— C’est un cas d’urgence. Je dois voir ce listing.
Brinkerhoff posa les mains sur les épaules de Midge.
— Calme-toi, je t’en prie. Je n’ai pas le droit de...
Elle poussa un soupir agacé et pivota vers son clavier.
— Je lance l’impression de cet historique. Je fais juste un aller-retour dans le bureau pour le récupérer. Alors, donne-moi cette clé.
— Midge...
Elle termina sa frappe et se retourna vers lui.
— Chad, le rapport sera imprimé dans trente secondes.
Voilà ce que je te propose : tu me donnes la clé. Si Strathmore a désactivé Gauntlet, on appelle la sécurité. Si je me suis trompée,
– 228 –
je m’en vais sur-le-champ et tu pourras aller tartiner Carmen Huerta de confiture.
Elle lui adressa un regard malicieux et tendit sa paume ouverte.
— J’attends !
Brinkerhoff grogna. Pourquoi l’avait-il rappelée pour lui montrer le rapport de la Crypto ? Il regardait sa main tendue.
— Tu veux aller voler des informations classées secret-défense dans le bureau personnel du directeur de la NSA.... Tu imagines ce qui pourrait arriver si on nous prenait la main dans le sac ?
— Fontaine est en Amérique du Sud.
— Je suis désolé. Mais je ne peux pas.
Brinkerhoff croisa les bras en signe de refus catégorique et sortit du bureau. Midge le regarda s’en aller, ses yeux gris luisant d’une colère sourde.
— Et moi, je vais te prouver le contraire..., murmura-t-elle.
Elle retourna vers Big Brother et ouvrit les archives vidéo.
Midge s’en remettra, songea Brinkerhoff en s’installant à son bureau pour examiner le reste des rapports. Pas question de confier les clés du directeur, même pour apaiser les délires paranoïaques de Midge !
Il commençait tout juste à vérifier les pannes de la COMSEC
quand des éclats de voix provenant d’une pièce attenante attirèrent son attention. Il posa ses dossiers et s’avança dans le couloir.
La suite directoriale était plongée dans le noir – à l’exception d’un faible rayon de lumière provenant de la porte entrouverte du bureau de Midge. Il tendit l’oreille. Toujours des voix – fébriles, agitées...
— Midge, tout va bien ?
Aucune réponse. Dans le noir, il avança jusqu’au fief de la responsable de la sécurité interne. Les voix lui semblaient vaguement familières. Il poussa la porte. Midge n’était pas dans son fauteuil. La pièce était déserte. Le son provenait d’en haut.
Brinkerhoff leva les yeux vers les moniteurs et se sentit pris de vertige. Sur les douze écrans, la même scène défilait – un ballet
– 229 –
d’images savamment orchestrées. Brinkerhoff se retint au dossier du siège et contempla les écrans, horrifié.
— Chad ? susurra une voix dans son dos.
Il se retourna et plissa les yeux dans l’obscurité. Midge se tenait dans l’angle opposé, devant la double porte du bureau de Fontaine. Elle tenait sa main, paume ouverte.
— La clé, Chad.
Brinkerhoff rougit et se retourna vers les moniteurs. Il tenta de masquer les images, mais c’était impossible. Il était partout, poussant des gémissements de plaisir, caressant avidement les petits seins de Carmen Huerta couverts de miel.
66.
Becker traversa le hall en direction des toilettes. Un chariot de nettoyage, débordant de bidons, de balais et de serpillières, interdisait l’accès aux toilettes pour hommes. Il obliqua vers les toilettes des dames et toqua à la porte.
— ¡ Hola ! ¿ Hay alguien ? demanda-t-il en entrouvrant la porte. Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse. Il entra. Des toilettes typiques des lieux publics en Espagne – un carré parfait, carrelé de blanc, avec une ampoule solitaire au plafond. Un aménagement spartiate : une cabine, un urinoir. Les urinoirs étaient parfaitement inutiles dans des toilettes de femme, mais comme ils étaient moins onéreux qu’une cabine supplémentaire, les entrepreneurs en mettaient partout.
Becker grimaça en découvrant les lieux. C’était dégoûtant.
Le lavabo était bouché et rempli d’un liquide marronnasse. Le sol, trempé, était jonché de serviettes en papier. Le sèche-mains antédiluvien était maculé de traces de doigts verdâtres.
– 230 –
Becker s’avança vers le miroir et poussa un soupir en apercevant son reflet. Ses yeux, pétillants d’ordinaire, étaient mornes et éteints. Ça fait combien de temps que je cours ainsi ?
Il n’eut pas le courage d’effectuer le calcul. Par réflexe, il rajusta son nœud de cravate – un professeur ne se montrait jamais débraillé – puis se dirigea vers l’urinoir. Tandis qu’il se soulageait, il se demandait si Susan était encore chez elle. Elle est peut-être partie au Stone Manor sans moi ?
— Eh ! Faut pas vous gêner ! s’écria une voix féminine juste derrière lui.
Becker sursauta.
— Je... Je..., bredouilla-t-il en remontant à toute vitesse sa fermeture Éclair. Je suis désolé... Je...
Becker se retourna vers la jeune femme qui venait d’entrer.
C’était une adolescente bcbg, qui semblait tout droit sortie des pages « mode » de Jeune et Jolie. Elle était vêtue d’un pantalon écossais à pinces et d’un chemisier blanc sans manches, et avait à la main un sac de voyage L.L. Bean rouge. Le brushing de ses cheveux blonds était impeccable.
— Je suis désolé, ânonna Becker en bouclant sa ceinture.
Les toilettes des hommes étaient... enfin je... je sors tout de suite.
— Putain d’enculé de pervers.
Becker sursauta. Comment de tels mots pouvaient-ils sortir d’une bouche aussi délicate – c’était aussi surprenant que de voir des eaux d’égout couler d’une carafe de cristal. Mais en l’observant bien, il s’aperçut que la jeune fille n’était pas aussi cristalline qu’il ne l’avait cru de prime abord. Ses yeux étaient bouffis et injectés de sang, et son avant-bras gauche était tout boursouflé. Sous la marque rouge d’irritation, sa chair était bleutée. Mon Dieu, songea Becker. Elle se pique. Qui aurait pu s’en douter ?
— Barrez-vous ! cria-t-elle. Foutez le camp !
A cet instant, Becker oublia la bague, la NSA, et tout le reste. Il fut pris d’un élan de compassion pour cette jeune fille.
Ses parents l’avaient sans doute envoyée ici dans le cadre d’un séjour linguistique en lui confiant leur carte VISA – et elle
– 231 –
finissait seule au beau milieu de la nuit, en train de se shooter dans des toilettes d’aéroport.
— Ça va aller ? lui demanda-t-il en se dirigeant vers la sortie.
— Très bien, merci ! lâcha-t-elle avec arrogance.
Maintenant, au revoir !
Becker continua son chemin, en jetant un dernier coup d’œil vers l’avant-bras de l’adolescente. Tu ne peux rien y faire, David. Laisse tomber.
— Allez, ouste ! s’impatienta-t-elle.
Becker hocha la tête. En sortant, il lui adressa un sourire désolé.
— Au revoir et faites attention à vous.
67.
— Susan ?
Hale haletait, son visage tout près du sien. Il était assis à califourchon sur elle, pesant de tout son poids sur son bassin.
L’os de son coccyx lui comprimait le pubis à travers le tissu fin de sa jupe. Son nez pissait le sang partout sur elle. Un goût de vomi monta à sa gorge. Hale avait les mains posées sur sa poitrine.