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2.

Madame le Maire Harlan Branno ouvrit la séance du Conseil exécutif. C’est sans signe visible d’intérêt que son regard avait parcouru la réunion ; pourtant nul ne doutait qu’elle avait remarqué tous ceux qui étaient présents comme tous ceux qui n’étaient pas encore arrivés.

Ses cheveux gris étaient soigneusement coiffés dans un style ni franchement féminin ni faussement masculin. C’était son style de coiffure, sans plus. Ses traits neutres n’étaient pas remarquables par leur beauté mais à vrai dire, ce n’est pas la beauté que l’on cherchait en ces lieux.

Elle était l’administrateur le plus capable de la planète. Nul ne pouvait l’accuser – et nul ne le faisait – d’avoir l’éclat d’un Salvor Hardin ou d’un Hober Mallow dont les aventures avaient animé l’histoire des deux premiers siècles de la Fondation mais nul ne l’aurait non plus assimilée aux frasques des Indbur héréditaires qui avaient dirigé la Fondation juste avant l’époque du Mulet.

Ses discours n’étaient pas faits pour émouvoir ; elle n’avait pas non plus le don des effets théâtraux mais elle savait prendre avec calme des décisions et s’y tenir aussi longtemps qu’elle était persuadée d’avoir raison. Sans charisme apparent, elle avait le coup pour persuader les votants que ces calmes décisions étaient effectivement les bonnes.

Puisque selon la doctrine de Seldon, tout changement historique se révèle dans une large mesure difficile à dévier (si l’on excepte toujours l’imprévisible, facteur qu’oublient la plupart des seldonistes, malgré le déchirant épisode du Mulet), la Fondation aurait dû coûte que coûte maintenir sur Terminus sa capitale. « Aurait dû », notons-le, car Seldon, dans la toute dernière apparition de son simulacre vieux de cinq siècles, avait calmement estimé à 87,2 % sa probabilité de demeurer sur Terminus.

Quoi qu’il en soit, même pour un seldoniste, voilà qui signifiait donc qu’il y avait 12,8 % de chances que se fût effectué le transfert vers un point plus proche du centre de la Fédération, avec toutes les sinistres conséquences soulignées par Seldon. Si cette éventualité estimée à un contre huit ne s’était pas produite, c’était bien certainement grâce au Maire Branno.

Il était sûr qu’elle ne l’aurait pas permis. Elle avait traversé des périodes de considérable impopularité sans démordre de l’idée que Terminus était le siège traditionnel de la Fondation et le demeurerait. Ses ennemis politiques avaient beau jeu de la caricaturer en comparant sa forte mâchoire à un éperon de granité.

Et maintenant que Seldon avait soutenu son point de vue, voilà qu’elle se retrouvait – du moins pour l’heure – avec un écrasant avantage politique. Elle aurait, paraît-il, confié l’année précédente que si, lors de sa prochaine apparition, Seldon la soutenait effectivement, elle estimerait sa tâche remplie avec succès. Dès lors, elle se retirerait des affaires et prendrait du recul plutôt que de se risquer dans de nouvelles guerres politiques à l’issue douteuse.

Personne ne l’avait vraiment crue. Elle se sentait chez elle au milieu des guerres politiques à un point rarement rencontré chez ses prédécesseurs, et maintenant que l’image de Seldon était venue et repartie, il n’était apparemment plus question de départ en retraite.

Elle s’exprimait d’une voix parfaitement claire, avec un accent de la Fondation qu’elle ne cherchait nullement à dissimuler (elle avait à une époque eu le poste d’ambassadrice sur Mandress, mais n’avait pour autant jamais adopté ce vieil accent impérial qui était à présent tellement en vogue – et qui contribuait en partie à cette attirance quasi impériale pour les Provinces intérieures).

Elle commença : « La crise Seldon est terminée et c’est une tradition – fort sage au demeurant – qu’aucune représaille d’aucune sorte, en acte ou en parole, ne soit entreprise contre ceux qui ont soutenu le mauvais parti. Combien d’honnêtes gens ont cru trouver de bonnes raisons pour désirer ce que Seldon ne voulait pas. Il serait vain de les humilier encore, au risque qu’ils ne puissent retrouver leur amour-propre qu’en dénonçant le Plan Seldon. En revanche, c’est une coutume fort louable que ceux qui ont soutenu le parti perdant acceptent de bon cœur leur défaite et sans autre forme de procès. D’un côté comme de l’autre, la décision a été prise, irrévocablement. »

Elle marqua une pause, considéra l’assemblée d’un regard égal avant de poursuivre : « La moitié du temps est écoulé, messieurs les conseillers, la moitié du millénaire entre les deux Empires. Ce fut une période difficile mais nous avons parcouru une longue route. Nous sommes à vrai dire pratiquement déjà un Empire Galactique et il ne reste plus d’ennemis extérieurs notables.

« L’interrègne aurait duré trente mille ans en l’absence du Plan Seldon. Au bout de ces trente mille années de désintégration, sans doute l’énergie aurait-elle fait défaut pour rebâtir un nouvel Empire. Ne seraient restés peut-être que quelques mondes isolés et sans doute agonisants.

« Ce que nous avons aujourd’hui, nous le devons à Hari Seldon, et c’est à cet esprit depuis longtemps disparu que nous devons continuer de faire confiance. Le danger qui nous guette, conseillers, réside en nous-mêmes, et de ce point de vue, on ne peut officiellement douter de la valeur du plan. Agréons donc dès maintenant, avec calme mais fermeté, qu’il ne sera dorénavant jamais émis officiellement le moindre doute, la moindre critique, la moindre condamnation du Plan. Nous devons le soutenir totalement. Il a fait ses preuves sur plus de cinq siècles. C’est le garant de la sécurité de l’humanité et on ne doit en rien l’altérer. Est-ce d’accord ? »

Il y eut un léger murmure. C’est à peine si madame le Maire leva les yeux pour chercher une confirmation visuelle de leur accord : elle connaissait chacun des membres du Conseil et savait déjà comment réagirait chacun. Dans le sillage de la victoire, il n’y aurait aucune objection. L’an prochain peut-être. Mais pas maintenant. Et les problèmes de l’an prochain, elle s’y attellerait l’an prochain.

Hormis, comme toujours…

« De la télépathie, Maire Branno ? » demanda Golan Trevize, descendant à grands pas la travée et s’exprimant d’une voix forte, comme pour compenser le silence de l’assistance. Il ignora son siège – situé dans la rangée du fond puisqu’il était nouveau au Conseil.

Branno n’avait toujours pas levé la tête. Elle dit : « Votre opinion, conseiller Trevize ?

— Est que le gouvernement ne peut bannir la liberté d’expression ; que tous les individus – et à plus forte raison, les membres du Conseil qui ont été élus dans ce but – ont le droit de discuter les décisions politiques de l’heure ; et qu’aucune décision politique ne peut être isolée du Plan Seldon. »

Branno croisa les mains et leva les yeux. Son visage était inexpressif. Elle répondit : « Conseiller Trevize, vous êtes irrégulièrement entré dans ce débat, et ce faisant, vous vous en êtes exclu. Toutefois, vous ayant demandé d’exprimer votre opinion, je m’en vais à présent vous répondre.

« Il n’y a aucune limite à la liberté d’expression dans le cadre du Plan Seldon. Le Plan seul nous limite par sa nature même. Il peut y avoir bien des façons d’interpréter les événements avant que l’image ne présente la décision finale mais une fois cette décision prise, le Conseil n’a plus à la remettre en question. Pas plus qu’on ne doit à l’avance la remettre en question – comme si l’on s’avisait de dire : “ Si jamais Hari Seldon devait décider ceci ou cela, il aurait tort. ”