— Vous dites avoir trouvé ce numéro ?
— Oui, dans le parc... il était écrit sur un bout de papier à l’intérieur du passeport. Je pensais que c’était le numéro de l’hôtel du propriétaire, et j’espérais pouvoir lui restituer le tout.
Je suis désolé de vous avoir dérangé. Je vais le déposer, en chemin, au commissariat...
— Perdone señor, l’interrompit Roldán d’un ton nerveux.
Mais j’ai peut-être une meilleure idée...
Roldán se vantait de sa discrétion, et envoyer ses clients chercher leurs papiers d’identité à la police était le meilleur moyen de les perdre.
— Si cet homme a notre numéro dans son passeport, c’est sûrement parce qu’il est un de nos clients. Je peux vous éviter un détour au poste de police.
— Je ne sais pas, répondit la voix d’un ton hésitant. Je pense qu’il vaut mieux...
— Réfléchissez, cher ami. La police de Séville n’est pas aussi efficace que celle du nord. C’est malheureux, mais c’est la vérité.
Il peut se passer plusieurs jours avant que cet homme ne
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récupère son passeport. Dites-moi son nom, et je me chargerai de le lui faire porter aujourd’hui même.
— Euh, oui... D’accord... Il n’y a pas de mal à ça, vous avez raison... (Il y eut un bruissement de papier sur la ligne.) C’est un nom allemand. Je ne sais pas comment ça se prononce...
Gusta... Gustafson ?
Ce nom n’évoquait rien à Roldán, mais ses clients venaient du monde entier. Ils donnaient toujours une fausse identité.
— De quoi a-t-il l’air... sur la photo ? Je pourrai peut-être le reconnaître.
— Eh bien... Il est gros, très gros.
Roldán sut immédiatement de qui il s’agissait. Il se souvenait du visage obèse. L’homme qui était avec Rocío...
C’était le deuxième appel de la soirée à propos de cet Allemand.
Bizarre.
Roldán lança un rire forcé.
— M. Gustafson ? Bien sûr ! Je vois très bien qui c’est.
Apportez-moi son passeport, et je ferai en sorte qu’il le récupère.
— Je suis en plein centre-ville, et je n’ai pas de voiture. Ne pourriez-vous pas vous déplacer ?
Roldán trouva une excuse :
— Je suis bloqué ici, je dois répondre au téléphone. Mais ce n’est pas si loin...
— Écoutez, il est tard et je n’ai aucune envie d’errer en ville.
Il y a un poste de police pas loin d’ici. Je vais y déposer le passeport et vous n’aurez qu’à le dire à M. Gustafson quand vous le verrez.
— Non ! Attendez ! s’écria Roldán. Pas besoin de passer par la police. Vous êtes en centre-ville, c’est ça ? Est-ce que vous connaissez l’Alfonso XIII ? C’est un hôtel célèbre ici...
— Oui, je vois très bien. Je n’en suis pas loin.
— Magnifique ! M. Gustafson est descendu là-bas. Il doit y être actuellement.
La voix marqua un temps d’hésitation.
— Bon, d’accord... faisons comme ça... c’est sans doute plus simple...
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— Génial ! En ce moment, il dîne au restaurant de l’hôtel avec l’une de nos hôtesses.
Selon toute vraisemblance, ils devaient plutôt être au lit, mais Roldán ne voulait pas heurter la sensibilité de son interlocuteur.
— Il vous suffira de laisser le passeport au réceptionniste. Il s’appelle Manuel. Dites que vous venez de ma part, et demandez-lui de remettre le passeport à Rocío. C’est avec elle que señor Gustafson dîne ce soir. Elle le lui rendra, soyez-en assuré. Vous devriez glisser votre nom et votre adresse à l’intérieur – señor Gustafson voudra peut-être vous adresser un petit remerciement.
— Bonne idée. Hôtel Alfonso XIII. Très bien. J’y vais de ce pas. Merci pour votre aide.
David Becker raccrocha, le sourire aux lèvres. Il suffisait de demander... Quelques instants plus tard, dans la douceur de la nuit andalouse, une ombre silencieuse filait Becker dans la Calle Delicias.
29.
Susan, encore énervée de son échange avec Hale, observait la grande salle derrière les baies. La Crypto était déserte. Hale était à nouveau silencieux, absorbé par son travail. Si seulement il pouvait partir !
Devait-elle appeler Strathmore ? Le directeur adjoint pourrait jeter Hale dehors – après tout, c’était samedi. Mais ça ne manquerait pas d’éveiller ses soupçons. Une fois hors de la Crypto, Hale appellerait ses collègues pour leur signaler
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l’incident et connaître leur opinion sur ce qui pouvait bien se passer. Non, il valait mieux laisser Hale vaquer à ses occupations. Il finirait bien par rentrer chez lui...
Un algorithme incassable. Elle poussa un soupir...
Forteresse Digitale, la place imprenable. Qu’un tel algorithme puisse exister dépassait son entendement. Mais la preuve était là, sous ses yeux : les coups de bélier de TRANSLTR étaient sans effet. Elle pensait aussi à Strathmore, qui portait tout le poids de cette épreuve sur ses épaules, qui faisait l’impossible pour sauver l’agence et qui restait solide comme un roc dans la tourmente. Il y avait du David en lui. Les deux hommes avaient beaucoup de qualités en commun – la ténacité, le dévouement, l’intelligence. Parfois, Susan avait le sentiment d’être la bouffée d’oxygène de Strathmore, que sa passion sans compromis pour la cryptographie aidait le commandant à rester intègre, à nager au-dessus du panier de crabes des politiques, qu’elle lui rappelait sa fougue d’antan, lorsqu’il n’était qu’un jeune casseur de codes impétueux.
Susan aussi avait grand besoin de Strathmore ; il était son guide et son protecteur dans ce monde d’hommes assoiffés de pouvoir. Il veillait sur elle, s’occupait de sa carrière ; pour reprendre ses mots facétieux : il était le bon génie qui avait exaucé tous ses vœux ! Cette plaisanterie n’était pas dénuée de vérité. Même si Strathmore n’avait pas prévu l’idylle qui allait naître entre David et elle, c’était lui qui avait fait venir son futur fiancé à la NSA. À l’évocation de David, les yeux de Susan allèrent d’instinct se poser sur ses bacs de rangement, à côté de son clavier. Un petit fax y était scotché. Sept mois qu’il était là : le seul code que Susan Fletcher n’avait pas encore cassé – et David en était l’auteur ! Elle le relut, pour la énième fois.
CET HUMBLE FAX POUR TE DIRE :
POUR TOI MON AMOUR EST SANS CIRE
Il lui avait envoyé ce mot après une petite querelle. Depuis des mois, elle le suppliait de lui révéler ce qu’il signifiait, mais en vain. « Sans cire. » C’était une petite vengeance de la part de David. Susan lui avait appris beaucoup sur les codes et, pour qu’il ne perde pas la main, elle avait pris l’habitude de chiffrer, à
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l’aide de combinaisons simples, tous les messages qu’elle lui adressait – liste de courses, mots d’amour –, tout était crypté.
David était devenu plutôt bon à ce petit jeu. Par la suite, il avait décidé de lui retourner la monnaie de sa pièce. Il commença à signer toutes ces lettres « Sans cire, David ». Susan avait reçu une douzaine de mots de lui, et tous finissaient de la même manière. « Sans cire ».
A genoux, elle lui avait demandé de lui dévoiler le sens caché de ces deux mots, mais David était resté de marbre. Il se contentait de sourire et de répondre : « C’est toi, la casseuse de codes. » La cryptologue en chef de la NSA avait tout essayé –