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– 1 –

Dan Brown

Forteresse digitale

(Digital fortress)

1998

– 2 –

Prologue

PLAZA DE ESPAÑA

SÉVILLE, ESPAGNE

11 HEURES DU MATIN

C’est dans la mort, paraît-il, que la vérité se fait jour... Ensei Tankado en avait maintenant la confirmation. Au moment où il portait la main à sa poitrine et s’écroulait au sol en se tordant de douleur, il entrevit soudain les conséquences de son acte.

Des gens accouraient pour lui porter secours. Mais c’était trop tard. Tankado n’avait plus besoin d’aide. En tremblant, il leva son bras gauche et déplia ses doigts. Regardez ! Regardez ma main ! Les gens ouvraient de grands yeux, fixaient cet appendice difforme qui s’agitait, mais sans comprendre.

A son doigt, il y avait un anneau d’or gravé. L’espace d’un instant, l’inscription miroita sous le soleil d’Andalousie. Ensei Tankado savait que cette lumière serait la dernière qu’il verrait en ce monde.

– 3 –

1.

Ils se trouvaient dans les Appalaches, dans leur chambre d’hôtel favorite des Smoky Mountains. David lui souriait.

— Qu’est-ce que tu en dis, ma belle ? On se marie ?

Elle savait que c’était lui – le bon, l’unique. Celui pour toujours... Elle se redressa dans le lit à baldaquin, s’abîma dans la contemplation de ses yeux d’un vert profond, quand, soudain, une cloche se mit à sonner. Le bruit entraînait David au loin, inexorablement. Elle tendit les bras vers lui pour le retenir, mais ses mains se refermèrent sur du vide.

C’était la sonnerie du téléphone... Susan Fletcher émergea de son rêve, dans un hoquet de stupeur ; elle s’assit sur le lit, et chercha à tâtons le combiné.

— Allô ?

— Susan ? C’est David. Je te réveille ?

Elle sourit et se rallongea.

— Je rêvais de toi, justement. Viens me rejoindre.

— Il fait nuit noire, lui répondit-il dans un rire.

— Mmm, gémit-elle avec sensualité. Alors viens encore plus vite. On aura même le temps de dormir un peu avant de partir.

David eut un soupir de regret.

— C’est justement pour ça que je t’appelle. Il va falloir reporter notre voyage.

En une seconde, Susan fut tout à fait réveillée.

— Quoi ?

— Je suis désolé. Je suis obligé de quitter la ville. Je serai de retour demain. On pourra partir tôt dans la matinée. Il nous restera quand même deux jours.

— Mais j’ai réservé au Stone Manor, rétorqua Susan, blessée. J’ai même réussi à avoir notre chambre favorite.

— Je sais mais...

– 4 –

— C’était censé être notre soirée. Pour fêter nos six mois de fiançailles. Tu te souviens au moins qu’on est fiancés ?

— Susan, soupira-t-il. Je t’en prie, ce n’est pas le moment...

une voiture m’attend devant la maison. Je t’appellerai dans l’avion pour tout t’expliquer.

— Dans l’avion ? répéta-t-elle. Qu’est-ce qui se passe ?

Pourquoi est-ce que l’université... ?

— Ce n’est pas l’université, Susan... Je t’expliquerai. Il faut vraiment que j’y aille, ils s’impatientent en bas... Je te donne des nouvelles très vite. Promis.

— David, cria-t-elle. Qu’est-ce qui... ?

Trop tard. David avait raccroché. Susan Fletcher ne put se rendormir, attendant désespérément son appel. Mais le téléphone resta muet.

Plus tard dans l’après-midi, Susan était dans son bain, abattue. Elle plongeait la tête sous l’eau savonneuse en essayant d’oublier le Stone Manor et les Smoky Mountains. Où pouvait bien être David ? Pourquoi n’avait-il pas encore appelé ?

Le temps s’étira ; l’eau chaude devint tiède, puis presque froide... Elle allait sortir de la baignoire quand la sonnerie du téléphone retentit. Susan se redressa d’un bond, répandant de l’eau partout sur le sol, et se rua sur le combiné qu’elle avait laissé sur le lavabo, à portée de main.

— David ?

— Non, c’est Strathmore, répondit la voix.

— Oh... (Elle n’arrivait pas à dissimuler sa déception.) Bonjour, commandant, reprit-elle.

— Visiblement, vous n’attendiez pas à avoir en ligne un vieux croûton comme moi, gloussa la voix.

— Non, chef, dit-elle gênée. Ce n’est pas ça....

— Allons, bien sûr que si, l’interrompit-il d’un air amusé.

David Becker est quelqu’un de bien. Je comprends que vous y soyez attachée...

— Merci, chef.

La voix du commandant se fit soudain plus autoritaire.

— Susan, si je vous appelle, c’est parce que j’ai besoin de vous ici. Illico.

– 5 –

Elle dut faire un effort pour reprendre ses esprits.

— Mais, chef, nous sommes samedi. D’habitude, on ne...

— Je sais, répondit-il d’un ton monocorde. C’est une urgence.

Susan se redressa. Une urgence ? Elle n’avait encore jamais entendu ces mots dans la bouche du commandant Strathmore.

Une urgence ? À la Crypto ? C’était une première...

— B... Bien, chef, bredouilla-t-elle. J’arrive le plus vite possible.

— Et plus vite que ça encore, dit Strathmore en raccrochant.

Susan Fletcher, une serviette autour du corps, regardait les gouttes d’eau tomber sur les habits impeccablement repassés qu’elle avait préparés la veille – un short pour les randonnées, un pull pour les fraîches soirées en montagne, et des dessous sexy pour les nuits. Déprimée, elle alla chercher dans son armoire un chemisier et une jupe. Une urgence à la Crypto ?

Une sale journée en perspective ! songea Susan en sortant de chez elle.

Elle ne croyait pas si bien dire...

2.

À trente mille pieds d’altitude, David Becker, misérable, contemplait une mer d’huile par le petit hublot du Learjet 60.

Le téléphone de bord était hors service ; impossible de joindre Susan.

— Qu’est-ce que je fiche ici ? grommelait-il.

La réponse était pourtant toute simple – il y avait des gens à qui l’on ne pouvait dire non.

— Monsieur Becker, crachota le haut-parleur. Nous allons atterrir dans une demi-heure.

– 6 –

Becker jeta un regard noir à l’attention de la voix invisible.

Génial ! Il tira le rideau et essaya de dormir. Mais rien à faire. Il ne pensait qu’à elle.

3.

Susan, dans sa Volvo, s’arrêta au poste de garde, au pied d’une clôture barbelée haute de trois mètres. Un jeune soldat posa la main sur le toit de sa voiture.

— Papiers, s’il vous plaît.

Susan s’exécuta et se laissa aller au fond de son siège, sachant que la vérification durerait une bonne trentaine de secondes. La sentinelle disparut dans la guérite pour passer sa carte au scanner.

— Merci, mademoiselle Fletcher, annonça-t-il finalement, en faisant un signe imperceptible, et la porte s’ouvrit.

Un kilomètre plus loin, Susan réitéra la même procédure devant une clôture électrique tout aussi imposante. Allez, les gars... Ça fait un million de fois que je passe devant vous...