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Que ce soit lors de visites au Smithsonian, de balades à vélo, ou pendant qu’ils faisaient cuire des spaghettis chez Susan, David manifestait toujours de la curiosité pour son métier. Susan lui répondait du mieux qu’elle le pouvait, l’informant sur le fonctionnement général de l’agence, sur tout ce qui ne relevait pas du secret-défense. Pour David, le monde de Susan était fascinant.

Officiellement fondée par une directive secrète du président Truman, à 0 h 01 le 4 novembre 1952, la NSA était restée la plus secrète des agences de renseignement durant près de cinquante ans. Les sept pages des statuts initiaux définissaient, de manière très précise, sa mission : assurer la confidentialité des communications du gouvernement américain et intercepter celles des puissances étrangères.

Plus de cinq cents antennes recouvraient le toit du quartier général des opérations de la NSA, dont deux énormes radars qui ressemblaient à des balles de golf géantes. Le bâtiment principal était gigantesque, occupant près de deux cent mille mètres carrés – vingt hectares – soit deux fois la taille du QG de la CIA.

À l’intérieur, plus de deux mille cinq cents kilomètres de câbles téléphoniques s’étendaient derrière trois mille mètres carrés de fenêtres scellées.

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Susan apprit à David l’existence du COMINT, le renseignement des communications à l’échelle planétaire : un réseau inimaginable de systèmes d’écoutes téléphoniques, de satellites espions et d’agents de terrain, couvrant la totalité du globe. Chaque jour, des centaines de conversations et de messages étaient interceptés et retransmis aux analystes de la NSA afin d’être décryptés. Le FBI, la CIA comme le ministère des Affaires étrangères des États-Unis, tous s’appuyaient sur les renseignements de la NSA pour prendre leurs décisions.

— Et le décodage ? demanda Becker, stupéfié par cette révélation. À quel moment est-ce que, toi, tu interviens ?

Susan lui expliqua que les transmissions interceptées provenaient essentiellement d’États belliqueux, de factions hostiles et de groupes terroristes, dont nombre avaient des cellules sur le territoire des États-Unis. En général, leurs communications étaient codées pour le cas où elles viendraient à tomber entre des mains ennemies – ce qui, grâce au COMINT, était souvent le cas. Son travail consistait alors à étudier les codes employés, à les casser, et à transmettre à la NSA les messages en texte clair.

Ce qui n’était pas la stricte vérité...

Susan sentit une pointe de culpabilité la traverser à l’idée de mentir à l’homme de sa vie, mais elle n’avait pas le choix. Ce qu’elle lui avait dit était encore vrai quelques années auparavant, mais beaucoup de choses avaient changé à la NSA.

Et aussi dans le monde de la cryptologie. Les nouvelles fonctions de Susan étaient classées top secret, même pour nombre de personnes au plus haut échelon du pouvoir.

— Les codes..., lâcha Becker, fasciné. Comment sais-tu par quel bout commencer ? Comment trouves-tu la faille ?

— S’il y a une personne qui devrait le savoir, c’est bien toi, lui rétorqua Susan dans un sourire. C’est comme chercher à comprendre une langue étrangère. Au début, cela ressemble à du charabia, mais quand tu arrives à identifier les règles qui définissent la structure, tu commences à entrevoir le sens.

Becker approuva, impressionné. Il voulait en savoir plus.

Avec la serviette du Merlutti’s et le programme du concert en guise de tableau noir, Susan entreprit ce soir-là de donner à son

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jeune et charmant professeur un petit cours de cryptographie appliquée. Elle commença par Jules César et sa méthode de chiffrement, fondée sur les carrés parfaits.

César, expliqua-t-elle, avait été le premier dans l’histoire à coder ses instructions. Quand il constata que ses messagers tombaient dans des embuscades et que ses communications secrètes étaient interceptées, il inventa un procédé rudimentaire pour crypter ses missives. Il brouilla ses textes de telle sorte qu’ils ne voulaient plus rien dire. Bien sûr, il n’en était rien.

Chaque message contenait un nombre de lettres qui formait un carré parfait – seize, vingt-cinq, cent – en fonction de la longueur du texte initial de César. Il avait informé secrètement ses officiers qu’ils devaient, quand un message brouillé leur arrivait, inscrire le texte, lettre par lettre, dans une grille carrée.

Une fois cette disposition effectuée, s’ils lisaient les lettres de haut en bas, le sens du message codé leur apparaissait, comme par magie.

Au fil du temps, le concept inventé par César fut repris par d’autres, et les codes évoluèrent pour devenir de plus en plus complexes. Les encodages non informatisés connurent leur heure de gloire pendant la Seconde Guerre mondiale. Les nazis mirent au point une machine incroyable nommée Enigma. Son mécanisme ressemblait à celui d’une vieille machine à écrire, mais avec un système de rotors dentés qui pivotaient de manière savante. La machine transformait n’importe quel texte clair en une succession de groupes de caractères totalement incompréhensibles. Seul le destinataire, qui possédait la même machine, une autre Enigma réglée exactement de la même façon, pouvait décoder le message.

Becker écoutait, envoûté. Le professeur était devenu l’élève...

Un soir, durant une représentation de Casse-Noisette, Susan donna à David son premier message codé à décrypter.

Becker resta assis pendant tout l’entracte, un stylo à la main, cherchant à percer le mystère des dix-sept lettres du message.

KF TVJT CJFO BWFD UPJ

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Finalement, juste au moment où les lumières s’éteignaient, annonçant le début du second acte, il trouva la solution. Comme principe d’encodage, Susan s’était contentée de remplacer chaque lettre par la lettre de l’alphabet suivante. Pour décrypter le message, David devait tout simplement décaler chaque lettre d’un cran dans l’autre sens – « B » devenait « A », « C »

devenait « B », et ainsi de suite. Il remplaça rapidement toutes les lettres. Jamais il n’avait imaginé que six petites syllabes pourraient le rendre aussi heureux :

JE SUIS BIEN AVEC TOI

Il griffonna rapidement sa réponse et lui tendit le papier.

NPJ BVTTJ

Susan le lut et son visage s’illumina.

Becker ne pouvait s’empêcher de rire de lui-même. A trente-cinq ans, voilà que son cœur battait la chamade comme celui d’un jeune adolescent. Jamais une femme ne l’avait autant attiré. Ses traits caucasiens, si délicats, et ses doux yeux noisette lui rappelaient une publicité pour Estée Lauder... Si, à treize ans, Susan était une grande tige un peu gauche, ce n’était plus le cas à présent. Quelque part en chemin, elle avait développé une véritable grâce – svelte, élancée, avec une poitrine ample et ferme et un ventre parfaitement plat. David plaisantait souvent sur le fait qu’elle était le premier top model qu’il rencontrait ayant un doctorat en mathématiques appliquées et en théorie des nombres ! Plus les mois passaient, plus il devint évident qu’ils vivaient tous les deux quelque chose d’unique qui pourrait bien durer toute une vie.