Выбрать главу

G.-J. ARNAUD

Forces contaminées

CHAPITRE PREMIER

L’enseigne de première classe, Roberts O’Hara, pénétra dans le poste de pilotage. Penchés sur la table des cartes, le lieutenant-commander Henderson, chef de la mission océanographique, pacha de l’Evans II et Anton Hume, le géologue, paraissaient plongés dans de profondes réflexions.

— Le flash météo de Panama, Commander. Henderson se redressa. Son visage brun, rayé de rides, resta impassible.

— Ils annoncent une forte houle. Origine Nord-Ouest. Noyau à six ou huit cents milles. Creux de six yards, longueur d’ondes de cent yards environ.

— Vitesse ? Demanda Henderson d’une voix sèche.

— Dix-sept yards seconde.

— Vent ?

— Moyen.

Anton Hume, le géologue, hocha sa tête lugubre. C’était pourtant le boute-en-train du bord.

— Je crois que la pêche aux échantillons est finie pour aujourd’hui, dit-il.

— Le plateau nous en a fournis suffisamment. O’Hara, occupez-vous du treuil. Faites rentrer les flotteurs et une fois dégonflés faites-les talquer.

L’enseigne rougit légèrement. La dernière fois il avait oublié et le pacha l’avait foudroyé du regard à longueur de journées. C’était sa première campagne à bord de l’Evans II, et le jeune officier était assez décontenancé par la vie du bord. Rien qui rappelle celle de L’U.S. Navy.

— Prévenez tout le monde du départ.

Ce n’était pas superflu. L’enseigne trouva John Parker, le physicien, penché par-dessus bord, tenant une sorte de moulinet entre ses mains. Quand il lui eut répété deux fois que le navire levait l’ancre, le petit homme chauve se redressa vivement.

— Comment ? Mais les relevés de température sont incomplets et mes graphiques …

— Dans une heure la situation sera intenable ici. Une forte houle nous arrive du nord-ouest.

Parker soupira et commença la remontée de son bathythermographe. En quelques secondes son moulinet mécanique enroula les soixante-dix mètres de fil et le précieux appareil apparut. Le physicien le glissa avec soin dans son étui spécial, passa ce dernier en bandoulière. Il examinerait plus tard les données.

Dans le laboratoire, Edgar Brown achevait ses analyses de salinité. C’était lui aussi un travailleur acharné. Il avait plusieurs méthodes à sa disposition et les utilisait toutes. Parker ricana en s’installant dans le coin qui lui était destiné.

— Alors Brown, toujours pas confiance au salinomètre de Jacobsen ?

Le chimiste fourragea dans sa tignasse rousse. C’était un brave type qui encaissait joyeusement toutes les moqueries.

C’est-à-dire … la chlorinité donne des résultats.

Parker ricana :

— Ouais … Si vous n’aviez ni tubes ni éprouvettes à manipuler, vous en crèveriez. Mais je vous conseille d’avoir des renseignements précis pour tout à l’heure.

Brown le regarda avec ses yeux un peu flous derrière les verres épais.

— Que voulez-vous dire ?

— Ça va sauter, et le lieutenant-commander va naviguer aux ultrasons à la tombée de la nuit. Pas la peine d’être sur un navire scientifique et de ne pas se servir des instruments.

Le chimiste hocha la tête. Il choisit une carte millimétrée encore vierge et commença d’y porter ses indications de salinité et de densité.

— Pas trouvé d’échantillons au-dessous de 30 pour mille ? Demanda sournoisement le physicien.

La tignasse rousse s’agita sans que son propriétaire se retourne. C’était le dada du chimiste depuis le début de la campagne. Il espérait trouver dans le golfe de Panama des zones de faible salinité. La moyenne mondiale étant de 35 pour mille, il avait frétillé de joie en faisant chaque jour des relevées de 32, 31,30 même du côté des îles de l’Archipel de Las Perlas.

— Vous n’avez pas vu Marscher ?

— Le cuisinier l’a fait appeler. Dans le ventre d’un poisson, il a trouvé des drôles de trucs paraît-il, et notre distingué biologiste a foncé vers la cambuse.

Soudain les tubes d’essai s’entrechoquèrent.

— On vient d’enlever les flotteurs et la houle est déjà formée. On annonce des creux de six yards, dit Anton Hume le géologue qui entrait. Je vous conseille de tout ranger si vous ne voulez pas de casse.

Sous son bras il portait ses caissettes d’échantillons. Il les rangea soigneusement dans le placard qui lui était attribué, referma celui-ci à double-tour. Parker haussa ses épaules et sa bouche se fit dédaigneuse.

— Avez-vous mis la main sur les doublons espagnols des galions engloutis dans le coin, Hume ? Vous enfermez vos pierres comme un trésor.

Hume alluma sa pipe. Il fallait être habitué au physicien pour pouvoir le supporter. L’ambiance du bord était excellente, mais le petit homme chauve s’amusait à jeter des pavés dans la mare. Certains jours il était obligatoire de le moucher impitoyablement si on voulait avoir la paix.

— Vous n’avez pas vu mes tables de Knud-sen ? Demanda le chimiste avec angoisse.

C’était le type du savant farfelu et distrait, mais il faisait du bon travail. Hume les lui trouva sous une pile d’autres livres de chimie.

Le grondement des diesels s’amplifia brusquement.

— Bigre, le lieutenant-commander fait donner toute la puissance ! C’est bien d’une forte houle qu’il s’agit, Hume, et non d’un cyclone ?

— N’oubliez pas que Henderson est notre météorologiste. Le meilleur de L’U.S. Navy.

Dans le poste de pilotage, Henderson étudiait ses cartes. Dans quelques heures ils seraient à l’abri de la péninsule d’Azuero, dans le golfe de Pareta.

L’enseigne revint.

— Tout est en place, commander.

— Bon. Le point, et indiquez-moi dans combien de milles nous entrerons dans la zone d’émission de Boby 6.

O’Hara disparut, revint cinq minutes plus tard.

— 8°52 latitude N, 79°20 longitude O. En principe, d’ici une demi-heure, nous devrions capter le radiophare Panama 6.

— Nous allons essayer de joindre Puerto Mensabé, dit le lieutenant-commander. Dès que le radio sera en communication avec Boby 6, qu’il fasse ses mesures. Les récifs au large de Mensabé sont très perfides. Allez voir Brown pour les rapports de salinité.

— La température ?

— Celle de l’eau du condensateur. Les fonds sont hauts et les variations presque nulles.

L’oscillation de l’Evans II s’accentuait, mais le petit bâtiment en avait vu d’autres. Henderson avait pleinement confiance en lui. S’il avait décidé de le mettre à l’abri, c’était beaucoup plus pour rendre possible les travaux scientifiques que par crainte. La houle risquait de durer plusieurs jours. L’épicentre était éloigné, et la mer ne serait calme qu’à la fin de la semaine. Les savants pourraient mettre au point leurs rapports. Le gros temps ne permettait que des observations météo, et Henderson n’avait pas l’intention de sacrifier à son dada personnel. Enfin le confort à bord du navire océanographique, relatif par calme plat, était inexistant par mauvais temps et les civils y étaient sensibles.

O’Hara pénétra dans le poste de navigation. Il avait l’air préoccupé.

— Commander, l’asdic me paraît détraqué. Les graphiques sont pour le moins curieux. À le croire, les fonds sont en dents de scie …

Le navigateur regarda les deux officiers, puis reprit son travail.

— Allez me chercher la bande enregistreuse.

Quand l’enseigne fut sorti, Henderson appuya sur une manette de l’intercom.

— Le laboratoire ? Anton Hume, voulez-vous faire un tour jusqu’au poste de navigation, s’il vous plaît ?