— J’appartiens à la police de Séville.
Rocío s’avança vers lui d’un air menaçant.
— Je connais chaque policier de cette ville. Ce sont mes meilleurs clients...
Becker se sentait transpercé de part en part par son regard.
Il rassembla son courage pour faire front.
— Je fais partie d’une unité spéciale. Je m’occupe des touristes. Donnez-moi la bague, ou je serai dans l’obligation de vous emmener et...
— Et quoi ? Elle levait les sourcils, comme pour se moquer d’avance de ce qu’il allait dire.
Becker resta silencieux. Il était à bout d’arguments. Il s’était laissé prendre à son propre jeu. Pourquoi ne gobait-elle pas son histoire ?
Rocío se rapprocha de lui.
— Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous cherchez, mais si vous ne quittez pas cette chambre sur-le-champ, j’appelle la sécurité de l’hôtel. Et la vraie Guardia vous arrêtera... usurper l’identité d’un officier de police peut coûter très cher.
Certes, Strathmore, en un coup de fil, pourrait le faire libérer. Mais il devait remplir cette mission dans la plus grande discrétion. Un séjour au poste de la police locale n’était pas prévu au programme.
Rocío se tenait à quelques pas de lui et le défiait du regard.
— D’accord, soupira Becker, en abandonnant son accent. Je ne suis pas de la police de Séville. Une agence gouvernementale américaine m’a chargé de récupérer la bague de l’Asiatique. Je ne peux vous en dire plus. Mais je suis prêt à vous l’acheter.
Un long silence suivit.
Rocío laissa l’aveu flotter dans l’air un moment avant d’afficher un sourire de satisfaction.
— C’était donc si difficile que ça ?
Elle s’assit sur une chaise et croisa les jambes.
— Combien êtes-vous prêt à payer ?
Becker masqua son soulagement. Il ne voulait pas perdre de temps à marchander :
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— Sept cent cinquante mille pesetas. Cinq mille dollars américains. C’était la moitié de ce qu’il avait sur lui et, en même temps, dix fois la valeur de cette bague.
Rocío releva un sourcil.
— C’est une jolie somme.
— Alors ? Marché conclu ?
Elle secoua la tête.
— J’aurais aimé pouvoir vous dire oui.
— Un million de pesetas ? lâcha Becker. C’est tout ce que j’ai en ma possession.
— Bigre ! sourit-elle. Vous autres Américains n’êtes pas doués en affaires. Au marché, vous vous feriez plumer en moins de deux !
— Je vous paie cash, tout de suite, annonça Becker en sortant l’enveloppe de sa poche. Je veux rentrer chez moi... la supplia-t-il en pensée. Rocío secoua la tête.
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ? s’écria Becker perdant patience.
— Parce que cette bague, je ne l’ai plus, annonça-t-elle avec un sourire désolé. Je l’ai vendue.
33.
Tokugen Numataka regardait par la fenêtre et faisait les cent pas comme un animal en cage. Pas de nouvelles de North Dakota, son contact.
Maudits Américains ! Aucun sens de la ponctualité !
Il l’aurait bien rappelé, mais il n’avait pas son numéro.
Numataka détestait les affaires menées de cette façon – quand quelqu’un d’autre que lui était aux manettes.
North Dakota pouvait être un leurre. Cette idée lui avait traversé l’esprit, au début – un concurrent japonais qui aurait,
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par exemple, décidé de le ridiculiser... Et, à présent, ses premiers doutes refaisaient surface. Il fallait qu’il en sache davantage.
Numataka sortit de son bureau et traversa à pas vifs le grand couloir de la Numatech. Ses employés s’inclinaient respectueusement sur son passage. Numataka n’était pas dupe : il ne s’agissait pas d’une quelconque marque d’affection. Tous les employés japonais saluaient leurs patrons, même les plus tyranniques.
Numataka se rendit au standard téléphonique de la société.
Tous les appels étaient gérés par une seule personne sur un Corenco 2000, un standard de douze lignes. La réceptionniste était très occupée mais elle se leva à l’arrivée de Numataka.
— Asseyez-vous ! ordonna-t-il.
Elle obéit.
— J’ai reçu un appel aujourd’hui, à seize heures quarante-cinq, sur ma ligne personnelle. Pouvez-vous me dire d’où il provenait ?
Pourquoi ne s’était-il pas renseigné plus tôt... L’opératrice déglutit d’un air angoissé.
— Cette machine n’enregistre pas les appels entrants, monsieur le président. Mais je peux contacter la compagnie de téléphone. Je suis sûre qu’ils pourront nous aider.
Numataka n’en doutait pas une seconde. Dans cette ère du numérique, l’intimité et l’anonymat appartenaient au passé.
Tout était enregistré, consigné quelque part. Les opérateurs téléphoniques vous indiquaient avec exactitude qui avait appelé et combien de temps avait duré votre conversation.
— Faites-le ! Et informez-moi aussitôt du résultat.
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34.
Seule dans le Nodal 3, Susan attendait le retour de son pisteur. Hale était sorti prendre l’air... tant mieux.
Curieusement, elle ne parvenait pas à savourer pleinement ce moment de solitude tant attendu. Savoir que Tankado et Hale étaient en contact la tracassait.
Qui gardera les gardes ? Quis custodiet ipsos custodes ? Ces mots lui revenaient sans cesse à l’esprit. Impossible de les chasser...
Elle songea à David... pourvu que tout aille bien pour lui là-bas... David, en Espagne – c’était à peine croyable. Plus vite ils retrouveraient les deux clés d’accès, plus vite il serait rentré...
Depuis combien de temps était-elle assise là, à attendre le retour du pisteur ? Deux heures ? Trois ? Elle promenait son regard sur la Crypto déserte, brûlant d’entendre son ordinateur émettre un petit bip joyeux. Seul le silence régnait. Le soleil d’été avait fini par se coucher. L’éclairage fluorescent avait pris le relais. C’était long, trop long... Susan regarda son écran en fronçant les sourcils.
— Allez ! grommela-t-elle. Tu en prends un temps !
Elle positionna sa souris sur la fenêtre d’état du pisteur et cliqua dessus.
— Depuis quand es-tu parti au juste ?
Elle ouvrit l’horloge du pisteur – un compteur, semblable à celui de TRANSLTR, indiquait le temps écoulé depuis le lancement du programme. Susan releva la tête vers l’écran, s’apprêtant à lire un cadran horaire. Mais ce qu’elle vit lui glaça le sang :
PISTEUR ANNULÉ
— Quoi ? ! s’écria-t-elle. C’est impossible !
Dans une soudaine panique, Susan fit défiler les instructions entrées dans le programme, à la recherche d’une commande susceptible d’avoir déclenché l’annulation. Mais en
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vain. Apparemment, le pisteur s’était arrêté tout seul. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il y avait eu un bug.
Les bugs étaient le pire cauchemar des programmeurs. Les ordinateurs suivaient des instructions dans un ordre scrupuleux, et, souvent, une erreur infime de programmation suffisait à les faire planter. Une simple erreur de syntaxe – une virgule entrée involontairement à la place d’un point, par exemple – et tout le système se retrouvait bloqué. L’origine du mot bug avait toujours amusé Susan : elle datait du premier ordinateur du monde – le Mark 1 – un labyrinthe de circuits électromécaniques, de la taille d’une pièce entière, construit en 1944 dans un labo de l’université d’Harvard. Un jour, l’ordinateur eut une panne de fonctionnement. Personne ne parvenait à en trouver l’origine. Après des heures de recherche, un assistant découvrit enfin la source du problème. Un papillon de nuit s’était posé sur la plaque d’un circuit intégré et avait provoqué