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L’hôtel Alfonso XIII était situé derrière la Puerta de Jerez.

C’était un petit hôtel quatre étoiles, entouré d’une imposante clôture en fer forgé recouverte de lilas. David gravit l’escalier en marbre. Quand il arriva près de la porte, elle s’ouvrit comme par magie, et un chasseur l’invita à entrer.

— Bagages, señor ? Puis-je vous aider ?

— Non, merci. Je

voudrais simplement

voir le

réceptionniste.

Le portier semblait chagriné. A l’évidence, leur échange de deux secondes n’avait pas été à la hauteur de ses espérances.

Por aquí, señor.

Il accompagna Becker dans le hall, désigna le bureau de la réception d’un geste, et repartit au petit trot vers sa porte.

Le hall était charmant, petit et élégamment décoré. L’âge d’or de l’Espagne était révolu depuis longtemps, mais au milieu du XVIe siècle, cette petite nation avait dominé le monde. Cette salle témoignait avec fierté de cette époque – armures, gravures militaires et vitrines renfermant des trésors rapportés par les galions du Nouveau Monde.

Derrière le comptoir marqué CONSERJE se tenait un homme tiré à quatre épingles, qui souriait avec une telle sollicitude qu’il semblait vouer sa vie à rendre service à son prochain.

¿ En qué puedo servirle, señor ? demanda-t-il d’une voix affectée en détaillant Becker de la tête aux pieds.

— Je voudrais parler à Manuel, répondit Becker en espagnol.

Le visage bronzé de l’homme s’éclaira d’un sourire encore plus large.

Sí, sí, señor. Je suis Manuel. Que désirez-vous ?

— Señor Roldán, de Escortes Belén, m’a dit que vous...

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D’un signe de la main, l’employé fit taire Becker et jeta des regards nerveux dans le hall.

— Venez par ici...

Il entraîna Becker, à l’écart, au bout du comptoir.

— Je vous écoute ? chuchota-t-il, en quoi puis-je vous aider ?

— Je souhaite parler à l’une de ses accompagnatrices, répondit-il en baissant le ton. Elle doit être en train de dîner ici.

Elle s’appelle Rocío.

Le réceptionniste laissa échapper un long soupir, mi-figue, mi-raisin.

— Aaaah, Rocío... elle plaît beaucoup...

— J’ai besoin de la voir immédiatement.

— Mais, señor, elle est avec un client.

— C’est très important.

Une question de sécurité nationale ! cria Becker en pensée.

— C’est impossible, répliqua l’employé en secouant la tête.

Peut-être pourriez-vous lui laisser un...

— Ce ne sera vraiment pas long. Où est-elle ? Dans la salle du restaurant ?

— Notre restaurant est fermé depuis une heure et demie.

J’ai bien peur que Rocío et son hôte ne se soient retirés pour la nuit. Si vous voulez bien laisser un message, je le lui remettrai dès demain matin.

Il désigna les nombreux casiers derrière lui.

— Peut-être pourrait-on l’appeler dans sa chambre et...

— Impossible, l’interrompit l’employé sans plus de politesse. Notre établissement attache une grande importance à la tranquillité de ses clients.

Becker n’avait pas l’intention d’attendre pendant dix heures qu’un gros bonhomme et une prostituée se décident à descendre prendre leur petit déjeuner.

— Je comprends. Désolé de vous avoir importuné.

Il se retourna et marcha à grand pas vers un secrétaire en merisier qu’il avait remarqué en entrant. Dessus, cartes postales, papiers à lettres, stylos et enveloppes étaient généreusement mis à disposition par l’Alfonso XIII. Becker glissa une feuille vierge dans une enveloppe, sur laquelle il

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écrivit avant de la cacheter : ROCÍO. Puis il revint vers le réceptionniste.

— Excusez-moi de vous déranger à nouveau, dit-il d’un air embarrassé. J’ai dû vous paraître idiot, tout à l’heure, mais j’espérais tant voir Rocío en personne pour lui dire à quel point j’avais apprécié sa compagnie l’autre jour. Je quitte la ville ce soir. Tout bien réfléchi, je vais lui laisser un message. C’est mieux que rien.

Il déposa l’enveloppe sur le comptoir.

L’employé la regarda avec un petit sourire attristé. Encore un hétéro qui en pince pour elle. Quel gâchis ! Il releva les yeux et sourit à Becker.

— Bien sûr, monsieur... ?

— Buisán. Miguel Buisán.

— Entendu. Je me chargerai de lui remettre votre mot dans la matinée.

— Je vous remercie.

Becker lui sourit et s’éloigna.

Le réceptionniste, après avoir jeté un regard discret sur le postérieur de Becker, saisit l’enveloppe sur le comptoir et se tourna vers les rangées de casiers numérotés. Au moment où il glissait l’enveloppe dans l’une des cases, Becker fit volte-face pour poser une dernière question :

— Où puis-je appeler un taxi ?

Le réceptionniste se retourna pour lui répondre. Mais Becker se contrefichait du renseignement. Le timing parfait ! Il s’était retourné pile au moment où la main de l’employé ressortait du casier « 301 ».

Becker le remercia et se dirigea lentement vers la sortie, cherchant à repérer l’ascenseur.

Un simple aller-retour, se répétait-il.

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31.

Susan était de retour au Nodal 3. Après sa conversation avec Strathmore, elle s’inquiétait de plus en plus pour David. Elle imaginait les pires scénarios.

— Alors ? lui lança Hale. Que voulait Strathmore ? Une soirée romantique en tête à tête avec sa cryptologue préférée ?

Susan ignora sa remarque et alla s’installer à son terminal.

Elle tapa son code d’accès personnel et son écran se ralluma. Le programme du pisteur s’afficha ; toujours aucune information sur North Dakota. Bon sang. Pourquoi était-ce si long ?

— Tu as l’air tendue, lui dit Hale d’un air innocent. Un problème avec ton diagnostic ?

— Rien de grave.

Mais elle n’en était pas si sûre. Le pisteur aurait dû se manifester depuis longtemps. Peut-être avait-elle commis une erreur de programmation ? Elle commença à éplucher les longues lignes de LIMBO sur son écran, à la recherche de ce qui pourrait justifier un tel retard.

Hale l’observait en catimini.

— Au fait, je voulais te demander... Que penses-tu de l’algo de Tankado, ce truc incassable qu’il prétend avoir écrit ?

L’estomac de Susan se noua d’un coup. Elle leva les yeux vers lui.

— Ah, oui... J’en ai entendu parler.

— C’est plutôt gonflé de sa part d’annoncer ça.

— Ouais.

Pourquoi Hale abordait-il ce sujet ?

— Je n’y crois pas une seconde, lâcha-t-elle. Tout le monde sait que c’est une impossibilité mathématique.

Hale sourit.

— Ah, oui... le principe de Bergofsky.

— Et le bon sens !

— Qui sait..., répondit Hale avec un soupir théâtral. Il y a plus de choses dans le Ciel et sur la Terre que n’en peut contenir notre philosophie.

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— Je te demande pardon ?

— Shakespeare. Hamlet.

— Tu as profité de ton séjour en prison pour te cultiver ?

Hale s’esclaffa.

— Sérieusement, Susan, tu ne t’es jamais dit que ça pouvait être possible ? Que Tankado avait peut-être réellement écrit un algorithme incassable ?

Cette conversation mettait Susan au supplice.

— Et pourquoi, nous, nous n’y sommes jamais parvenus ?