Dans un halo flou, il reconnut la silhouette du chariot de nettoyage bloquant la porte ; il bifurqua, encore une fois, vers le panneau SEÑORAS. Il crut percevoir du bruit à l’intérieur. Il frappa.
— ¿ Hola ?
Silence.
C’est probablement Megan, songea-t-il. Son avion ne décollait que dans cinq heures ; elle avait sans doute décidé de nettoyer son bras jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus la moindre trace du message.
— Megan ? appela-t-il.
Il toqua encore. Aucune réponse. Becker se décida à ouvrir la porte.
— Il y a quelqu’un ?
Apparemment, les toilettes étaient vides. Il haussa les épaules et se dirigea vers le lavabo. Ce dernier était toujours aussi dégoûtant, mais l’eau était fraîche. Becker s’aspergea les yeux. La douleur reflua, et le brouillard qui l’entourait se dissipa. Becker se regarda dans le miroir. On aurait dit qu’il venait de pleurer plusieurs jours d’affilée. Il s’essuya le visage sur la manche de sa veste, et eut soudain une illumination. Dans la fièvre de l’action, il avait oublié où il était. L’aéroport !
Quelque part sur le tarmac, dans l’un des trois hangars privés du terminal de Séville, un Learjet 60 l’attendait pour le ramener
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chez lui. Le pilote avait été formel : il avait reçu l’ordre de ne pas quitter les lieux jusqu’à son retour.
C’était incroyable : après toute son épopée, il était revenu à son point de départ. À quoi bon attendre ? Le pilote pouvait sûrement passer un message radio à Strathmore !
Avec un sourire de satisfaction, Becker jeta un coup d’œil dans le miroir pour rajuster sa cravate. Il allait partir quand quelque chose, en reflet dans la glace, attira son regard. Il se retourna. Il s’agissait du sac de Megan, qui dépassait de la cabine dont la porte était entrouverte.
— Megan ? appela-t-il.
Toujours pas de réponse...
— Megan ?
Becker s’approcha. Il frappa sur le côté de la cabine. Rien. Il poussa doucement la porte, dont le battant pivota. Et étouffa un cri d’horreur. Megan était sur la cuvette, les yeux exorbités tournés vers le plafond. Du sang dégoulinait sur sa figure, provenant d’un impact de balle, juste au milieu de son front.
— Oh mon Dieu ! s’écria-t-il sous le choc.
— Está muerta, confirma derrière lui une voix étrange, à peine humaine.
Comme dans un cauchemar, Becker fit volte-face.
— ¿ Señor Becker ? demanda la voix sinistre.
Hébété, Becker regarda l’homme qui pénétrait dans les toilettes. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu... mais où ?
— Soy Hulohot, annonça le tueur. Je m’appelle Hulohot.
Les sons distordus semblaient provenir des profondeurs de son estomac. Hulohot tendit la main.
— El anillo. L’anneau. Becker le regardait, déconcerté.
L’homme sortit un revolver de sa poche. Il leva l’arme à hauteur de la tête de Becker.
— El anillo.
Dans une sorte de flash lumineux, Becker éprouva une sensation qui lui était inconnue. Mû par un instinct de survie remontant de son tréfonds, tous ses muscles se bandèrent à l’unisson. Dans l’instant, ses pieds avaient cessé de toucher terre. Il avait plongé sur le côté alors que le coup de feu éclatait.
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Becker retomba lourdement sur le corps de Megan et la balle percuta le mur derrière lui.
— ¡ Mierda ! s’exclama Hulohot.
Comment Becker avait-il fait pour bondir ainsi au tout dernier instant ? L’assassin se reprit et s’avança.
Becker se dégagea du corps de l’adolescente. Des bruits de pas. Une respiration. Un chien qu’on relève...
— Adiós, murmura l’homme en s’approchant telle une panthère.
L’arme pointa son nez dans l’encadrement de la porte et la déflagration retentit. Il y eut un flash rouge. Mais ce n’était pas du sang. C’était autre chose. Surgissant de la cabine, un objet s’était matérialisé devant le tueur, avait heurté son bras, faisant partir le coup de feu une fraction de seconde plus tôt que prévu.
Le sac de Megan !
Becker bondit de la cabine, donna un grand coup d’épaule dans la poitrine de l’homme et le projeta contre le lavabo. Un bruit d’os cassé. Un miroir qui vole en éclats. Le revolver qui tombe. Les deux hommes se retrouvèrent à terre. Becker se releva et se précipita vers la sortie. Hulohot rampa vers son arme, la récupéra et fit feu encore. La balle traversa la porte au moment où elle claquait.
Le grand hall vide de l’aéroport s’ouvrait devant Becker comme un désert sans fin. Ses jambes le portaient à une vitesse qu’il n’aurait jamais imaginé pouvoir atteindre.
Alors qu’il obliquait vers la porte à tambour, un nouveau coup de feu retentit ; la baie vitrée, derrière lui, vola en éclats.
Becker s’engouffra dans le tambour qui pivota. L’instant d’après, il débouchait à l’extérieur.
Un taxi attendait.
— ¡ Déjeme entrar ! cria Becker en s’acharnant sur la portière verrouillée. Ouvrez !
Le chauffeur refusa : son client aux lunettes lui avait demandé de l’attendre. Becker se retourna et vit Hulohot qui s’élançait dans le hall, revolver en main. Il jeta un regard vers sa petite Vespa sur le trottoir. Je suis mort...
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Hulohot s’élança dans les battants de la porte à tambour, au moment où Becker essayait en vain de faire démarrer le moteur de sa Vespa. Le tueur sourit et leva son arme.
Le starter ! Becker farfouilla les leviers situés sous le réservoir et sauta de nouveau sur le kick. Le moteur toussota, puis s’éteignit.
— ¡ El anillo !
La voix était toute proche.
Becker releva la tête. Il vit la gueule noire du canon. Juste derrière, le barillet qui tournait. Il donna un nouveau coup de kick. La balle manqua de peu la tête de Becker au moment où le petit scooter s’élançait dans un soubresaut. Becker s’accrocha au guidon de la Vespa comme à la vie tandis que l’engin dévalait un talus d’herbe et disparaissait derrière le bâtiment.
Fou de rage, Hulohot se précipita vers le taxi. Quelques secondes plus tard, le chauffeur, médusé, se retrouvait étalé sur le trottoir, et regardait son taxi s’éloigner dans un nuage de poussière.
82.
Greg Hale commençait à entrevoir les conséquences de l’appel du commandant, et sentait monter en lui une vague de terreur. La sécurité allait arriver !
Susan en profita pour tenter d’échapper à son étreinte. Hale revint à lui et la rattrapa par la taille.
— Lâche-moi ! cria-t-elle, sa voix résonnant dans le dôme.
La décision du commandant avait totalement pris de court Hale. Strathmore avait appelé les gardes ! Il sacrifiait Forteresse Digitale ! Jamais il n’aurait imaginé que Strathmore en soit capable. Cette porte secrète était la chance de sa vie...
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La panique l’envahit, et son esprit commença à lui jouer des tours. Partout où il posait son regard, il croyait apercevoir le canon du Beretta. Il se mit à tourner sur lui-même, tenant fermement Susan contre lui, pour dissuader le commandant de tirer. Guidé par la peur, Hale entraîna Susan vers l’escalier.