– Mon cher baron, dit Pontaives, je vous ai confié que Magali elle-même, pour des raisons que j’ignore, d’ailleurs, se trouve dans la même situation. J’ai donc dû prendre, hier, toutes les dispositions pour la mettre à l’abri. Mon ami Ségalens m’a promis de m’amener aujourd’hui un homme sûr, capable de protéger une femme contre toute tentative… d’enlèvement. Est-ce bien un enlèvement que vous redoutez?
– C’est cela même.
– C’est également ce que redoute Magali; du moins, c’est cela qu’elle m’a dit. Je vous avouerai que je n’étais pas autrement inquiet, les femmes ayant l’habitude d’exagérer… Je supposais donc que Magali était en parfaite sûreté ici. Mais puisque vous, vous dont je connais le sang-froid, craignez de semblables aventures, eh bien! je m’installe ici jusqu’à l’arrivée de l’homme que m’a promis Ségalens. La villa étant accaparée par nos deux prisonnières, ajouta-t-il en riant, je m’installerai dans ce petit pavillon que vous voyez là-bas, au bout du jardin. Et je vous assure que je monterai ma faction en conscience.
– Faisons le tour de la maison, voulez-vous?
– Soit!
Les deux hommes firent donc le tour du jardin. Ils rentrèrent dans la maison. Gérard s’assura de la solidité de la porte et des volets du rez-de-chaussée.
– Je n’ai rien à dire pour les volets, murmura-t-il, ils ont un système de fermeture qui défie toute effraction; mais la porte… la porte m’inquiète!
– Bon! fit Pontaives ébahi. Je défie bien le cambrioleur le plus avisé de l’ouvrir…
– Eh bien! enfermez-vous, dit Gérard, et vous allez voir…
Pontaives obéit, s’enferma dans le vestibule et poussa les verrous de sûreté. Gérard était resté dehors. Un quart d’heure se passa. Pontaives tenait ses yeux fixés sur la porte. Il souriait et songeait:
– Est-ce que la raison de ce brave baron serait quelque peu dérangée?…
Tout à coup, il tressaillit: il venait de voir la porte massive s’entr’ouvrir lentement, par poussées successives; Pontaives, stupéfait, n’entendait pas le moindre bruit; la porte cédait toujours, et, tout à coup, elle s’ouvrit, non pas toute grande, mais assez pour donner passage a Gérard qui apparut, ruisselant de sueur, la figure convulsée, avec une si étrange physionomie que Pontaives se sentit frémir d’un indéfinissable malaise.
– Mes compliments! fit-il en riant du bout des dents.
XLVII L’AMOUR DE LISE
Pour la première fois, réellement, depuis l’arrestation le jour même du mariage, Lise et Gérard se retrouvaient en présence.
Lorsque Gérard entra, d’un air riant et grave tout ensemble, Lise se leva s’avança au-devant de lui et lui tendit les deux mains qu’il prit. Ils demeurèrent ainsi une longue minute à se contempler…
– Comme tu es pâlie et changée! dit enfin Gérard.
– C’est que j’ai beaucoup souffert, Georges, répondit-elle. Peut-être ne suis-je plus à tes yeux celle que tu aimais tant!…
– Toujours! fit-il d’une voix basse et tremblante. Et, si je puis dire, plus belle encore!… Si je pouvais t’aimer davantage, je t’aimerais ainsi; me trouves-tu changé?
– Non, Georges! Tu es tel que je t’ai vu dans notre petit logement, avec ton front ombrageux, cette inquiétude au coin de tes yeux, et cette flamme de ton regard, et ce sourire qui tantôt m’effrayait par son mystère et tantôt faisait fondre mon cœur comme neige au soleil…
Elle était pa1pitante. Il tremblait…
– Assieds-toi, dit-il, nous avons à nous dire des choses graves… Pendant quelques jours, tu demeureras ici, chez Max Pontaives, un galant homme d’une amitié fidèle et de relations sûres. Moi, pendant ce temps, j’ai des affaires à arranger. Quand ce sera fini, nous chercherons ensemble une retraite où tu puisses vivre en toute sûreté. Consens-tu à accepter l’hospitalité de Pontaives?…
– Oui, Georges, puisque cela t’est nécessaire, à toi. Je serai courageuse pour cette nouvelle séparation.
– Elle sera brève, je te jure.
– Je te crois, Georges!
– Bien. Donc, tu demeureras ici en société avec une jeune dame dont tu n’as pas à te défier, mais qui n’est pas une femme que tu puisses fréquenter. Tu n’auras donc pour elle que les égards qui te seront inspirés par ton cœur; je ne sais si tu me saisis bien.
– Là-bas, tandis que tu causais avec ton ami, la porte était restée entr’ouverte; j’ai entendu ce qu’il a dit au sujet de cette personne qui s’appelle Magali…
– Et tu consens à demeurer avec elle?…
– Oui, Georges, puisque cela t’est nécessaire, à toi.
Gérard baissa la tête. Des pensées venues de très loin, imprécises et pourtant violentes, montaient dans son esprit et lui disaient qu’il se trouvait devant une âme exceptionnelle – comme la sienne, elle aussi, était exceptionnelle…
– Pourquoi persistes-tu à m’appeler Georges? fit-il brusquement. Tu sais que je m’appelle Gérard!… Gérard d’Anguerrand! Tu le sais, pourtant!…
– J’ai si souvent prononcé ce nom de Georges, qu’il est devenu familier à mes lèvres! dit Lise avec une douceur qui fit frémir l’homme jusqu’aux entrailles. Mais tu as raison… ton nom est Gérard… j’aimerai le nom de Gérard comme j’aimais le nom de Georges…
– Valentine! cria Gérard dans un sanglot.
– À mon tour! fit-elle avec un adorable sourire. Pourquoi m’appelles-tu Valentine, puisque mon nom est Lise?
– Lise!… Oui! tu t’appelais! Que de fois, moi aussi, l’ai-je balbutié avec ferveur comme un talisman de bonheur et de rédemption, ce nom chéri que tu portais lorsque je te connus… lorsque je t’adorai… lorsque je te donnai mon cœur pour toujours!… Mais, tu le sais… tu t’appelles Valentine!
– Eh quoi! n’as-tu pas entendu ce que j’ai dit quand tu m’as délivrée?…(Elle se leva.) Te parlerais-je de mon amour s’il était vrai que je m’appelle Valentine d’Anguerrand? Est-ce que je ne mourrais pas de honte en ta présence, si je n’avais acquis la preuve que ton père s’est trompé…
– Lise! Lise! que dis-tu? râla Gérard.
– La vérité. Dans la nuit de Noël, où je fus perdue et ramassée sur la route des Ponts-de-Cé, une autre fut perdue et ramassée sur cette même route. Cette autre, c’était la fille du baron d’Anguerrand. Moi je suis la fille de Louis de Damart et de Jeanne Mareil… Ton père le sait et je le lui ai prouvé… Mieux encore: j’ai vu celle qui devrait s’appeler Valentine… celle qui est ta sœur, Gérard…
Gérard frémissait. Lise reprenait le récit en quelques traits rapides, donnait des détails précis. Ces noms de Louis de Damart et Jeanne Mareil étaient familiers à Gérard, qui avait relu dix fois la confession de son père. Il n’y avait plus à douter: Lise n’était pas folle; Lise disait l’exacte vérité. Il en éprouvait comme un éblouissement. Mais, au fond de sa joie sincère, puissante, le bandit trouvait deux idées avec lesquelles il se colletait dès cet instant:
Le baron d’Anguerrand savait que Lise n’était pas sa fille.
Donc, Lise avait vu le baron. Donc, elle savait où il se trouvait…
Donc, par le moyen de Lise, il pouvait supprimer le baron d’Anguerrand!…
Deuxième idée: