Dans quelques minutes, la lumière allait revenir, les portes s’ouvriraient sur un détachement de soldats du SWAT.
— Tu me fais mal ! hoqueta Susan.
Elle avait peine à respirer, et trébuchait à cause des pirouettes désespérées de Hale.
Et s’il la laissait partir pour foncer vers l’ascenseur de Strathmore ? Non, c’était du suicide... Il ignorait le mot de passe. De plus, une fois hors de la NSA sans otage, sa mort devenait inéluctable. Même sa Lotus ne pourrait semer la flotte d’hélicoptères que la NSA enverrait à sa poursuite. Seule la présence de Susan à ses côtés les empêcherait de le canarder à la roquette !
— Susan, souffla-t-il en la traînant vers les marches. Laisse-toi faire ! Je te promets que je ne te ferai aucun mal !
Mais elle se défendait bec et ongles, et Hale commençait à prendre la mesure du problème. Même s’il parvenait à prendre l’ascenseur avec Susan, elle continuerait à se débattre.
L’ascenseur
n’avait
qu’une
destination :
« l’autoroute
souterraine » – un labyrinthe de tunnels où les cerveaux de la NSA pouvaient circuler dans le plus grand secret. Hale n’avait nullement l’intention de finir perdu dans ce dédale avec une tigresse pour otage. C’était un piège qui pouvait se révéler mortel. Et même s’il parvenait à sortir... Il n’avait pas d’arme.
Comment traverser le parking avec Susan se débattant dans ses bras ? Comment conduire ?
Hale crut entendre la voix d’un de ses professeurs de stratégie militaire chez les marines lui dicter la réponse : « Si tu utilises la force, elle se retournera contre toi. Mais si tu parviens à convaincre ton ennemi de penser comme toi, il se transformera en allié. »
— Susan, s’entendit dire Hale, Strathmore est un tueur ! Tu es en danger ici !
– 276 –
Mais Susan restait sourde à cet argument. De toute façon, c’était une idée absurde. Strathmore ne ferait jamais de mal à Susan, et elle le savait bien.
Hale plissait des yeux dans le noir. Où le commandant se cachait-il ? Strathmore était devenu soudain silencieux, ce qui était encore plus effrayant. Le compte à rebours allait bientôt prendre fin. La sécurité pouvait débarquer d’un instant à l’autre.
Rassemblant ses forces, Hale souleva Susan par la taille, et la hissa dans l’escalier. Elle agrippa avec ses talons la première marche, et tira dans l’autre sens. Rien à faire, Hale était plus fort qu’elle.
Avec précaution, Hale remontait l’escalier à reculons, Susan plaquée contre lui. Il aurait été plus facile de la faire passer en premier et de la pousser, mais la passerelle en haut était éclairée par le halo de l’ordinateur de Strathmore. Si Susan ouvrait la marche, Strathmore aurait un angle dégagé pour tirer sur Hale.
En procédant ainsi, Susan lui servait de bouclier humain. Alors qu’il avait déjà gravi les deux tiers des marches, Hale perçut un mouvement au bas de l’escalier. Strathmore !
— Ne faites pas ça, commandant, lança-t-il. Vous risquez de la tuer.
Hale attendit. Mais le silence était revenu. Il tendit l’oreille.
Plus aucun bruit. Était-ce le fruit de son imagination ? Peu importe. Tant qu’il tenait Susan devant lui, Strathmore ne tirerait pas.
Mais lorsqu’il reprit son ascension, un événement improbable se produisit : il y eut un bruit étouffé derrière lui, sur la passerelle. Hale se figea, sentant l’adrénaline inonder ses veines. Strathmore aurait-il pu se faufiler là-haut ? Non, son instinct lui disait qu’il se trouvait toujours au pied des marches.
Soudain, cela recommença, plus fort cette fois – des bruits de pas sur le palier !
Terrorisé, Hale comprit son erreur. Strathmore est là, juste derrière moi ! Mon dos est à découvert ! Paniqué, il pivota, avec Susan, de cent quatre-vingts degrés et battit en retraite. Arrivé au bas de l’escalier, il scruta la passerelle au-dessus de lui et cria :
— N’avancez pas, commandant ! Reculez, ou je lui brise le...
– 277 –
La crosse du Beretta fendit alors l’air derrière lui et s’abattit sur son crâne. Hale s’effondra. Susan se retourna, terrifiée.
Strathmore la prit dans ses bras.
— Chhhut, murmura-t-il pour la calmer. C’est moi. Tout va bien.
Susan tremblait des pieds à la tête.
— Ch... Chef, balbutia-t-elle, perdue. Je... Je croyais que vous étiez là-haut... J’ai entendu...
— Du calme, c’est fini, murmura-t-il. Ce que vous avez entendu, c’est l’impact de mes chaussures que j’ai lancées là-haut.
Dans le même temps, le rire et les larmes vinrent... Le commandant venait de lui sauver la vie. Au milieu de cette obscurité, un immense soulagement la gagna. Et pourtant une pointe de culpabilité demeurait. Les gardes allaient débarquer.
Stupidement, elle s’était laissé piéger par Hale, et il s’était servi d’elle pour faire plier Strathmore. Et le commandant, pour cet altruisme, allait payer le prix fort.
— Pardon... Pardon...
— Pourquoi donc ?
— Votre projet... Tout va tomber à l’eau à cause de moi.
Strathmore secoua la tête.
— Pas le moins du monde.
— Mais... Mais la sécurité ? Ils vont arriver d’une minute à l’autre. Nous n’aurons pas le temps de...
— La sécurité ne viendra pas. Nous avons tout notre temps.
Susan était désarçonnée.
— Mais votre appel...
— Une vieille ruse de Sioux. J’ai fait semblant, répondit Strathmore en riant.
– 278 –
83.
La Vespa de Becker était sans doute le plus petit véhicule à s’élancer sur le tarmac de l’aéroport de Séville. L’engin ne dépassait pas les soixante kilomètres à l’heure et le moteur, poussé à plein régime, émettait davantage un bruit de tronçonneuse que de réacteur. Quitter le plancher des vaches était donc une douce illusion.
Dans son rétroviseur, Becker vit le taxi surgir sur la piste, environ quatre cents mètres derrière lui. Et l’image grossissait rapidement. Becker fonçait droit devant. Les silhouettes des hangars se découpaient dans le ciel à moins d’un kilomètre.
Arriverait-il à temps ? Susan, la surdouée, aurait fait le calcul en deux secondes pour évaluer ses chances. Jamais Becker n’avait eu aussi peur de sa vie.
Il baissa la tête dans le guidon pour grappiller quelques précieux kilomètres à l’heure, mais la pauvre Vespa était à fond.
Le taxi, lancé à ses trousses, devait avancer deux fois plus vite que lui. Becker fixait des yeux les trois structures qui grossissaient devant lui.
Le bâtiment du centre. C’est là qu’est l’avion !
Un coup de feu claqua. La balle vint se loger dans le bitume juste derrière lui. Becker regarda dans son rétroviseur. Le tueur était penché par la vitre ouverte et le tenait dans sa ligne de mire. Becker donna un coup de guidon et son rétroviseur explosa en mille morceaux. L’engin frémit sous l’impact. Il se coucha littéralement sur sa selle.
Seigneur, aidez-moi, je vous en prie... je ne vais pas y arriver !
Devant lui, le sol s’éclaircissait. Le taxi se rapprochait, et la lumière des phares dessinait des ombres mouvantes sur la piste.
Encore un coup de feu. La balle ricocha sur le garde-boue arrière.
Le jeune homme lutta contre l’envie de zigzaguer. Garder son cap, à présent. Droit sur le hangar ! Le pilote du Learjet les avait-il vus ? Avait-il une arme ? Parviendrait-il à ouvrir la porte