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D’abord agir, expliquer ensuite. Chartrukian savait ce qu’il avait à faire. Et quand la tempête serait finie, soit il serait le nouveau héros de Fort Meade, soit un chômeur de plus.

Le grand ordinateur casseur de codes avait un virus – lui, Phil Chartrukian, responsable de la sécurité des systèmes, en était certain ! Une solution s’imposait, une seule : éteindre TRANSLTR.

Il n’existait que deux manières de couper l’alimentation de la machine. La première était de passer par le terminal privé du directeur adjoint, lequel se trouvait dans son bureau en passerelle – c’était donc hors de question. La seconde était d’actionner le commutateur manuel, situé dans un des étages du sous-sol de la Crypto.

Chartrukian sentit sa gorge se serrer. Il détestait les sous-sols. Il n’y était allé qu’une seule fois, lors d’un entraînement.

C’était comme une autre planète, une terra incognita avec son labyrinthe de coursives, ses canalisations de fréon et son abîme vertigineux menant aux groupes électrogènes qui grondaient en bas...

C’était le dernier endroit où il avait envie de mettre les pieds... comme Strathmore était la dernière personne à qui il avait envie de désobéir... mais c’était son devoir. Demain, ils me diront merci, se disait-il. Du moins, c’est ce que le jeune homme espérait.

Chartrukian prit une grande inspiration, et ouvrit l’armoire métallique de Jabba. Sur une étagère remplie de pièces d’ordinateur, caché derrière un concentrateur média et un testeur LAN, se trouvait un mug des anciens élèves de Stanford.

En veillant à ne pas toucher le bord, il glissa la main à l’intérieur de la tasse et en sortit une clé Medeco.

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— C’est incroyable, grommela-t-il, comme les huiles de la sécurité informatique ne connaissent rien à la sécurité tout court !

47.

— Un code à un milliard de dollars ? ricana Midge en revenant avec Brinkerhoff dans le couloir. Elle est bien bonne, celle-là.

— Je te jure que c’est vrai.

Elle lui jeta un regard de travers.

— J’espère pour toi que ce n’est pas un traquenard pour une partie de jambes en l’air.

— Midge, jamais je ne..., commença-t-il d’un air vertueux.

— Ça va, Chad. Ne remue pas le couteau dans la plaie.

Trente secondes plus tard, Midge était assise à la place de Brinkerhoff et étudiait le bilan de la Crypto.

— Tu vois ce CMD ? (Il se pencha au-dessus d’elle en pointant du doigt le chiffre en question.) Un milliard de dollars !

Midge gloussa.

— Ça paraît effectivement battre tous les records.

— Ça les écrase à plate couture, oui !

— Sauf que ça ressemble à une division par zéro.

— Une quoi ?

— Une division par zéro, répéta-t-elle en examinant le reste de la page. Le CMD est une fraction... le coût total divisé par le nombre de codes cassés, d’accord ?

— D’accord.

Brinkerhoff acquiesçait, en se retenant de plonger son regard dans le décolleté de Midge.

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— Quand le dénominateur est zéro, expliqua-t-elle, le quotient est infini. Mais comme les ordinateurs ne supportent pas l’infini, ils inscrivent des lignes de « 9 ».

Elle désigna du doigt une autre section du document :

— Regarde cette colonne...

— Oui, s’empressa de répondre Brinkerhoff en tâchant de se concentrer sur la page.

— Ce sont les résultats d’aujourd’hui. Lis le nombre de codes décryptés.

Comme un élève bien sage, Brinkerhoff suivit le doigt de Midge qui descendait jusqu’au bas de la colonne.

NOMBRE DE DÉCRYPTAGES : 0

Midge tapota de son ongle le chiffre en question.

— C’est bien ce que je pensais. Une division par zéro !

— Alors tout va bien ? s’enquit Brinkerhoff.

Midge haussa les épaules.

— Ça veut simplement dire qu’aucun code n’a été cassé aujourd’hui. TRANSLTR se repose.

— Tu plaisantes ?

Brinkerhoff connaissait suffisamment Fontaine pour savoir que le mot « repos » ne faisait pas partie de son dictionnaire du management – en particulier concernant les machines.

Fontaine avait dépensé deux milliards de dollars pour sa bête à décoder, et il tenait à la rentabiliser jusqu’à la dernière soudure.

Chaque seconde où TRANSLTR restait inactive, c’était des liasses de billets qui partaient par la fenêtre.

— Mais... Midge... TRANSLTR n’est jamais au repos. Elle tourne nuit et jour. Tu le sais bien.

— Peut-être que Strathmore n’avait pas envie de traîner là hier soir pour préparer les décryptages du week-end, lâcha Midge avec un mépris évident. Comme Fontaine était absent, il en a profité pour filer à l’anglaise et aller taquiner le gardon.

— Ça va, Midge, répliqua Brinkerhoff en lui lançant un regard réprobateur. Lâche-le un peu.

C’était un secret de polichinelle : Midge Milken ne portait pas Trevor Strathmore dans son cœur. Strathmore avait tenté

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de modifier Skipjack ; la manœuvre était rusée, mais il s’était fait prendre... Malgré ses bonnes intentions, cette audace avait coûté cher à la NSA. L’EFF avait accru son pouvoir, la crédibilité de Fontaine avait pris du plomb dans l’aile, et, plus grave encore, l’agence était sortie de l’ombre. A présent, même dans le fin fond du Minnesota, des femmes au foyer s’inquiétaient auprès d’AOL et de CompuServe que la NSA puisse lire leurs emails – comme si la NSA s’intéressait au secret de la tarte aux patates douces.

La maladresse de Strathmore avait causé beaucoup de torts à la NSA, et Midge se sentait responsable ; certes, il lui était impossible de prévoir les projets de Strathmore, mais il n’en restait pas moins que quelqu’un avait agi dans le dos du directeur, or Midge était justement payée pour protéger les arrières du patron. Fontaine déléguait beaucoup et cela laissait, malheureusement, la porte ouverte à ce genre d’initiative personnelle... La philosophie du directeur avait toujours été de laisser les gens compétents faire leur travail ; voilà pourquoi Trevor Strathmore avait, encore et toujours, carte blanche.

— Midge, tu sais très bien que Strathmore n’est pas un tire-au-flanc. Il fait tourner TRANSLTR à plein régime.

Midge acquiesça. Accuser Strathmore de laxisme, bien sûr, était absurde. Le directeur adjoint était entièrement dévoué à la NSA – au point, parfois, d’aller trop loin. Eradiquer le mal de la planète était sa croisade. La porte secrète dans Skipjack devait être un grand fait d’armes – une manœuvre héroïque pour rendre le monde meilleur. Malheureusement ce bel espoir, comme tant d’autres causes perdues, s’était terminé, pour son champion, par une mise au pilori.

— Je reconnais que je suis un peu injuste, admit-elle.

— Un peu ? Strathmore a, sur les bras, une pile monumentale de codes à casser. Jamais, il ne laisserait TRANSLTR inactive pendant un week-end entier.

— D’accord, d’accord, soupira-t-elle. Au temps pour moi.

Midge restait néanmoins perplexe. Pourquoi alors TRANSLTR n’avait-elle décrypté aucun code de toute la journée...