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96.

Susan, trempée et frigorifiée, s’était blottie sur le canapé du Nodal 3. Strathmore lui couvrit les épaules de sa veste. Le corps de Hale gisait devant elle. Les sirènes hurlaient. Comme une couche de glace en train de se fendiller, la coque de TRANSLTR

émit un craquement sinistre.

— Je vais descendre couper le courant, annonça Strathmore en posant une main rassurante sur ses épaules. Je reviens tout de suite.

Susan regardait d’un air absent le commandant qui s’éloignait. Ce n’était plus l’homme abattu et prostré qu’elle avait quitté dix minutes plus tôt. Le grand Trevor Strathmore était de retour, avec son esprit logique, son contrôle de soi légendaire, et son sens inné du devoir.

Les derniers mots inscrits sur la lettre posthume de Hale hantaient Susan : Et par-dessus tout, je suis vraiment désolé pour David Becker. Je vous demande pardon. J’ai été aveuglé par l’ambition.

Voilà pourquoi Susan avait un mauvais pressentiment...

David était bien en danger... ou pire. Peut-être était-il déjà trop tard.... Je suis vraiment désolé pour David Becker.

Elle regarda avec attention le bout de papier. Hale ne l’avait même pas signé ; il s’était contenté de taper son nom à la fin : Greg Hale. Il avait vidé son sac, cliqué sur IMPRESSION et s’était tiré une balle dans la tête. Fin de l’histoire. Hale s’était juré de ne jamais retourner en prison ; il avait tenu promesse. Plutôt la mort que la geôle.

— David...

Les larmes perlèrent. David !

Au même moment, trois mètres sous la Crypto, le commandant Strathmore atteignait la première passerelle. Cette journée avait été une succession de fiascos. Son plan héroïque s’était transformé en Bérézina. Il avait dû faire face à des choix cornéliens, commettre des actes terrifiants qu’il se croyait

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incapable d’accomplir. Mais c’était la solution pour sortir de l’impasse. La seule issue possible ! Il y avait des priorités supérieures à considérer : l’honneur et la patrie. Tout n’était pas encore perdu. Strathmore pouvait éteindre TRANSLTR, et se servir de la bague pour sauver la banque de données. Non, se persuadait-il, il n’était pas trop tard.

Il poursuivit sa descente, plongeant dans le cauchemar...

Les buses anti-incendie s’étaient déclenchées et vomissaient des trombes d’eau. TRANSLTR gémissait comme une baleine blessée. Les sirènes mugissaient. Les lumières, tournoyant en tous sens, évoquaient une charge d’hélicoptères surgissant du brouillard. A chaque pas, Strathmore voyait flotter devant lui le visage de Greg Hale : la terreur du jeune cryptologue, ses yeux suppliants... juste avant le coup de feu. Hale était mort pour le pays... et pour l’honneur. La NSA n’aurait pas survécu à un nouveau scandale. Strathmore avait besoin d’un bouc émissaire.

Et Greg Hale, vivant, était une bombe à retardement...

Les pensées du commandant furent interrompues par la sonnerie de son téléphone portable. Elle était à peine audible au milieu des sirènes et des sifflements de gaz. Sans ralentir l’allure, il décrocha l’appareil de sa ceinture.

— J’écoute.

— Où est ma clé ? lança une voix familière.

— Qui êtes-vous ? cria Strathmore par-dessus le vacarme.

— C’est moi, Numataka ! répondit la voix chargée de colère.

Vous m’avez promis cette clé !

Strathmore continuait de descendre l’escalier.

— Je veux Forteresse Digitale !

— Forteresse Digitale n’existe pas !

— Quoi ?

— Il n’y a pas d’algorithme incassable !

— Bien sûr que si ! Je l’ai vu sur Internet ! Ça fait des jours que mes employés essaient de le déverrouiller !

— C’est un virus, un virus crypté, pauvre idiot ! Estimez-vous heureux de ne pas avoir réussi à l’ouvrir !

— Mais...

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— Le marché est à l’eau ! hurla Strathmore. Je ne suis pas North Dakota. North Dakota n’a jamais existé. Oubliez tout ce que je vous ai dit !

Il raccrocha, et mit l’appareil en mode « silence » avant de le raccrocher à sa ceinture. On ne viendrait plus le déranger !

Dix-neuf mille kilomètres plus loin, Tokugen Numataka restait interdit devant sa baie panoramique. Son cigare Umami pendait mollement à ses lèvres. Le plus beau coup de sa carrière venait de partir en fumée sous ses yeux.

Le marché est à l’eau, se répétait Strathmore en s’enfonçant toujours plus loin dans les sous-sols de la Crypto. La Numatech Corp. n’aurait pas son algorithme incassable... Et la NSA n’aurait pas son accès secret aux échanges cryptés planétaires.

Strathmore avait pourtant bien préparé son affaire... Il n’avait pas choisi la Numatech au hasard. C’était une société prospère ; elle avait, officiellement, les moyens de remporter la mise aux enchères. Nul ne se serait étonné de la voir décrocher le gros lot. Autre avantage : personne ne suspecterait la Numatech d’une quelconque collusion avec les Etats-Unis.

Tokugen Numataka était de la vieille école : la mort plutôt que le déshonneur. Il vouait une haine farouche aux Américains. Il détestait leur nourriture, leurs coutumes, et, par-dessus tout, il ne supportait pas leur hégémonie sur le marché des logiciels.

Strathmore avait été un visionnaire : un standard mondial de cryptage pourvu d’une porte secrète pour la NSA ! Il aurait tant désiré partager ce rêve avec Susan, qu’elle soit sa partenaire et sa confidente dans cette aventure, mais c’était impossible.

Susan n’aurait jamais consenti à la mort d’Ensei Tankado, même si cela devait sauver des centaines de vies dans le futur.

Susan était une pacifiste dans l’âme.

Moi aussi, je suis un pacifiste ! pesta intérieurement Strathmore. Mais je ne peux m’offrir le luxe d’agir comme tel !

Le choix du tueur s’était imposé de lui-même... Tankado était en Espagne – le territoire de Hulohot. Le mercenaire portugais âgé de quarante-deux ans était un grand professionnel que Strathmore appréciait beaucoup. Il travaillait pour la NSA depuis de nombreuses années. Originaire de Lisbonne, Hulohot

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avait rempli des contrats pour la NSA à travers toute l’Europe.

Pas une seule fois un lien n’avait été établi entre ses victimes et Fort Meade. Le seul inconvénient, c’était la surdité de Hulohot.

Toute communication téléphonique avec lui était impossible.

Récemment, Strathmore avait envoyé à son employé le tout dernier gadget de la NSA : le Monocle. Strathmore, de son côté, s’était acheté un Alphapage qu’il avait programmé sur la même fréquence. Depuis, ses communications avec Hulohot étaient non seulement instantanées mais totalement sécurisées.

Le premier message que Strathmore avait laissé à Hulohot était sans la moindre ambiguïté. Ils en avaient déjà discuté les détails... Éliminer Ensei Tankado. Récupérer la clé.

Strathmore ne savait comment s’y prenait Hulohot, mais la magie, encore une fois, avait opéré. Ensei Tankado était bel et bien mort, et les autorités étaient convaincues qu’il s’agissait d’une crise cardiaque. Un crime parfait, à un détail près...