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Becker perdit patience. À cette heure, il aurait dû être au lit avec Susan dans les Smoky Mountains... Que faisait-il en Espagne, à discuter avec un adolescent ivre et psychotique ?

Sans crier gare, il souleva le gamin sous les aisselles, et l’assit sur la table.

— Écoute-moi bien, espèce de petit morveux, parce que je ne le répéterai pas... Soit tu la boucles illico, soit je t’arrache ton épingle de nourrice et je te la plante en travers de la bouche pour ne plus t’entendre !

Le jeune garçon pâlit.

Becker le tint un moment, puis il le lâcha. Sans quitter des yeux le gamin apeuré, il se baissa, ramassa les bouteilles, et les posa sur la table.

— Qu’est-ce qu’on dit ?

L’adolescent était sans voix.

— Merci ! lâcha Becker d’un ton sec.

C’était à vous dégoûter d’avoir des enfants !

— C’est ça, casse-toi ! lança le gamin, vexé par les rires de ses congénères. Suceur de bites !

Becker resta immobile. Une parole de l’adolescent lui revenait à l’esprit : « Je viens là tous les soirs. » Un coup de pouce du destin ?

— C’est comment ton nom déjà ?

— Deux-Tons, siffla-t-il, comme s’il prononçait une sentence de mort.

— Deux-Tons ? répéta Becker d’un air songeur. C’est à cause de tes cheveux, c’est ça ?

— T’es un futé, toi...

— Ça sonne bien... C’est toi qui as trouvé ce nom ?

— Bingo ! répondit-il fièrement. Je vais d’ailleurs le breveter.

Becker fronça les sourcils.

— Tu veux dire le « déposer » ?

Le gamin était perdu...

— Un nom, ça se dépose. Ça ne se fait pas breveter.

– 200 –

— On s’en branle de tes conneries ! lâcha le petit punk, agacé.

La brochette de viande saoule et shootée aux tables voisines était hilare. Deux-Tons se tenait devant Becker, d’un air de défi.

— Putain, mais qu’est-ce que tu me veux ?

Becker réfléchit un instant. Je veux que tu te laves la tête, que tu apprennes à parler correctement et que tu cherches un boulot ! songea-t-il. Mais c’était sans doute trop demander pour une première rencontre.

— Je cherche des informations.

— Va te faire foutre !

— Je cherche quelqu’un.

— Je connais pas de qui tu parles.

— Je ne vois pas de qui tu parles, corrigea Becker en faisant signe à une serveuse qui passait.

Il acheta deux bières Aguila et en tendit une à Deux-Tons.

Le garçon accusa le coup. Il avala une grande lampée de bière et regarda Becker avec méfiance.

— Tu me fais un plan, c’est ça ?

Becker sourit.

— Je cherche une fille.

Deux-Tons partit d’un grand rire.

— T’as aucune chance d’emballer, sapé comme ça !

Becker fronça les sourcils.

— Je ne cherche pas à « emballer » qui que ce soit. Je veux juste parler à cette personne. Peut-être peux-tu m’aider à la trouver.

Deux-Tons reposa sa bière.

— T’es flic ?

Becker secoua la tête. Le gamin plissa les yeux.

— T’as l’air d’un flic.

— Je viens du Maryland. Si j’étais flic, je serais un tantinet hors de ma juridiction, tu ne crois pas ?

L’argument sembla le désarmer.

— Je m’appelle David Becker.

Becker sourit et lui tendit la main au-dessus de la table. Le punk recula d’un air dégoûté.

— Me touche pas, pédale !

– 201 –

Becker retira sa main.

— Je veux bien t’aider, mais pas gratuitement, rétorqua le garçon.

Becker entra dans son jeu.

— Combien tu veux ?

— Cent dollars.

Becker sourcilla.

— Je n’ai que des pesetas.

— Très bien ! Ce sera cent pesetas.

Le gamin n’était pas au fait des taux de change. Cent pesetas équivalaient à environ quatre-vingt-sept cents.

— Vendu, déclara Becker en posant d’un coup sec sa bière sur la table.

Pour la première fois, le gamin décrocha un sourire.

— Marché conclu.

— Voilà..., reprit Becker en baissant la voix. Je pense que la fille que je cherche doit traîner ici de temps en temps. Elle a les cheveux bleu, blanc et rouge.

Deux-Tons eut un petit reniflement de dédain.

— C’est l’anniversaire de Judas Taboo. Tout le monde a...

— Elle porte aussi un tee-shirt avec un drapeau anglais et un pendentif à l’oreille en forme de tête de mort.

Le visage de Deux-Tons s’illumina. Becker sentit une bouffée d’espoir l’envahir. Mais, la seconde suivante, l’expression de Deux-Tons se fit lugubre. Il reposa brutalement sa canette et saisit Becker par la chemise.

— C’est la gonzesse d’Eduardo, connard ! Je te préviens, si tu la touches, il te fait la peau !

– 202 –

56.

Midge Milken, furieuse, alla faire les cent pas dans la salle de réunion qui jouxtait son bureau. En plus de la table en acajou mesurant onze mètres de long, marquée du sceau de la NSA marqueté en merisier et noyer, il y avait au mur trois aquarelles de Marion Pike, une grande fougère dans un coin, un bar en marbre et, bien entendu, l’incontournable fontaine Sparklett.

Midge se servit un verre d’eau glacée, dans l’espoir de se calmer un peu.

Tout en buvant son eau, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre. Les rayons de lune filtraient à travers le store vénitien et venaient se refléter sur la table vernie. Cette pièce aurait fait un bien plus joli bureau de direction que celui qu’occupait Fontaine et qui donnait sur la façade de l’immeuble. Plutôt que d’avoir vue sur le parking de la NSA, on apercevait, d’ici, l’impressionnante succession des bâtiments de Fort Meade –

dont le dôme de la Crypto, un îlot de haute technologie émergeant au milieu d’un hectare de sycomores, en retrait du bâtiment principal. Construite intentionnellement dans son écrin de verdure, la Crypto était quasiment invisible de la plupart des fenêtres de la NSA, mais de la salle de réunion, elle s’offrait au regard dans toute sa splendeur. Pour Midge, cette pièce était le poste d’observation idéal d’un roi pour surveiller ses terres. Un jour, elle avait suggéré à Fontaine de s’y installer, mais le directeur s’était contenté de lui répondre : « Jamais côté cour. » Fontaine ne pouvait souffrir d’être dans l’ombre, dans quelque domaine que ce soit.

Midge leva le store. Elle parcourut les collines du regard, puis contempla, avec un soupir de regret, le bois où s’élevait la Crypto. Depuis toujours, la vue du dôme lumineux la réconfortait – comme un phare, répandant immuablement sa lumière dans la nuit. Mais ce soir, le charme n’opéra pas. Au contraire... Elle plaqua son front contre la vitre, sentant une terreur blanche l’envahir, lui rappelant ses cauchemars

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d’enfant. Devant ses yeux, ce n’étaient que ténèbres. La Crypto avait disparu !

57.

Les toilettes de la Crypto étaient dépourvues de fenêtres, Susan était donc plongée dans une obscurité totale. Elle resta un moment pétrifiée, tentant de se raisonner, de ne pas céder à la panique qui l’envahissait. Il lui semblait que l’horrible cri qui s’était échappé du conduit d’aération flottait encore autour d’elle. Malgré ses efforts pour chasser cette pensée, l’épouvante la pénétrait par tous les pores.