’ai rarement vu dans une femme plus de délicatesse de cœur. Elle est incapable d’une pensée basse. Et je suis bien heureux de rendre à la pauvre fille le service qu’elle m’a demandé en tremblant.
– Écoutez! fit brusquement Gérard. Votre Magali est-elle… comment dirais-je… enfin, y a-t-il dans ses manières ou son langage?…
– Quelque chose qui fasse soupçonner ce qu’elle est… ou ce qu’elle a été?… Elle a simplement les mœurs, les attitudes, le langage d’une honnête et brave petite ouvrière…
– Eh bien! en ce cas, j’ai trouvé la solution. Votre Magali et… la personne à laquelle je m’intéresse pourraient se partager la villa.
– Admirable! fit Pontaives en se levant.
– Eh bien! pourquoi n’irions-nous pas tout de suite à Neuilly?
– Partons!…
Gérard et Pontaives passèrent dans le petit salon où ils avaient laissé Lise.
– Chère enfant, dit Gérard en lui prenant la main, monsieur que voici et qui est un excellent, un bon ami à moi, vous offre l’hospitalité dans une maison où vous serez en parfaite sûreté…
Lise adressa un regard à Pontaives qui la saluait.
Mille pensées confuses passaient par sa tète.
Déjà Gérard l’entraînait…
Bientôt la limousine roula. La route se fit silencieusement. On arriva à la villa où avait eu lieu le duel. Pontaives introduisit Gérard et Lise dans un coquet petit salon, où il les pria de l’attendre.
Au bout d’une demi-heure d’absence, il revint en disant:
– C’est fait. Je vais vous montrer la partie de la villa qui sera honorée de votre séjour; et de la façon dont j’ai arrangé les choses, mademoiselle pourra prolonger ce séjour tout autant qu’il lui sera nécessaire ou simplement agréable…
La visite fut bientôt terminée. Trois pièces furent mises à la disposition de Lise et devaient constituer son appartement pendant son séjour, qui, assura Gérard, ne dépasserait pas un mois, peut-être quelques jours.
Lorsque Lise se fut retirée dans la chambre à coucher qui lui était destinée, Gérard, ayant fait signe à la jeune fille qu’il la rejoindrait bientôt, entraîna Max de Pontaives dans le petit salon et lui dit:
– Je n’oublierai jamais votre bonne grâce; quoi qu’il arrive, Pontaives, souvenez-vous que vous avez en moi un ami dès ce jour…
– Je n’ai jamais douté de votre amitié, baron. En eussé-je douté que la confiance que vous me témoignez de préférence à tant d’autres de vos amis me l’eût clairement prouvée.
– Non, Pontaives, non! Jusqu’à ce jour, je n’étais pas votre ami. Vous étiez pour moi une de mes nombreuses connaissances parisiennes… Aujourd’hui, je vous considère comme mon ami, et vous pouvez prendre note de ce que je vous dis là, pour l’avenir…
Gérard paraissait en proie à une émotion que Pontaives ne pouvait s’expliquer.
– Ce n’est pas tout, ajouta-t-il. Cette jeune fille, Pontaives, est réduite à se cacher… jusqu’à ce que j’aie arrangé certaines questions; ce sera l’affaire de quelques jours. Mais pendant ce temps, si court qu’il soit, j’ai besoin de toute ma liberté. Ni le jour, ni la nuit… (la nuit surtout, gronda-t-il en lui-même), je ne pourrai exercer autour de cette maison la surveillance nécessaire…