Выбрать главу

— Les gringos nous jugent, avait-il déclaré. Il s’installa derrière un bureau constellé de brûlures de cigares et de ronds poisseux de bière et de liqueur forte.

— Un whisky, señor lieutenant ? Il vient de Panama et j’ai de la glace.

Son verre en main, Kovask attaqua brutalement.

— C’est avant-hier matin que ce pêcheur a découvert l’épave du navire océanographique ?

— Oui señor, en allant relever ses casiers à homards sur la barrière de récifs. Seule l’antenne radar dépassait.

— Cet homme possède une barque à moteur ? Vingt milles, ça fait loin. Je ne savais pas que les pêcheurs s’éloignaient tant de la côte.

Le visage de Delapaz se durcit, comme si l’Américain mettait ses paroles en doute.

— Il a un moteur en effet. Et la conserverie achète très cher les homards. On n’en trouve presque plus dans la bordure côtière.

— Pourrai-je voir cet homme ?

— Non, señor. Il est parti depuis ce matin pour Las Tablas, à l’intérieur de la péninsule. Avec sa femme. J’ai voulu le prévenir de votre arrivée, sachant que vous auriez des questions à lui poser, mais il s’est embarqué dans un camion de la conserverie à l’aube.

Kovask sortit ses cigarettes, mais le policier s’en tint à ses cigares.

— Quand rentrera-t-il ?

— Je l’ignore … Il ne faut pas être très pressé avec les gens de mon pays … Peut-être demain, peut-être dans une semaine.

L’Américain tira sur sa cigarette.

— Il a donc péché beaucoup de homards pour s’octroyer quelques jours de vacances.

— Certainement señor, fit prudemment Delapaz. Est-ce que l’épave pourra être renflouée ?

— Oui … Les navires-ateliers s’en occupent et espèrent ramener l’Evans II à Panama à la fin de la semaine.

Delapaz prit un air affligé.

— Terrible, señor ! Dix-huit morts … Aucun survivant … C’est ce que disait la radio ce matin.

Mais il ne continua pas sur ce ton. L’officier de la Navy n’était pas là pour recevoir des condoléances et le montrait. Il se leva et brancha le ventilateur. L’air chaud brassé défit l’ordonnance méticuleuse de sa coiffure.

L’Américain s’était levé.

— Pourrai-je loger à terre ? Nous resterons certainement plusieurs jours. Ne vous inquiétez pas, l’équipage sera consigné à bord de la vedette si vous le désirez.

Delapaz paraissait maussade. Il finit par secouer la tête.

— Les matelots peuvent descendre à terre. Les commerçants ne me pardonneraient pas d’avoir laissé échapper cette aubaine. Je vous conseille le grand hôtel du Pacifique, ajouta-t-il avec un peu d’ironie. Voulez-vous que je téléphone ? Il y a très peu de chambres avec ventilateur. Vous resteriez quelques jours ?

— Jusqu’à la fin de la semaine, puisque c’est le délai nécessaire pour renflouer l’Evans II.

Delapaz décrocha son téléphone et retint la chambre du señor Kovask.

— Où habite ce pêcheur, Morillo ?

— Dans le quartier du port, les huttes en adobes aux toits en tôle ondulée.

Le policier examinait le bout de son cigare.

— Vous tenez vraiment à le rencontrer ?

— C’est le premier qui a découvert l’épave. Peut-être pourra-t-il nous apporter quelques précisions complémentaires.

Delapaz le reconduisit au wharf.

— Quand vous en aurez l’occasion, passez boire un verre au commissariat.

— Entendu, dit Kovask. Puis il sauta sur le pont de la vedette, disparut dans l’habitacle.

Une demi-heure plus tard, ils rejoignaient les deux navires-ateliers occupés à renflouer l’épave. L’un se nommait le Boston, l’autre, l’Adrian.

À bord du Boston l’attendait le commander Walsch qui dirigeait les opérations.

— Comment va, Kovask ? Vous avez ramené un peu d’air du pays ?

Quarante-huit heures plus tôt, Kovask se trouvait encore à New-York.

— J’ai tressailli quand j’ai appris que c’était vous le distingué inspecteur de L’O.N.I. que le grand état-major nous expédiait.

Ils se connaissaient depuis de nombreuses années. Kovask avait été enseigne de deuxième classe sous ses ordres.

— Du nouveau ?

— Venez prendre un verre. Dans ma cabine. Il n’y a pas d’alcool au bar.

C’était Walsch ! Depuis dix ans il aurait pu être commodore, peut-être même rear-Admiral. Seulement, il buvait un peu trop, et on le savait un peu trop. Mais dans le fond, un officier de valeur et un technicien qualifié pour ce genre d’histoire.

— Vodka et vermouth dry hein ?

Il dosa fortement les deux, tendit un grand verre à son ami. Il but la moitié du sien, soupira de contentement.

— Bon ! Vous êtes assis, ne lâchez pas votre verre ! Il manque deux corps.

Kovask posa son verre, alluma une cigarette.

— Lesquels ?

— Le toubib essaye de les identifier, mais ce n’est pas commode. En fait, nous ne le saurons que dans la soirée ou demain.

— Les hommes-grenouilles ont tout visité ?

— Oui. Kovask. Ils ne sont pas dissimulés quelque part.

— Rien n’a été touché ?

Walsch termina son verre et attira les bouteilles à lui.

— À l’exception des cadavres, tout est en place. Les experts auront suffisamment de boulot sans chercher à compliquer leur tâche.

— Votre opinion ?

Incompréhensible ! Le journal de bord est sous scellés. Henderson l’avait glissé dans son étui paraffiné. Si vous voulez voir, j’appelle le commissaire de bord et nous vous demanderons une décharge.

Kovask vida son verre.

— Ils ont heurté le récif ?

— En plein ! À croire que rien ne fonctionnait à bord de ce navire océanographique.

Un tout petit peu de mépris relevait ses paroles. Mais sans aucune méchanceté.

— Quatre jours, soupira Kovask, ce sera long. Je serai peut-être obligé d’aller faire un tour dans le fond.

— Dépêchez-vous si vous le décidez. Nous allons commencer le pompage dès demain. L’éventration est en partie colmatée.

— Vous n’allégez pas ?

— Si, la cale et le dernier pont. Mais nous récupérons tout soigneusement.

Kovask refusa d’un geste une ration de vermouth-vodka.

— Ce qui m’intéresse, c’est la passerelle et le laboratoire. Avez-vous un officier navigateur capable de repérer ce qui peut clocher dans les appareils sans tout démonter ?

— Je crois. Palacin à bord de l’Adrian. On dit que c’est un as.

— Capable de plonger avec moi ?

— Ça, c’est une autre histoire, mais je peux téléphoner.

— Nous pourrions plonger avant le repas pour repérer déjà les endroits précis qui m’intéressent.

Walsch vida son deuxième verre avant d’entrer en communication avec l’Adrian. Palacin fut d’accord pour plonger immédiatement.

— Vous êtes mon invité, dit le commander. Les hommes ont péché une tortue sur les récifs, et vous m’en direz des nouvelles.

Un lieutenant le conduisit au magasin et il enfila la combinaison caoutchoutée. Le chef des hommes grenouilles l’accompagnait dans la descente. Palacin était là, un petit homme nerveux au sourire moqueur.

— Je voudrais que nous examinions ensemble plusieurs instruments. Le radar, l’asdic principalement.

— En quelques minutes, ce ne sera pas facile. Il faudrait tout démonter pour avoir une certitude.

— Tant pis. Essayons.

Le chef des hommes grenouilles s’approcha :

— Pour atteindre la passerelle, il faut descendre de sept brasses environ.