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– Je vais entrer là et demander un morceau de pain. Tant pis!…

Et pour ne pas se laisser le temps d’hésiter, il marcha rapidement à la boulangerie et entra.

– Allons, bon! il n’y a personne! grogna-t-il.

Une seconde, en ce rapide coup d’œil instinctif des gens qui ne sont plus maîtres de leur pensée, il inspecta les lieux. Et, tout à coup, il se pencha, se coucha presque sur le marbre du comptoir…

Sa main, sans trembler, sans hésiter, sans tâtonner, trouva le tiroir et le tira… Cette main se plongea dans le tiroir… Tout cela, depuis l’entrée de Pierre Gildas dans la boulangerie, avait peut-être duré cinq ou six secondes…

Il se revit dans la rue sans se demander, sans savoir ce qui venait de se passer.

Seulement, comme il avait fait une vingtaine de pas déjà, et qu’il s’enfonçait dans la rue de Provence, derrière lui il entendit un tumulte et des cris effarés de gens criant: «Au voleur!» Puis les clameurs s’éteignirent, personne ne courait après lui…

Pierre Gildas continua son chemin de son même pas égal et morne. Sa main, au fond de sa poche, se crispait sur des choses… Il ne savait pas trop sur quoi…

Il marcha longtemps. D’instinct, il se dirigeait vers la Seine, pour chercher un abri sous quelque pont. Parfois il grommelait des mots qui traduisaient sa préoccupation…

– Il n’est pas mort… ça, c’est une veine!… Et ce qu’il y a de fameux dans cette affaire-là, c’est que c’est ma fille qui me l’apprend…

Il y avait plus de deux heures qu’il avait quitté le faubourg Montmartre, et il se trouvait à l’entrée du pont Royal, lorsqu’il s’arrêta avec un geste d’impatience et il grogna:

– Ah ça! qu’est-ce que j’ai donc dans ma poche?…

Il sortit ce qu’il avait dans sa poche: trois chiffons de papier et des ronds de métal.

Les trois papiers, c’étaient deux billets de cent francs et un de cinquante; les ronds de métal, c’étaient des pièces de vingt sous et douze sous; en tout, trois cent trente-sept francs et douze sous.

Pierre Gildas compta cette fortune à la lueur d’un bec de gaz.

Quand il eut fini de compter, il demeura une heure debout à la même place, avec l’argent dans sa main, ne sentant ni le froid, ni la faim, ni le vent de la Seine qui lui cinglait la figure. À la fin, il murmura:

– C’est ce que j’ai volé chez la boulangère.

Tranquillement, il remit l’argent dans sa poche.

Une heure plus tard Pierre Gildas, dans une des ruelles avoisinantes, pénétrait chez un de ces nombreux fripiers qui vendent au plus juste prix toutes les défroques possibles, depuis la cotte de travail jusqu’à l’habit de soirée, depuis la veste du garçon de café jusqu’au dolman de l’officier. Lorsqu’il en sortit, il était proprement vêtu d’un costume d’employé, dans la poche du veston, il y avait un solide couteau trapu.

Et alors, il prit le chemin de Neuilly.

Au bout de quelques jours, Pierre Gildas connaissait les habitudes de la villa des Perles. Il savait les heures où venait le médecin, le moment où la cuisinière allait aux approvisionnements. Le personnel domestique était nombreux, la maison bien gardée: il reconnut l’impossibilité de s’y introduire.

Mais Pierre Gildas n’était pas pressé. D’ailleurs, il n’entrait pas dans son plan de frapper l’homme chez lui. Et peut-être n’avait-il pas de plan du tout. Il surveillait, il guettait.

Peu à peu, il remarqua que les visites du médecin s’espaçaient de plus en plus.

– Il est en bonne voie de guérison, songeait-il.

Tout à coup, il y eut un bouleversement dans la villa: les domestiques partirent. Seul le valet de chambre était resté, avec la cuisinière et une fille de service.

Dès lors, les idées de Pierre Gildas se précisèrent. Il modifia ses habitudes.

Un soir, derrière la propriété, Pierre Gildas s’assit sur une pierre, les yeux fixés sur ce mur derrière lequel vivait l’homme qu’il voulait tuer.

Non loin de là, coulait la Seine. Des souffles tièdes passaient dans l’atmosphère. Le ciel était noir, tendu d’un immense vélum de nuées.

– Ce qu’il y a de mieux, disait Pierre Gildas, c’est d’attendre qu’il sorte. Le voilà guéri. Les larbins sont partis. Dans deux ou trois jours au plus, il sortira. Je puis faire deux choses. Ou bien je puis pénétrer dans le jardin, et alors…

À ce moment, deux ombres apparurent.

C’étaient deux hommes. Ils marchaient sans hâte et se dirigeaient vers Pierre Gildas. Il se renfonça.

Ils se rapprochaient. Deux promeneurs nocturnes, peut-être. Ils semblaient paisibles. Mais parfois, ils s’arrêtaient. Puis ils reprenaient leur marche, causant à voix basse. D’inoffensifs promeneurs, sûrement…

Tout à coup l’un d’eux s’adossa au mur de la villa; l’autre, brusquement, lui sauta sur les épaules, se hissa jusqu’à la crête du mur et, demeura là deux minutes.

Puis il sauta à terre.

– Je te dis que le moment est bon: le valet de chambre est à Paris: il n’y a plus que les deux femmes et le patron blessé. Il faut faire le coup cette nuît…

– Oui, répondit l’autre, mais attendons une heure encore… la cuisine est éclairée.

– Une heure, soit… Filons, on reviendra au bon moment…

– Qu’est-ce que vous faites là, vous? gronda Pierre Gildas en se levant tout à coup.

Les deux hommes, une seconde, demeurèrent immobiles et muets de stupeur… Puis, d’un même mouvement, ils bondirent en arrière. Quelques instants, Pierre Gildas entendit le bruit de leur fuite précipitée, puis tout retomba en silence.

– Il ne manquerait plus que ça, qu’on me le tue! gronda-t-il.

Brusquement, il sortit son couteau et l’ouvrit. Au milieu du chemin, les yeux agrandis fouillant la nuit, le couteau au poing, les traits contractés, il attendit, immobile, dix longues minutes…

Ses yeux se fixèrent sur le mur où tout à l’heure les deux rôdeurs s’étaient appuyés. Il remit tranquillement son couteau dans sa poche, et, pliant sur les jarrets, puis se détendant d’un élan, il atteignit la crête du mur de ses deux mains… À la force des poignets, il se hissa… Lorsqu’il fut sur le mur, il vit que les rôdeurs avaient dit la vérité: la cuisine, au rez-de-chaussée, était éclairée. Derrière les rideaux, Pierre Gildas voyait l’ombre des deux femmes qui allaient et venaient. Il hésita un instant, puis, tout à coup, se laissa glisser du haut du mur.

Il était dans le jardin… En deux minutes, il eut atteint la fenêtre de la cuisine et se mit à marcher le long de la maison. Il dépassa deux fenêtres du rez-de-chaussée, fermées. À la troisième qu’il rencontra, il s’arrêta et eut un rire silencieux: la fenêtre était entr’ouverte…

Pierre Gildas sauta sur le rebord. L’instant d’après, il se trouvait dans l’intérieur de la villa…

* * * * *

Le marquis de Perles était couché. Il lisait, la petite lampe à abat-jour sur la table de nuit où se trouvait également une potion calmante. Mais depuis quelques minutes, il avait laissé tomber le livre, et ses yeux s’étaient fermés. Il ne dormait pas encore, mais il se trouvait dans l’état d’engourdissement qui précède le sommeil.