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Lise avait vu la véritable Valentine!…

Donc, toujours et encore par le moyen de Lise, il pouvait supprimer Valentine, l’inconnue menaçante qui avait le droit de venir prendre sa part de la fortune!…

Ainsi, même en un tel moment, Gérard songeait surtout à s’assurer la possession de l’or. Même dans cette minute triomphante où l’amour de la femme adorée éclatait dans sa splendeur, c’était l’or qui exerçait sur lui sa fascination magique. Son amour pour l’or était plus puissant que son amour pour Lise. C’était chez lui un attrait matériel, une sorte d’influence magnétique. Entre Lise et toute autre femme si belle, si adorable fût-elle, il n’eût pas hésité: c’est à Lise qu’allaient les désirs de cette âme orageuse. Mais entre Lise et l’or, il n’eût pas hésité non plus: il eût tué Lise pour avoir l’or. Il l’eût tuée en pleurant. Il se fût maudit de la tuer. Mais il l’eût tuée…

Donc, au moment même où Lise faisait tomber l’obstacle qui eût pu les séparer encore, au moment où elle prouvait qu’elle ne s’appelait pas Valentine, qu’elle n’était pas la sœur de Gérard, lui, parmi les visions rapides et sanglantes qu’il évoquait, ébauchait le plan d’un double meurtre: celui du vieux baron d’Anguerrand et celui de cette Marie Charmant qui venait de lui être révélée.

Lise qui, tout à l’heure, dans la masure de la rue Saint-Vincent, s’était jetée dans les bras de Georges, se refusait maintenant au baiser de Gérard. Elle tremblait légèrement. L’azur de ses yeux se voilait d’une buée de larmes.

– Gérard, dit-elle avec une charmante fermeté, je vous aime. Il n’y a pas d’autre image que la vôtre dans ce cœur qui vous appartient et qui sera à vous jusqu’à son dernier battement. Pauvre fille sans nom, fille sans courage peut-être, puisque, pour vous aimer, je dois oublier que mon père est mort sous les balles du vôtre et que ma mère est morte parce qu’un d’Anguerrand l’a poussée au désespoir… Oui, si peu que je sois, il me reste assez de fierté pour n’appartenir qu’à l’homme dont je porterai ouvertement le nom… J’ai épousé Georges Meyranes… et Gérard d’Anguerrand a épousé Adeline…

– Eh bien! oui, c’est vrai! Mais je te jure qu’Adeline n’est pas la femme de Gérard…

Lise tressaillit.

– En douterais-tu? reprit-il ardemment. Pas une de mes pensées n’a été à cette femme. D’elle à moi, il n’y a eu qu’une association… Mais cette association même est dissoute. Il n’y a plus rien de commun entre Adeline et moi…

– Plus rien que le nom! dit Lise. Même, si j’osais concevoir qu’Adeline est morte et que vous êtes libre, comment Lise, mariée à Georges Meyranes, pourrait-elle épouser Gérard d’Anguerrand?…

– Celle qui a épousé Georges Meyranes s’appelait Lise, sans autre nom, dit Gérard avec une effrayante simplicité. Celle qui épousera Gérard s’appelle Lise de Damart. Il n’y a aucun registre d’état civil qui puisse établir que ces deux jeunes filles n’en font qu’une!

Le tremblement de Lise s’accentua. Que Gérard parût si à l’aise dans ces spéculations établies sur le faux en écriture publique, cela lui causait une sorte de vertige.

Ces arguments l’épouvantaient.

Elle sentait qu’elle allait soulever le voile de mystère qui recouvrait la vie de cet homme, et elle en éprouvait une insurmontable frayeur.

– Je t’ai convaincue, n’est-ce pas?… Aie confiance, toujours!… Pour toi, pour être à toi à jamais, mon esprit est capable de ressources inépuisables, et mon courage ne faiblira devant aucune complication…

– Gérard, je veux savoir… oh! pardonne-moi, mais cela me tourmente trop… je veux savoir pourquoi tu t’es présenté à maman Madeleine sous le nom de Georges Meyranes… je veux savoir pourquoi on t’a arrêté le jour… le jour où j’étais si heureuse…

Gérard eut en lui un grondement furieux.

– Voilà qu’elle veut savoir, maintenant! Écoute, reprit-il, tu m’obliges à une confession pénible. Mais puisque tu le veux, je te dirai tout…

Il se promena quelque temps, combinant ce qu’il allait dire.

– La vérité, Lise, dit tout à coup Gérard, c’est que j’ai eu le malheur de ne pas rencontrer tout de suite dans ma vie un ange comme toi… J’ignorais l’amour, et l’amour était le seul sentiment qui pouvait sauver un homme tel que moi…

«Lorsque je me trouvai maître de ma part de fortune, habitué au luxe, incapable de compter, je me jetai à corps perdu dans les amusements de la grande vie parisienne… Les courses, le jeu, en peu de temps, m’eurent entièrement ruiné. Alors je m’adressai à mon père. Le baron d’Anguerrand demeura inflexible… Sa sévérité devenue de la dureté, ses malheurs passés, raison peut-être dérangée par la perte de mon pauvre frère et de ma malheureuse sœur, tout cela fit qu’il fut pour moi non un père, mais un juge impitoyable pour des folies de jeune désœuvré… De là est venu mon malheur, Lise! Sans argent, je ne perdis pas courage, pourtant. Je me mis au travail, moi qui n’avais jamais travaillé. J’entrai chez un agent de change sous ce nom de Georges Meyranes…

«Affolé par la misère, car les cinq cents francs que je gagnais péniblement par mois, c’était la misère, je résolus de me refaire une fortune en jouant. Je perdis. Je puisai dans la caisse. Je fus dénoncé. Je sus qu’on me cherchait… Il ne me restait qu’un refuge contre le déshonneur: c’était la mort!… La destinée, Lise, voulut que tu te penchasses sur moi au moment où j’essayais de me tuer… Je le vis comme, dans un rêve… et il me sembla que je pouvais être heureux encore… Tu me soignas, tu me guéris… Lorsque je voulus partir, je m’aperçus que je t’aimais… Ô Lise, si tu ne m’avais pas aimé, je fusse parti, j’eusse gagné l’Amérique; ce nom de Georges Meyranes que j’avais adopté, je l’eusse rendu honorable entre tous… Mais tu m’aimais! et pour être à toi, Lise, j’eusse risqué la mort… Je risquai le déshonneur et la prison… Ce qui devait arriver, arriva!… Lorsque notre pauvre maman Madeleine te donna à moi, je n’eus pas le courage de tout avouer, de dire que je ne m’appelais pas Georges Meyranes, que j’étais un criminel, un homme déshonoré par le vol… Là fut ma faute…, et j’en fus cruellement puni, puisque je te perdis!

«Donc, je n’eus pas le courage de m’en aller, de refuser le bonheur qui s’offrait à moi. Vint le jour béni où, devant Dieu et devant les hommes, nous jurâmes de nous aimer toujours. Est-ce que mon serment avait moins de valeur parce que j’avais adopté un autre nom que celui qu’on m’a donné malgré moi à ma naissance? Je fus sincère, Lise. Mon serment de fidélité, d’amour, je l’ai respecté, je le respecterai jusqu’à mon dernier souffle…

Une flamme d’orgueil pur, une lumière d’ineffable joie, un rayon de soleil illuminèrent le front pâli de la petite Lise…

– Mon père est l’homme inexorable. Pour le mal qu’il m’a fait, je le hais. Si c’est un crime de haïr son père, je revendique ce crime. Sais-tu ce que fit mon père, Lise? Il me dénonça… et tu as vu les agents se saisir de moi à l’instant où j’entrais dans la gloire de la félicité… Lise, je me révoltai contre le malheur! Lise, je luttai contre les gens qui se saisissaient de moi! Je me sauvai!… Et alors, écoute… sais-tu ce que je fis? J’osai, oui, j’osai jeter un regard sur ta pauvre dot, ma bien-aimée… Ces billets de banque fourrés dans ma poche par maman Madeleine, je crus qu’ils étaient un talisman sauveur… La tête perdue, je courus chez l’homme que j’avais volé, je jetai les cinquante mille francs sur son bureau et lui me jura de retirer sa plainte… Dès lors, je redevenais un homme comme un autre… Lise, dis-moi si j’ai eu tort!…