71.
Tokugen Numataka faisait les cent pas en allumant son quatrième cigare. Il décrocha son téléphone pour appeler le standard.
— Vous avez du nouveau sur l’origine du numéro ?
demanda-t-il avant que la réceptionniste ait le temps de prononcer un mot.
— Pas encore, Honorable Président. C’est plus long que prévu, car il s’agit d’un téléphone portable.
Un portable ? Il aurait dû s’en douter... L’Occident et son appétit insatiable pour les gadgets électroniques en tout genre...
Voilà un vice qui faisait le bonheur de l’économie japonaise !
— Nous savons que la borne émettrice se situe dans la zone 202, mais nous ignorons toujours le numéro.
— 202 ? Ça correspond à quel secteur au juste ?
— À Washington D.C.
Numataka haussa les sourcils, surpris.
— Rappelez-moi dès que vous avez du nouveau.
72.
Susan Fletcher avançait en tâtonnant dans la Crypto, en direction de l’escalier de fer menant au bureau de Strathmore.
Par chance, la passerelle du Pacha se trouvait à l’autre bout, au plus loin de Hale et du danger...
En arrivant au sommet des marches, Susan constata que la porte était entrouverte. Depuis la coupure du circuit principal, la fermeture électronique ne fonctionnait plus. Elle entra.
— Chef ?
– 241 –
La seule source de lumière provenait de l’écran d’ordinateur de Strathmore.
— Chef ! appela-t-elle à nouveau. Commandant ?
Strathmore, bien sûr, se trouvait encore dans la salle de la Sys-Sec... Elle tourna sur elle-même, ne sachant que faire au milieu de ce bureau vide, encore sous le choc après sa lutte avec Hale. Il fallait qu’elle s’échappe de la Crypto. Forteresse Digitale ou pas, il était temps d’agir, d’arrêter TRANSLTR et de prendre la poudre d’escampette. Elle s’installa derrière le moniteur et pianota nerveusement sur le clavier. Vite, annuler le décryptage en cours ! C’était un jeu d’enfant, car l’accès aux commandes de TRANSLTR était autorisé à partir de ce terminal. Susan ouvrit la fenêtre ad hoc et tapa :
SUSPENDRE EXÉCUTION
Son doigt allait presser la touche ENTER quand une voix se fit entendre sur le seuil de la porte.
— Susan !
La jeune femme tressaillit – Hale ? Mais non, c’était Strathmore. Il était là, haletant, pâle, presque un spectre dans la lueur falote de l’écran.
— Que se passe-t-il ?
— Ch... Chef ! hoqueta Susan. Hale est dans le Nodal 3 ! Il m’a sauté dessus !
— Quoi ? Mais c’est impossible ! Il est au...
— Non ! Il s’est échappé ! Il faut appeler la sécurité ! J’arrête TRANSLTR !
Elle se pencha à nouveau sur le clavier.
— Ne touchez pas à ça !
Le commandant bondit vers le terminal et repoussa la main de Susan. Elle recula sous le choc, et dévisagea le directeur adjoint. Pour la seconde fois aujourd’hui, elle ne le reconnaissait pas. Elle se sentit soudain seule et abandonnée de tous.
Strathmore aperçut le sang sur le chemisier de Susan, et regretta immédiatement sa brusquerie.
— Mon Dieu, Susan. Vous êtes blessée ?
– 242 –
Elle ne répondit pas.
Il aurait dû garder son calme, au lieu de lui faire peur ainsi... Ses nerfs étaient à vif. Trop de stress, trop de problèmes à gérer... Ses pensées se bousculaient dans sa tête – des pensées dont Susan ne pouvait soupçonner la teneur... À son grand dam, il était temps de lui en dire davantage.
— Je suis désolé, reprit-il d’une voix douce. Racontez-moi ce qui s’est passé.
Elle se détourna.
— C’est sans importance. Ce sang n’est pas le mien. Je veux juste sortir d’ici.
— Il vous a fait mal ?
Le commandant posa une main sur son épaule. Elle recula.
Il retira son bras en baissant les yeux. Quand il releva la tête, il s’aperçut qu’elle fixait du regard quelque chose par-dessus son épaule. Là, sur le mur, dans le noir, un petit boîtier était allumé.
Strathmore se renfrogna. Trop tard. Elle l’avait vu... C’était le clavier de commande de son ascenseur privé. Le commandant et ses invités importants l’utilisaient pour passer inaperçus du reste de l’équipe. L’ascenseur plongeait à la verticale à une quinzaine de mètres sous le dôme de la Crypto, puis se déplaçait latéralement sur cent mètres dans un tunnel en béton armé pour déboucher dans les sous-sols du QG de la NSA. Son alimentation en courant dépendait du bâtiment principal. C’est pourquoi il continuait à fonctionner, malgré le black-out de la Crypto.
Strathmore savait tout cela, depuis le début... Et quand Susan tapait à grands coups sur la porte d’entrée de la Crypto pour tenter de s’échapper, il n’avait rien dit. Il ne pouvait la laisser partir – pas encore. Qu’allait-il devoir lui révéler au juste pour qu’elle accepte de rester ?
Susan écarta Strathmore de son chemin pour se diriger vers l’ascenseur. Elle enfonça avec fureur le bouton d’appel.
— Allez ! supplia-t-elle.
Mais les portes restaient closes.
— Susan, dit Strathmore calmement. Il y a un mot de passe.
— Quoi ? s’exclama-t-elle avec colère.
– 243 –
Elle regarda le bloc de contrôle. Sous le bouton d’appel, se trouvait un petit clavier, avec des touches minuscules. Chacune portant une lettre de l’alphabet. Susan se retourna vers lui.
— Donnez-moi ce mot de passe !
Le commandant resta silencieux un moment, puis poussa un long soupir.
— Asseyez-vous, Susan.
Susan le regardait avec de grands yeux.
— Asseyez-vous, répéta-t-il avec fermeté.
— Je veux m’en aller d’ici !
Susan jeta des regards inquiets vers la porte du bureau.
Strathmore comprit la panique de la jeune femme. Calmement, il sortit sur la passerelle et sonda la Crypto depuis le garde-fou.
Aucune trace de Hale. Il revint dans la pièce, saisit une chaise et la plaça devant la porte pour la tenir fermée ; puis il se rendit à sa table de travail et sortit quelque chose d’un tiroir. À la lueur blafarde du moniteur, Susan reconnut l’objet. Elle pâlit dans l’instant. Un pistolet ! Le commandant tira deux chaises, les disposa face à la porte, et s’installa sur l’une d’elles. Il pointa le Beretta semi-automatique scintillant en direction du battant légèrement entrouvert. Après un moment, il posa l’arme sur son genou.
— Susan, nous sommes ici en sécurité, déclara-t-il. Nous devons parler. Si Greg Hale essaie d’entrer...
Il laissa ses mots en suspens. Susan était sans voix. Le commandant lui adressa un regard dans la pénombre et tapota la chaise à côté de lui.
— Asseyez-vous. J’ai quelque chose d’important à vous dire.
Elle resta immobile.
— Quand j’aurai fini, reprit-il, je vous donnerai le mot de passe de l’ascenseur. Vous serez libre de partir ou de rester. A votre guise.
Un long silence suivit. Susan, dans un état second, alla s’asseoir près de lui.
— Susan, commença-t-il. Je n’ai pas été tout à fait honnête avec vous...
– 244 –
73.
David Becker avait l’impression qu’on avait aspergé son visage d’essence enflammée. Il roula sur le sol et distingua, dans un halo trouble, la jeune fille qui se dirigeait vers la porte à tambour. Elle marchait à pas vifs, traînant son sac derrière elle.