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Dans un premier temps, les clés secrètes des utilisateurs étaient suffisamment courtes pour être « devinées » par les ordinateurs de la NSA. Pour décrypter une clé secrète à dix chiffres, il suffisait de programmer la machine pour qu’elle essaie toutes les combinaisons possibles entre 0000000000 et 9999999999. Tôt ou tard, l’ordinateur tombait sur la bonne séquence. Cette façon de procéder par élimination était surnommée « l’attaque de force brute ». Cela prenait parfois beaucoup de temps, mais le résultat était garanti.

Quand le monde eut vent de l’existence du décryptage par la force brute, les mots de passe devinrent de plus en plus lourds.

Le temps nécessaire aux ordinateurs pour « deviner » les combinaisons se chiffra en semaines, puis en mois, puis en années.

Dans les années quatre-vingt-dix, les clés dépassaient les cinquante caractères et pouvaient utiliser au choix les deux cent cinquante-six lettres, chiffres et symboles de l’« alphabet »

ASCII. Le nombre des possibilités avoisinait les 10120 – un suivi de cent vingt zéros. La probabilité mathématique de tomber sur le code exact revenait à trouver le bon grain de sable sur une plage de plus de quatre kilomètres de long. Pour décoder une telle clé par l’attaque de force brute, on estimait qu’il fallait en moyenne au plus rapide ordinateur de la NSA – le top secret Cray/Josephson II environ dix-neuf ans. Le temps que la machine devine la clé et casse le code, son contenu n’aurait plus aucun intérêt.

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Consciente de l’imminence de son impuissance totale en matière de déchiffrement, la NSA, avec le soutien du président des États-Unis, se lança dans un programme top secret.

Jouissant d’un budget illimité et ayant carte blanche pour faire tout ce qui était nécessaire afin de sortir de l’impasse, la NSA entreprit de fabriquer l’impossible : la première machine de décryptage universelle. Malgré les avis de plusieurs ingénieurs qui prétendaient qu’il était impossible de construire une telle machine, la NSA s’accrocha à cette devise : « Rien n’est impossible. Tout est une question de temps. »

Cinq ans plus tard, après cinq cent mille heures de travail humain et près de deux milliards de dollars d’investissement, la NSA prouva qu’elle avait raison. Le dernier des trois millions de processeurs de la taille d’un timbre-poste fut mis en place, les programmes internes finalisés, et l’enveloppe de céramique scellée. TRANSLTR était née.

Le fonctionnement secret de TRANSLTR était fondé sur un amalgame de travaux, eux-mêmes le fruit de plusieurs cerveaux, et ne pouvait être compris dans sa totalité par aucun individu.

Son principe de base, pourtant, était enfantin : chaque élément effectuait une petite partie du travail. Les trois millions de processeurs allaient tous travailler en parallèle – par paliers successifs, à une vitesse phénoménale, essayant toutes les permutations. On espérait que la ténacité de TRANSLTR

viendrait à bout des codes les plus sophistiqués, quelle que soit la longueur de la clé de cryptage.

Cette machine de deux milliards de dollars utiliserait, pour casser les codes et percer les chiffrements, non seulement la puissance de calcul phénoménale de trois millions de processeurs montés en parallèle, mais aussi les dernières innovations en matière d’analyse de texte clair – une technologie top secret. La force de TRANSLTR viendrait du nombre faramineux de processeurs combiné aux derniers progrès en informatique quantique – une technologie nouvelle qui permettait à l’information d’être stockée non pas sous forme binaire mais quantique.

Le moment de vérité arriva un jeudi matin d’octobre, un jour où il y avait un vent à décorner les bœufs – le premier test

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en situation réelle ! Malgré les incertitudes sur la rapidité effective de la machine, les ingénieurs s’accordaient tous sur un point : si les processeurs travaillaient tous en simultané, TRANSLTR devait être sacrément puissante. Restait à savoir à quel point.

La réponse tomba douze minutes plus tard. Un silence de plomb régnait parmi la poignée de personnes suspendues dans l’attente, quand l’imprimante se mit en marche et délivra le texte en clair – le code décrypté. TRANSLTR venait d’identifier une clé de chiffrement moderne en un peu plus de dix minutes.

Un million de fois plus vite que les vingt années de calcul qu’il aurait fallu à l’ex-plus puissant ordinateur de la NSA.

Cette dernière, sous la conduite du directeur adjoint des opérations, le commandant Trevor J. Strathmore, venait de remporter une grande victoire. TRANSLTR était un succès au-delà de toute espérance. Mais pour garder l’avantage, il fallait que cette réussite restât secrète ; Strathmore fit donc immédiatement courir le bruit que le projet avait échoué de façon cuisante. Officiellement, toute l’équipe de la Crypto tâchait de sauver les meubles et de réparer leur fiasco de deux milliards de dollars. Seuls les hauts responsables de la NSA connaissaient la vérité – TRANSLTR était opérationnelle et cassait, chaque jour, des codes par centaines.

La rumeur disant que les chiffrements informatiques étaient inviolables – y compris par la toute-puissante NSA – se répandit comme une traînée de poudre et les messages secrets affluèrent sur le Net. Parrains de la drogue, terroristes et escrocs en tout genre – lassés de voir leurs appels sur téléphones

portables

systématiquement

interceptés – ne

jurèrent plus que par cet excitant nouveau média, les e-mails codés, un mode de communication planétaire, instantané et confidentiel. Terminé le temps où ils se retrouvaient dans le box des accusés, face à un jury, à devoir écouter leur propre voix enregistrée lors d’une vieille conversation sur portable qu’un satellite de la NSA avait interceptée !

Pour les agences de renseignement, la moisson n’avait jamais été aussi bonne et facile. Les e-mails récupérés par la NSA, sous forme de signes totalement incompréhensibles,

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étaient entrés dans TRANSLTR, qui recrachait quelques minutes plus tard les textes en clair, parfaitement lisibles. Plus de confidences, plus de secrets pour personne.

La NSA, pour alimenter jusqu’au bout le canular de son incompétence, s’insurgeait violemment à chaque sortie sur le marché d’un nouveau logiciel de codage. Elle mettait en avant sa prétendue impuissance, arguant que les autorités se retrouvaient paralysées, incapables de confondre les criminels.

Les associations de défense des droits civils se réjouissaient à l’idée que la NSA ne puisse plus lire les courriers électroniques des citoyens. Et les ventes de logiciels de chiffrement s’emballèrent ; chaque mois, un nouveau programme sortait. La NSA avait perdu la bataille ! criait-on aux quatre coins de la planète – et c’était exactement l’effet recherché. Toute la communauté des internautes avait été dupée... du moins, c’est ce qu’il semblait.

5.

Où sont-ils tous ? se demanda Susan en découvrant la Crypto déserte. Une urgence, tu parles !

Les départements de la NSA travaillaient, presque tous, sept jours sur sept, mais la Crypto était généralement au repos les samedis. Les mathématiciens cryptologues étaient, par nature, totalement « accros » à leur travail. Une tradition, pour soulager les synapses, les contraignait à lever le pied le samedi, sauf en cas d’urgence. Les casseurs de codes étaient trop précieux à la NSA pour risquer de les perdre pour cause de surmenage.