Susan tentait de recouvrer ses esprits. Le bruit du coup de feu l’obsédait. Une colonne de vapeur s’élevait de la trappe, comme la fumerolle d’un volcan sur le point d’exploser.
Pourquoi avait-elle laissé le Beretta à Strathmore ! Il l’avait bien quand elle avait quitté le bureau ? Ou était-il resté dans le Nodal 3 ? Ses yeux s’habituaient peu à peu à la pénombre. Elle
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observa les vitres brisées du Nodal 3. La lueur qui émanait des écrans était faible, mais elle apercevait Hale, toujours ligoté au sol, à l’endroit où elle l’avait laissé. Aucune trace de Strathmore.
Terrifiée à l’idée de ce qu’elle allait découvrir, elle se tourna vers le bureau du commandant.
Mais à l’instant où elle allait se précipiter vers la passerelle, un détail incongru, à la périphérie de son champ de vision, attira son regard, Elle recula de quelques pas et scruta à nouveau le Nodal 3. Dans le trou de lumière, elle distinguait le bras de Hale. Il n’était plus ficelé derrière son corps, mais relevé au-dessus de sa tête ! Etait-il parvenu à se libérer ? Aucun mouvement, pourtant, n’était perceptible. Hale gisait sur le dos, totalement immobile.
Susan leva les yeux vers le bureau de Strathmore.
— Commandant ?
Silence.
Hésitante, elle avança vers le Nodal 3. Hale tenait quelque chose dans sa main. L’objet brillait à la lueur des écrans. Susan se rapprocha encore... Le Beretta !
Ses yeux suivirent la ligne du bras jusqu’à la tête. Ce qu’elle vit était incompréhensible. La moitié du visage était couverte de sang et une flaque sombre maculait la moquette tout autour du crâne.
Susan recula d’un pas dans un hoquet de stupeur. Le coup de feu ne concernait pas le commandant, mais Hale ! Dans un état second, elle avança vers le mort. Apparemment, Hale avait réussi à détacher ses liens. Les câbles d’imprimante étaient abandonnés au sol, à côté de lui. J’ai dû laisser le pistolet sur le canapé... Dans cette lumière bleue, le sang qui s’écoulait de l’impact paraissait noir comme de l’encre.
Par terre, à côté du corps, Susan aperçut une feuille de papier. Elle la ramassa d’une main tremblante. C’était une lettre.
« Mes chers amis, j’ai décidé aujourd’hui de mettre fin à mes jours, pour expier mes péchés... »
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Abasourdie, Susan lut lentement cette lettre d’adieu. Elle n’en revenait pas. Cela ressemblait tellement peu à Hale de confesser ainsi ses crimes. Il reconnaissait tout : il avait découvert que NDAKOTA était un leurre, avait engagé un tueur pour supprimer Ensei Tankado et s’emparer de la bague, il avait poussé Phil Chartrukian dans le vide et voulait vendre Forteresse Digitale pour son propre compte.
Susan arrivait à la dernière ligne. Elle n’était pas préparée à un tel choc. Elle eut la sensation de tomber dans un gouffre vertigineux :
«... Et par-dessus tout, je suis vraiment désolé pour David Becker. Je vous demande pardon. J’ai été aveuglé par l’ambition. »
Susan était debout, tremblante. Des bruits de pas s’approchaient dans son dos. Elle se retourna, son corps se mouvant au ralenti. Strathmore, pâle, le souffle court, apparut dans le trou béant de la paroi vitrée. Il regarda éberlué, Hale gisant au sol.
— Mon Dieu ! Que s’est-il passé ?
93.
La Communion !
Hulohot repéra Becker au premier coup d’œil. La veste kaki était immanquable, surtout avec la petite tache de sang sur le côté. Elle remontait la travée centrale, au milieu du lent flot d’habits noirs. Hulohot eut un sourire de satisfaction.
Il ne sait pas que je suis ici... Monsieur Becker, vous êtes un homme mort.
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Il tripotait les minuscules contacts au bout de ses doigts, impatient d’annoncer la bonne nouvelle à son employeur américain. Bientôt... très bientôt...
Comme un prédateur veillant à rester sous le vent, il obliqua vers le bas de la cathédrale et commença son approche par le fond de la nef. Hulohot n’avait aucune envie de traquer Becker quand la foule quitterait en masse l’église à la fin de l’office. Par un miraculeux concours de circonstances, sa proie s’était jetée toute seule dans un piège. Il lui suffisait, à présent, de la tirer discrètement. Son silencieux, le meilleur et le plus cher du marché, ne faisait pas plus de bruit qu’une petite toux. Un jeu d’enfant...
Hulohot se rapprochait de sa cible en veste kaki, sans prêter attention aux murmures réprobateurs des gens qu’il dépassait.
Les fidèles pouvaient concevoir que l’on soit si impatient de recevoir l’hostie, mais il y avait un protocole à respecter... deux lignes de communiants en colonne par un !
Hulohot continuait d’avancer. Il touchait au but. Il mit son doigt sur la détente de son arme, dans la poche de sa veste.
Jusqu’ici, la chance avait beaucoup souri à David Becker, mais l’état de grâce était terminé... Plus que dix personnes le séparaient de la cible kaki. Becker se tenait devant lui, tête baissée. Hulohot répétait en pensée la phase de tir. Les images étaient claires : positionnement derrière Becker, arme en bas, hors de vue, deux balles... Becker s’écroule, il le soutient, l’emmène jusqu’à un banc, comme un ami attentionné. Puis se précipite vers les portes, officiellement pour chercher de l’aide.
Dans la confusion générale, il disparaît avant que quiconque ait compris ce qui s’est passé.
Cinq personnes encore. Quatre. Trois...
Hulohot serra la crosse au fond de sa poche. En la tenant à hauteur de sa hanche, il viserait le dos de Becker, le canon pointé vers le haut. De cette manière, la balle soit traverserait la colonne, soit perforerait un poumon avant d’atteindre le cœur.
Et, même s’il ratait le cœur, la mort serait inévitable. On ne survivait pas à un poumon perforé. Tout au moins pas en pleine messe, le temps qu’arrivent les secours.
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Deux personnes. Une. Voilà, il y était. Comme un danseur maîtrisant une chorégraphie jusqu’au bout des ongles, il pivota d’un quart de tour, posa sa main sur l’épaule de sa proie, redressa le canon de l’arme, et tira. Deux crépitements étouffés.
Le corps se raidit immédiatement. Puis s’affaissa. Hulohot soutint sa victime par les aisselles. D’une rotation du buste, il l’installa sur un banc avant que la moindre trace de sang n’ait eu le temps d’apparaître dans son dos. Des gens se retournèrent pour observer la scène. Aucune importance. Dans un instant, Hulohot serait loin.
Il tâta la main du cadavre pour récupérer la bague. Rien. Il palpa encore une fois les doigts un à un. Ils étaient nus. Furieux, Hulohot retourna l’homme. Un frisson d’horreur le parcourut.
Ce n’était pas Becker.
Rafael de la Maza, un banquier résidant dans la banlieue de Séville, était mort sur le coup. Dans sa main, il tenait toujours les cinquante mille pesetas qu’un Américain excentrique lui avait offertes en échange de sa veste noire.
94.
Midge Milken enrageait, debout à côté de la fontaine de la salle de réunion. Quelle mouche pique Fontaine ? Elle écrasa son gobelet dans ses mains et le jeta avec agacement dans la corbeille. Bon sang, il se passe quelque chose d’anormal à la Crypto ! Je le sens !