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— Parce que Seldon était trop exact ?

— Précisément ! Ne souriez pas. C’est bien la preuve définitive.

— Je ne souris pas, je vous ferai remarquer. Poursuivez.

— Comment peut-il avoir été si exact ? Il y a deux siècles, son analyse de ce qui était alors le présent était complètement fausse. Trois cents ans s’étaient écoulés depuis l’instauration de la Fondation et il était déjà largement à côté de la plaque !

— Tout cela, conseiller, vous l’avez expliqué vous-même il y a quelques instants : c’était à cause du Mulet ; le Mulet était un mutant doué d’intenses pouvoirs mentaux et il eût été impossible de l’intégrer dans le Plan.

— Mais il était quand même là – intégré ou pas. Et il avait fait dérailler le Plan Seldon. Le Mulet ne gouverna pas longtemps et il mourut sans successeur. La Fondation recouvra son indépendance et reprit sa domination, mais comment le Plan Seldon aurait-il retrouvé sa ligne initiale après une telle rupture touchant à sa trame même ? »

Branno prit un air sombre et serra ses vieilles mains ridées : « Vous connaissez la réponse : nous n’étions que la Première des deux Fondations. Vous avez lu comme moi les livres d’histoire.

— J’ai lu la biographie qu’a rédigée Arkady sur sa grand-mère – après tout, ça fait partie du programme scolaire – et j’ai lu ses romans également. J’ai lu la version officielle de l’histoire du Mulet et de ses conséquences. Me permettra-t-on d’en douter ?

— Comment cela ?

— Officiellement, nous – la Première Fondation – étions chargés de préserver le savoir des sciences physiques et de le faire avancer. Nous devions opérer au grand jour, notre développement historique suivant – qu’on en fût ou non conscients – le Plan Seldon. Mais il y avait aussi la Seconde Fondation qui devait, elle, préserver et faire progresser les sciences humaines – dont la psychohistoire – et son existence devait demeurer un secret, même pour nous. La Seconde Fondation tenant lieu de vernier d’accord pour le Plan, son rôle était d’ajuster les courants de l’histoire galactique si jamais ils s’écartaient de la voie tracée par le plan.

— Alors, vous avez trouvé vous-même la réponse, dit le Maire : Bayta Darell vainquit le Mulet, peut-être sous l’inspiration de la Seconde Fondation, même si sa petite-fille soutient que ce n’était pas le cas. Ce fut pourtant la Seconde Fondation qui sans aucun doute œuvra pour ramener l’histoire galactique dans la voie du Plan après la mort du Mulet et manifestement, elle y est parvenue.

« Alors, par Terminus, de quoi voulez-vous donc parler, conseiller ?

— Madame le Maire, si nous suivons le récit d’Arkady Darell, il est clair qu’à vouloir corriger le cours de l’histoire galactique, la Seconde Fondation a bouleversé totalement le schéma initial de Seldon puisque par cette tentative même, elle détruisait son propre secret. Nous autres de la Première Fondation avons pris conscience de l’existence de notre reflet, la Seconde Fondation, et nous n’avons pu nous faire à l’idée que nous étions manipulés. Nous avons donc tout fait pour découvrir la Seconde Fondation et la détruire. »

Branno opina. « Et s’il faut en croire Arkady Darell, nous y sommes parvenus mais manifestement pas avant que la Seconde Fondation n’eût remis l’histoire galactique fermement sur ses rails après la rupture introduite par le Mulet. Et elle y est toujours.

— Et vous pouvez croire ça ? D’après la chronique, la Seconde Fondation fut localisée et le sort de ses membres réglé. Cela s’est passé en 378 de l’Ère de la Fédération, il y a cent vingt ans. Cinq générations durant, nous sommes censés avoir agi seuls, sans Seconde Fondation et malgré tout, nous sommes restés si proches de l’objectif initial du Plan que l’image de Seldon et vous-même tenez un langage pratiquement identique !

— Ce qu’on pourrait interpréter comme le fait que j’ai su prédire avec perspicacité le développement des tendances historiques…

— Pardonnez-moi. Loin de moi l’idée de jeter le doute sur votre perspicacité mais il me semble quant à moi que l’explication la plus évidente reste encore que la Seconde Fondation n’a jamais été détruite. Elle continue de nous diriger. Elle continue de nous manipuler. Et voilà bien la raison pour laquelle nous sommes revenus dans la ligne du Plan Seldon. »

7.

Si madame le Maire fut choquée par cette déclaration, elle n’en trahit rien.

Il était plus d’une heure du matin et elle avait désespérément envie de mettre un terme à l’entretien, et pourtant elle ne pouvait pas précipiter les choses. Il fallait encore qu’elle joue avec ce jeune homme, et elle ne voulait pas qu’il brise tout de suite sa ligne. Elle n’avait pas envie de se défaire de lui alors qu’il pouvait encore lui être utile.

Elle répondit : « Pas possible ? D’après vous, le récit qu’a fait Arkady de la guerre kalganienne et de la destruction de la Seconde Fondation est un faux ? C’est une invention ? Une blague ? Un mensonge ? »

Trevize haussa les épaules. « Ce n’est pas nécessaire. Là n’est pas la question. Supposez que le compte rendu d’Arkady fût totalement exact – dans les limites des informations dont elle disposait. Supposez que tout ait eu lieu exactement comme elle l’a dit ; qu’on ait effectivement découvert le repaire de la Seconde Fondation et qu’on s’en soit débarrassé. Comment peut-on affirmer, toutefois, qu’on ait eu tous ses membres jusqu’au dernier ? La Seconde Fondation recouvrait toute la Galaxie. Elle ne manipulait pas uniquement l’histoire de Terminus ou même de la seule Fondation. Ses responsabilités englobaient plus que notre capitale ou que l’ensemble de la Fondation. Il y a certainement des membres de la Seconde Fondation qui se trouvaient à mille parsecs, ou plus, du lieu des événements. Est-il alors concevable qu’on ait pu tous les avoir ?

« Et si tel ne fut pas le cas, pouvons-nous vraiment dire que nous avons gagné ? Le Mulet aurait-il pu dire la même chose à l’époque ? Après tout, il avait conquis Terminus et avec Terminus, tous les mondes qui étaient sous son contrôle direct – mais restait encore l’Association des Marchands Indépendants. Et une fois les Marchands Indépendants assujettis, restaient encore trois fugitifs : Ebling Mis, Bayta Darell et son mari. Il s’assura le contrôle des deux hommes et laissa libre Bayta ; Bayta, seule. Il avait agi ainsi par amour, s’il faut en croire le roman d’Arkady. Et cela fut suffisant. Selon le récit d’Arkady, une seule personne – et c’était Bayta – était encore libre d’agir à sa guise et c’est précisément à cause de ses agissements que le Mulet fut incapable de localiser la Seconde Fondation et se retrouva finalement vaincu.

« Une seule personne épargnée et tout est perdu ! Voilà bien la preuve du rôle de l’individu, malgré toutes ces légendes autour du Plan Seldon pour accréditer l’idée que l’individu n’est rien et que la masse est tout.

« Et supposez que nous n’ayons pas simplement laissé une seule Fondation derrière nous mais quelques douzaines, comme c’est parfaitement envisageable… alors ? Est-ce qu’elles ne se regrouperaient pas, ne se reconstruiraient pas, ne s’attelleraient pas de nouveau à leur tâche, ne se multiplieraient pas en recrutant et en formant de nouveaux effectifs, pour de nouveau faire de nous leurs pions ? »

Branno lui dit gravement : « Le croyez-vous ?