Выбрать главу

– Ô mon Georges, murmura-t-elle d’une voix oppressée, qu’importe ce que tu as fait de cet argent? Il était à toi, puisque j’étais à toi tout entière…

Gérard, après ces paroles de Lise, demeura quelques instants pensif… Peut-être ne comprenait-il pas. Peut-être cette âme de ténèbres s’effarait-elle de cette lumière comme les oiseaux de nuit s’effarent de l’éclat du jour.

– Ma première pensée, alors, fut de revenir près de toi. Insensé! Que n’ai-je suivi cette inspiration? Lise, pardonne-moi: je doutai, non pas de ton amour et de ton pardon, mais de ton courage devant la misère. Je tremblai à la pensée que je ne pouvais t’offrir qu’une vie de pauvreté hideuse…

– La pauvreté, la misère avec toi, Georges, c’était l’opulence… Mais tu as bien fait de douter… Moi, j’eusse tout subi. Mais toi, mon bien-aimé, toi, habitué au luxe, avec tes instincts de grandeur… j’eusse trop pleuré de te voir pauvre, et j’eusse été une triste compagne de ta vie… Tu as bien fait de douter, Georges…

Pour la première fois depuis qu’il connaissait Lise, Gérard sentit qu’à son amour se juxtaposait un sentiment nouveau qu’il ne connaissait pas encore le sentiment du respect, montant peu à peu à la vénération.

Alors il comprit aussi qu’il venait une fois de plus de se tromper. Et que ses mensonges étaient misérables parce qu’ils étaient inutiles. Jamais comme dans cette minute il n’eut conscience de sa bassesse.

Il était trop tard. Il fallait continuer dans la même voie tortueuse…

– Lise, dit-il, tu me brises le cœur. Mais puisque j’ai commencé, j’irai jusqu’au bout… Je partis pour Prospoder. Et c’est alors que je t’écrivis, certain de revenir au bout de quelques jours. Je demandai cent mille francs à mon père. Il refusa. Je me traînai à ses genoux. Il refusa. La fureur s’empara de moi, et je levai la main sur lui… Lise, ô Lise, connais-moi tout entier si je ne fus point parricide de fait, je le fus en pensée! Et pourtant, peut-être n’étais-je pas tout à fait perverti, car je ne frappai pas… Une autre se chargea, à ma place, de consommer le crime… Adeline!… Et lorsque, fou de douleur… car je croyais mon père mort et je sentais alors que je l’aimais toujours… lorsque je demandai à cette femme pourquoi elle avait tué le baron, elle me répondit qu’elle avait ses raisons… Mais cette femme ne se contenta pas du crime qu’elle avait commis. Elle prit ses dispositions pour me donner toutes les apparences d’un complice. Et, un jour, elle me dit: «Ou vous m’épouserez, ou je vous dénonce pour crime de parricide…» Pourtant, Lise, j’eusse résisté s’il m’était resté un espoir de me rapprocher de toi. Mais cet espoir était détruit. Écoute: dans la scène affreuse que j’eus à Prospoder avec mon père, il me parla de mon frère Edmond, de ma sœur Valentine… il me raconta comment tu avais été perdue… Je rapprochai son récit de ce que m’a dit de ton enfance notre maman Madeleine, et j’en vins à conclure que Valentine c’était toi! que j’aimais ma propre sœur! Lise, tu ne sauras jamais ce que j’ai souffert. Pendant quelques mois, je fus comme un fou… Adeline profita de cet affaiblissement passager de ma raison pour me conduire à Paris et organiser le mariage qui eut lieu… Maintenant, tu sais tout, reprit Gérard. Que dois-je redouter? Que dois-je espérer? Y a-t-il en toi un peu de pitié pour le criminel que je suis? Ou dois-je porter le poids de ton mépris?

– Pitié? Mépris? dit Lise en levant vers lui ses yeux lumineux. Si d’autres ont pitié de toi, mon Georges, viens vers moi et je te consolerai de leur pitié. Si d’autres te méprisent, viens à moi, et je te consolerai de tous les mépris. De moi, tu n’as rien à redouter. Tes crimes, tes fautes, j’en pleurerai peut-être, mais pour le mal qu’ils te font à toi-même. De moi, tu n’as rien à espérer, puisque je t’ai donné toute ma pensée. Je t’aime! Georges, et fusses-tu maudit, proscrit, je ne crois pas que mon amour en subisse une atteinte… Ne me dis rien maintenant… laisse-moi penser à notre situation… Sûre de ton amour, sûre que j’ai le droit de t’aimer, que ne puis-je entreprendre?… Je crois que je puis te réconcilier avec ton père, car j’ai le droit de demander au baron d’Anguerrand un peu de bonheur pour tout le malheur dont il a frappé mon père et ma mère… Va… et laisse-moi te redire une seule fois la parole que tu m’écrivis et que, dans mes heures de désespoir, alors même que je voulais mourir, mes lèvres répétaient comme une assurance de bonheur «Aie confiance!…»

Gérard tomba à genoux, saisit les mains de Lise, et les couvrit de baisers furieux.

Quelques minutes plus tard, après de suprêmes recommandations faites à Pontaives, il s’élançait de la villa en grondant au fond de lui-même:

– Oui: redescendre une dernière fois dans l’enfer parisien pour remonter ensuite et à jamais vers le ciel de l’amour! Reprendre pour une dernière fois ma place dans la pègre, pour m’installer ensuite à jamais dans ma situation de millionnaire! Tenir à la fois ces deux éléments de félicité: l’amour et l’or!… L’amour, je l’ai! Jamais homme n’a été aimé comme je le suis… L’or, je vais le conquérir!… Un crime encore, et ce sera tout!… Mais, pour commencer, il me faut les premiers mille francs indispensables… Dans quatre jours au plus tard, il me faut cinquante mille francs… et on verra!

XLVIII LA FILLE ET LE PÈRE

Lorsque Pierre Gildas se vit rue Letort, précisément dans cette maison qu’habitait Ségalens, et non dans une autre, il fut d’abord effaré de cette sorte de fatalité qui le ramenait là.

Longtemps il pleura. Et Ségalens s’ingénia à apaiser l’homme de son mieux. Mais l’homme, après cette crise, tomba dans un abattement profond. Au bout de quarante-huit heures, le soir, comme Ségalens rentrait avec les éléments d’un dîner, l’homme se dressa, appuyé sur son bâton, et lui dit avec une sourde irritation:

– Je m’en vais. Que vous m’ayez tiré de l’eau, que vous m’ayez forcé à vivre, passe! Mais que vous m’ayez amené ici et non ailleurs, vous ne saurez jamais combien cela me fait de mal. (Il est fou, songea Ségalens.) Je ne resterai pas ici. Pour sûr, vous êtes un brave homme. Si ma mort pouvait vous être utile, je mourrais volontiers et avec plus de joie que la nuit, où là-bas, sous ce pont, je me suis laissé glisser dans l’eau qui m’appelait… Je ne veux pas rester ici. Je deviendrais fou. Ne m’interrogez pas là-dessus. Je ne vous dirais rien. L’essentiel est que je m’éloigne le plus tôt possible de cette maison.

– Mon cher monsieur, dit Ségalens, s’il vous plaît de vous en aller, la porte est ouverte. Écoutez. J’ai un oncle. Il s’appelle Chemineau, mon oncle. Il a une petite propriété dont il ne prend aucun soin. Il lui arrive bien, par-ci, par-là, de s’intéresser à un carré de jardin mais, en somme, il a là un terrain qui demeure en friche. Ce n’est pas très grand. Assez pour vous bâtir une maisonnette où vous seriez chez vous. Vous ferez du terrain ce que vous voudrez. Mon oncle Chemineau est toujours plongé dans ses calculs. Vous ferez pousser pour lui des fleurs et des légumes. Peut-être ne vous adressera-t-il pas dix paroles dans un mois. Mais vous, vous aurez à faire pousser des légumes.

– C’est mon affaire. Je connais l’élevage des poules. Votre oncle aura son poulet ou son pigeon à déjeuner quand il en aura envie.