Nul doute que Fontaine leur cachait quelque chose, mais Brinkerhoff était payé pour l’assister, et non pour poser des questions. Son patron avait prouvé à maintes reprises qu’il avait à cœur de servir l’intérêt général. Si l’assister aujourd’hui signifiait se mettre des œillères, il en serait ainsi.
Malheureusement, Midge, elle, était payée pour poser des questions... Et Brinkerhoff craignait qu’elle ne fasse du zèle et ne se rende à la Crypto. Je suis bon pour ressortir mon CV et me chercher une nouvelle place, songea amèrement Brinkerhoff au moment de quitter la pièce.
— Chad ! lança Fontaine dans son dos.
Le directeur aussi avait remarqué le regard déterminé de Midge.
— Ne la laissez pas sortir d’ici.
Brinkerhoff acquiesça et pressa le pas pour rattraper Midge.
Fontaine soupira et appuya son front dans le creux de ses mains. Ses yeux étaient cernés de fatigue. Le voyage de retour, imprévu, lui avait paru sans fin. Le mois qui venait de s’écouler avait mis ses nerfs à rude épreuve. De récents événements à la NSA étaient en passe de bouleverser le cours de l’histoire. Et, ironie du sort, c’est par pur hasard qu’il en avait eu vent...
Trois mois auparavant, Fontaine avait entendu dire que la femme de Strathmore demandait le divorce. Il avait aussi eu des échos attestant que le commandant travaillait plus que de raison et semblait au bord de la dépression. Malgré leurs nombreuses divergences dans le travail, Fontaine tenait son directeur adjoint en haute estime. Strathmore était un homme brillant, probablement le meilleur élément de la NSA. Mais,
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depuis le fiasco de Skipjack, le commandant semblait constamment sous tension. Fontaine était inquiet. Strathmore connaissait nombre de secrets inavouables et la mission du directeur de la NSA, était, avant tout, de protéger l’agence.
Il souhaitait donc garder le commandant à l’œil, pour s’assurer qu’il restait fiable et opérationnel à cent pour cent.
Mais comment procéder ? Le directeur adjoint était un homme fier et puissant ; il fallait trouver un moyen de le surveiller sans remettre en question sa confiance et son autorité. Fontaine décida donc, par respect pour son directeur adjoint, de s’en charger lui-même. Un mouchard installé sur l’ordinateur de Strathmore lui permit de tout contrôler : ses e-mails, ses correspondances internes, ses simulations sur BrainStorm et tout le reste. Si le commandant était sur le point de craquer, il y aurait forcément dans son travail des signes avant-coureurs.
Mais, loin de le voir vaciller, Fontaine découvrit, au contraire, que Strathmore le géant travaillait sur un projet qui allait révolutionner le monde du renseignement. Le commandant était donc plus motivé que jamais. S’il arrivait à mener à bien son projet, le fiasco de Skipjack deviendrait purement anecdotique.
Fontaine en était convaincu : Strathmore était toujours dévoué à l’agence, à cent dix pour cent. Il restait le patriote avisé et intelligent qu’il avait toujours été. La meilleure conduite à suivre, jugeait Fontaine, était de laisser l’homme travailler et d’attendre qu’il fasse une nouvelle fois des prodiges. Trevor Strathmore avait un plan... Et Fontaine n’avait nullement l’intention de lui mettre des bâtons dans les roues.
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75.
Le Beretta était toujours posé sur les genoux de Strathmore.
Malgré sa fureur, il savait garder la tête froide. Que Greg Hale s’en soit pris physiquement à Susan le rendait malade. Et le pire, c’est qu’il en était responsable. Il avait envoyé Susan dans le Nodal 3 ! Mais le commandant avait appris à gérer ses émotions. Rien ne saurait saper sa détermination concernant Forteresse Digitale. Il était directeur adjoint de la NSA. Et la situation, aujourd’hui, était plus critique que jamais.
— Susan ? articula-t-il. (Sa voix était posée et claire.) Vous avez effacé les mails de Hale ?
— Non, répondit-elle.
— Vous avez la clé ?
Elle secoua la tête.
Strathmore fronça les sourcils et se mordit les lèvres. Ses pensées se bousculaient. Il était en plein dilemme. Bien sûr, il pouvait taper le code pour ouvrir l’ascenseur, et laisser partir Susan. Mais il avait besoin d’elle. Il lui fallait la clé que détenait Hale ! Contrairement à ce qu’il avait dit à la jeune femme, ce n’était pas par simple curiosité scientifique qu’il voulait ouvrir Forteresse Digitale... C’était, pour lui, une nécessité impérieuse.
Strathmore aurait pu utiliser le programme de Susan pour trouver lui-même cette clé d’accès. Mais les problèmes qu’il avait rencontrés avec le pisteur l’avaient échaudé. Il ne pouvait se permettre d’échouer. Il poussa un soupir, se résolvant à lâcher des informations...
— Susan... j’aimerais que vous restiez pour m’aider à trouver la clé de Hale.
— Quoi ? s’écria Susan en se levant, les yeux brillant de colère.
Strathmore résista au désir de se lever aussi. Il était expert dans l’art de la négociation : la position assise était toujours celle du pouvoir.
— Asseyez-vous, Susan..., demanda-t-il pour lui montrer qu’il avait l’ascendant.
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Mais elle ne réagit pas.
— Asseyez-vous !
Susan restait toujours debout.
— Chef, si vous tenez tant à ouvrir cet algorithme, faites-le vous-même. Moi, je m’en vais.
Le commandant rejeta la tête en arrière et prit une grande inspiration. Il devait à Susan une explication. Restait à savoir s’il n’allait pas le regretter...
— Susan... les choses n’auraient jamais dû en arriver là... (Il se passa nerveusement la main dans les cheveux.) En vérité, je ne vous ai pas tout dit. Parfois, un homme dans ma position...
(Le commandant hésitait... une confession difficile...) Parfois, un homme dans ma position est obligé de mentir, même aux personnes qu’il aime. Et cela a été le cas aujourd’hui. (Il lui adressa un regard triste.) Ce que je vais vous avouer, je comptais ne jamais avoir à le dire... Ni à vous... Ni à quiconque.
Susan sentit un frisson la parcourir. Le commandant avait un ton très solennel. À l’évidence, il y avait une face cachée dont elle ignorait tout. Elle s’assit.
Pendant un long moment, Strathmore fixa du regard le plafond.
— Susan, articula-t-il enfin dans un filet de voix. Je n’ai pas de famille. Mon mariage est un fiasco. Le seul vrai amour de ma vie est celui que je porte à ce pays. C’est mon travail, ici, à la NSA.
Susan l’écoutait en silence.
— Comme vous l’avez sans doute compris, j’envisage de prendre bientôt ma retraite. Mais je voudrais partir la tête haute. En me disant que j’ai vraiment apporté ma pierre à l’édifice.
— Mais c’est déjà le cas..., s’entendit dire Susan. Vous avez construit TRANSLTR.
Strathmore ne semblait pas l’entendre.
— Ces dernières années, notre travail à la NSA est devenu de plus en plus difficile. Nous avons dû nous défendre contre de nouveaux ennemis dont jamais je n’aurais soupçonné l’existence. Nos propres citoyens ! Les avocats, les fanatiques des libertés civiles, l’EFF, tous ont joué un rôle, certes... mais le