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– Oh! je vous reconnais! je vous reconnais! balbutia Marie Charmant. Emmenez-moi…, oh! loin d’ici.

Peu à peu, Marie Charmant revenait pleinement au sens de la vie. Non seulement elle fut bientôt en état de marcher, mais encore sa pensée reprit toute sa force et toute sa netteté. Brièvement, naïvement, elle raconta comment elle avait été détenue, comment elle s’était évanouie, et comment elle s’était réveillée dans la Morgue. Puis elle annonça son intention de retourner aussitôt rue Letort et d’y reprendre ses occupations habituelles. Mais Jean Nib secoua la tête.

– Je ne te laisserai pas faire cette bêtise, dit-il. D’après ce que tu viens de dire, la môme, c’est bien La Veuve qui t’aurait arquepincée dans une encoignure?

– Sûrement, c’est La Veuve… Mais je saurai me défendre contre elle, je n’ai pas froid aux yeux, ni la langue dans ma poche. Qu’elle y vienne!

– Je connais La Veuve jusqu’au tréfonds, dit Jean Nib. Pourquoi qu’elle t’en veut? J’en sais rien. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle t’en veut. Et alors, elle te tuera, ma pauvre petite. D’abord, tu nous dis que tu t’es évanouie. C’est pas naturel ça! On aurait reconnu qu’t’étais morte. Veux-tu que je te dise? Pour moi, La Veuve t’a fait avaler de la poison; seulement, voilà, elle t’en aura pas assez donné et tu y réchappes…

– Que faire?… où aller?… murmura la petite bouquetière.

– Écoute, la gosse. Moi aussi, j’ai un compte à régler avec La Veuve. Un rude compte. Ça ne traînera pas, j’espère. Et alors, tu seras libre d’aller et venir comme père et mère. Mais tant que j’aurai pas réglé son compte à La Veuve, tu peux m’en croire, terre-toi! Si tu sors, ne sors que la nuit, et en ouvrant l’œil. Si on frappe à ta porte, n’ouvre pas! Si une femme, avec un air de brave femme, veut te parler, trotte-toi, car elle sera envoyée par La Veuve! Méfie-toi de tout, et de tous, et même de ton ombre. Du moment que La Veuve a l’œil sur tout, pauvre petite, je ne donnerais pas deux sous de ta peau! Faudra que tu y passes…

«Tiens, viens-t’en avec nous. Tant que je serai libre, t’auras rien à craindre de La Veuve. Moi et Rose-de-Corail, vois-tu, nous somme sous le grappin de la rousse. Mais je m’en voudrais d’abandonner une belle fille comme toi. Viens avec nous. Là où nous serons, tu peux être sûre que La Veuve n’osera pas te relancer. On n’est pas riches… On partagera quoi!…

– Eh bien, oui! fit Marie Charmant, puisque vous voulez bien…

– Écoute, Rose-de-Corail, tu vas filer devant avec la gosse. Moi, je viendrai derrière à vingt pas…

– Je vois bien que je vais vous gêner, fit Marie en tremblant. Je ne sais pas qui vous êtes, et je vois que la police vous poursuit…

– Alors, t’as peur de moi? dit Jean Nib d’une voix sombre. C’est tout naturel. Qui je suis? Demande-le à Finot. Il te répondra: un malfaiteur public, un homme de rien, un être dangereux…

– Laissez-moi finir, interrompit doucement la bouquetière. Je voulais vous dire que, même sans vous connaître, même si vous êtes un malfaiteur, j’ai confiance en vous.

Au bout de deux heures de marche, ils atteignirent la masure du Champ-Marie, et la bouquetière ne put s’empêcher de frissonner en pénétrant dans la pièce où elle avait été prisonnière. C’est cette pièce-là qui devait lui servir de chambre. Jean Nib et Rose-de-Corail devaient s’installer au rez-de-chaussée, dans la pièce qui avait servi de prison au baron d’Anguerrand.

Le soir du deuxième jour, lorsque Marie Charmant fut montée se coucher dans sa chambre, Rose-de-Corail étala sur la table une vingtaine de sous, et, regardant fixement Jean Nib:

– Voilà toute notre fortune, dit-elle. Quoi qu’on va devenir, dis, mon Jean?

– C’est bon! fit brusquement Jean Nib. Demain, y aura de la braise, n’aie pas peur…

Rose-de-Corail ne dit plus rien. Elle s’assit. Jean Nib s’assit près d’elle. Elle lui prit les mains qu’elle serra nerveusement dans les siennes. Puis, se plaçant sur ses genoux, elle mit ses bras autour de son cou et sa tête sur son épaule. Brusquement, d’un souffle, elle éteignit la bougie qui brûlait sur la table. Jean Nib s’immobilisa.

– T’as entendu quelque chose? fit-il d’une voix non perceptible pour tout autre que Rose-de-Corail.

Ils étaient habitués à se parler ainsi, sans bruit, en ces minutes d’angoisse où l’instant qui suivait pouvait être celui de leur arrestation… de leur éternelle séparation.

– Non, fit Rose-de-Corail. Mais j’ai besoin de te parler, et la lumière me gêne…

– Parle… Qu’as-tu à me dire?…

– Tu le sais, Jean, murmura-t-elle en l’étreignant plus étroitement, toutes les misères possibles, je les supporterai, du moment que tu es près de moi. J’aimerais mieux mourir, Jean, plutôt que de chercher hors de toi une vie moins malheureuse.

– Écoute. De refiler la comète, de chercher de misérables coups, de vivre en grinche qui n’a pas le droit de mettre le nez dehors, ça me dégoûte. L’argent que je fais venir de cette façon me dégoûte. Et moi-même, quand je regarde en moi, je me dis: «Est-ce bien toi qui est grinche? Est-ce que tu n’avais pas d’autres idées? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux balayer les rues?» Oui, Rose-de-Corail, si je pouvais balayer les rues, j’aimerais encore mieux ça que ce que je fais. Si quelqu’un au monde me donnait le moyen de gagner une pièce de vingt sous qui ne me brûlerait pas les doigts!… Tu vois que tu me vantes et que tu me fais plus fort que je ne suis… Grinche pour grinche, il vaut mieux que je le sois une bonne fois. Je vais chercher… et je trouverai, n’aie pas peur!… En attendant, il nous faut quelques sous pour ne pas claquer du bec, et c’est à ça que je dois penser avant tout…

– Jean, prends bien garde!… Oh! j’ai envie de venir avec toi… Jean, laisse-moi venir avec toi!

– Allons donc, fit-il avec un haussement d’épaules. Prendre garde à quoi?… Il faut que tu restes, pour la gosse.

– Si tu allais ne plus revenir!… Si la rousse, Jean! si la rousse allait faire ce soir, par hasard, ce qu’elle n’a pu faire l’autre nuit!…

– La rousse ne peut se vanter de m’avoir agrippé qu’une seule fois, parce que j’ai fait la bêtise de me fier à La Veuve. Ça m’apprendra à agir seul… toujours seul… rien qu’avec toi… Allons, faut que je me mette en route… voici l’heure de l’affût.

– Quand reviendras-tu?… Vite, dis?… Reviens vite! Je ne vis pas quand je ne t’ai pas près de moi…

– Qui sait? Dans une heure, peut-être… ou peut-être demain matin. Veille bien sur la gosse là-haut…

Ils s’étreignirent longuement. Puis, Rose-de-Corail ayant rallumé la bougie, Jean Nib fit ses préparatifs. Il mit dans ses poches quelques outils perfectionnés, une pince, une lime, des clefs, et s’assura que son bon couteau était en place.

Il sortit, traversa rapidement les solitudes désertes de ce quartier alors non encore construit; et gagna les bouvards extérieurs. Il était calme. Pourtant, par moments, un tressaillement nerveux le secouait.

Il marchait lentement, l’œil au guet, pesant d’un regard les passants qu’il croisait.

Mais ce n’était pas l’heure de l’action. Il était trop tôt. Les concerts et les cabarets n’étaient pas fermés encore. Le boulevard de Rochechouart et le boulevard de Clichy étaient encore sillonnés de bandes… Jean Nib marcha jusqu’aux abords du cimetière Montmartre, puis revint sur ses pas.