sinon, elle l’aurait déjà entendu pousser un cri d’étonnement.
Susan en était à sa troisième infusion quand son ordinateur émit le bip tant attendu. Son cœur s’accéléra. Une petite enveloppe clignotait dans un coin, lui annonçant qu’elle avait reçu un e-mail. Elle jeta un coup d’œil rapide en direction de Hale. Il était plongé dans son travail. Elle retint son souffle et cliqua deux fois sur l’enveloppe.
Voyons donc qui tu es, North Dakota, murmura-t-elle pour elle-même. L’e-mail s’ouvrit, et elle vit qu’il ne contenait qu’une seule ligne. Elle la lut à deux reprises, incrédule.
– 116 –
RDV CHEZ ALFREDO ? 20 H ?
De l’autre côté de la salle, Hale étouffa un petit rire. Susan vérifia l’adresse de l’expéditeur.
de : GHALE@CRYPTO.NSA.GOV
Susan s’efforça de contenir sa colère et effaça le message.
— Très drôle, Greg.
— Leur carpaccio est délicieux. Qu’est-ce que tu en dis ? On pourrait...
— Laisse tomber.
— Ne fais pas ta snobinette...
Hale soupira et replongea le nez dans son écran. C’était sa énième tentative auprès de Susan Fletcher... La jeune et jolie cryptologue le faisait craquer. Ah ! une partie de jambes en l’air avec elle... la plaquer contre la paroi courbe de TRANSLTR, puis la prendre sauvagement, là, sur les carreaux chauds et noirs...
Mais il ne se passerait jamais rien entre eux... Le plus humiliant pour Hale, c’est qu’elle lui préférait un obscur professeur d’université, un minable qui travaillait comme un esclave pour gagner des cacahuètes. Quel gâchis ! C’est avec lui qu’elle devrait mêler ses gènes supérieurs et non avec ce ringard. Nos enfants auraient été des demi-dieux, songea-t-il amèrement.
— Tu travailles sur quoi ? demanda-t-il pour tenter une approche différente.
Susan ne lui répondit pas.
— Quel esprit d’équipe ! Je peux jeter un coup d’œil ?
Hale se leva et amorça le tour des ordinateurs pour la rejoindre.
Cette fois, la curiosité de Hale était susceptible de poser de sérieux problèmes.
— C’est un diagnostic, lança-t-elle, reprenant le mensonge de son supérieur.
Hale stoppa net, incrédule.
— Tu veux dire que tu préfères passer ton samedi à lancer un diagnostic plutôt que prendre du bon temps avec ton prof ?
– 117 –
— Il s’appelle David.
— Peu importe.
Susan lui lança un regard furieux.
— Tu n’as rien de mieux à faire ?
— À l’évidence, je ne suis pas le bienvenu aujourd’hui ? dit-il avec une moue feinte de regret.
— Pour être franche, non.
— Oh, Sue, tu me brises le cœur.
Susan plissa les yeux. Elle détestait qu’il l’appelle Sue. Elle n’avait rien contre ce diminutif en soi, mais Hale était le seul à l’utiliser.
— Et si je te donnais un coup de main ? (Il recommença à avancer vers elle.) Je suis hyper doué en diagnostics. En plus, je suis curieux de voir quel type de tests peut bien pousser la grande Susan Fletcher à venir bosser un samedi.
Susan eut une montée d’adrénaline. Elle jeta un regard à la fenêtre de son programme pisteur affichée sur l’écran. Si Hale voyait ça, il poserait trop de questions.
— C’est secret, Greg.
Mais il s’approchait quand même. Susan devait agir, et vite.
Il n’était plus qu’à quelques mètres quand elle se leva, pour lui barrer le chemin. L’eau de toilette de Greg empestait. Il avait vraiment vidé le flacon... Il la dépassait bien de deux têtes. Elle le regarda droit dans les yeux.
— J’ai dit « non ».
Hale inclina la tête, intrigué par l’attitude mystérieuse de Susan. Par bravade, il avança encore. Avec détermination, Susan planta la pointe de son index dans la poitrine massive de Hale. L’ex-marine recula d’un pas, sous le coup de la surprise.
Susan Fletcher ne plaisantait pas. Jamais elle ne l’avait touché auparavant. Jamais. Ce n’était pas tout à fait ce genre de premier contact que Greg avait imaginé, mais c’était un début. Il la regarda avec perplexité, puis retourna lentement s’asseoir derrière son ordinateur. Une chose était claire : la belle Susan travaillait sur quelque chose d’important, et cela n’avait rien à voir avec un diagnostic.
– 118 –
28.
Roldán, assis derrière son bureau d’Escortes Belén, se félicitait d’avoir aussi habilement déjoué la nouvelle – et pathétique – tentative de la police. Un type avec un faux accent allemand qui demandait une fille pour la nuit – un traquenard grossier. Qu’allaient-ils imaginer la fois suivante ? Sur son bureau, le téléphone sonna. Roldán décrocha, plein d’assurance.
— Buenas noches, Escortes Belén.
— Buenas noches...
Une voix d’homme qui s’exprimait à toute vitesse en espagnol, avec une pointe nasale, comme s’il était un peu enrhumé...
— Vous êtes un hôtel ?
— Non, monsieur. Quel numéro demandez-vous ?
Roldán ne se laisserait pas mener en bateau une deuxième fois aujourd’hui.
— Le 34-62-10.
Roldán sourcilla. La voix avait une intonation familière. Un accent du nord... Burgos, peut-être ?
— Vous êtes au bon numéro, répondit-il avec prudence.
Mais c’est une agence d’escortes ici.
Un temps de silence suivit.
— Ah... Je vois... Désolé. Quelqu’un a noté ce numéro. Je pensais qu’il s’agissait d’un hôtel. Je suis en visite ici, je viens de Burgos. Excusez-moi de vous avoir dérangé. Bonne soirée...
— ¡ Espere un momento ! Attendez !
C’était plus fort que lui. Roldán avait le commerce dans l’âme. Cet homme était peut-être envoyé par un habitué... Un nouveau client potentiel... Pas question de louper une vente à cause d’une petite paranoïa. Il prit son ton le plus chaleureux.
— J’avais bien reconnu, chez vous, une pointe d’accent castillan. Figurez-vous, cher ami, que, moi-même, je suis de Valence. Qu’est-ce qui vous amène à Séville ?
— Je vends des bijoux. Des perles de Majorque.
— Pas possiiiible ! Vous devez beaucoup voyager, alors...
– 119 –
L’homme eut une petite quinte de toux.
— Oui, pas mal...
— Vous êtes donc ici pour affaires ? le pressa Roldán. (Ce type n’était pas un flic, assurément. C’était un client, avec un grand « C » !) Laissez-moi deviner : c’est un ami qui vous a donné notre numéro ; il vous a dit de nous passer un coup de fil en arrivant ici. C’est ça ?
L’homme, au téléphone, semblait embarrassé.
— Non, en fait, ça n’a rien à voir.
— Ne soyez pas timide, señor. Nous sommes une agence d’escortes, rien de honteux là-dedans. Des jolies filles, des rendez-vous pour des dîners, et voilà tout. Qui vous a donné notre numéro ? C’est peut-être un habitué. Je peux vous faire un tarif spécial.
— Euh... En fait, personne ne m’a, à proprement parler,
« donné » ce numéro. Je l’ai trouvé dans un passeport. Je recherche son propriétaire.
Cette nouvelle fendit le cœur de Roldán. Raté. Cet homme n’était pas un client.