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Il exagérait, elle en était sûre. Il n’avait eu aucun problème à escalader une cathédrale. « Voyons, Jacques, un zombie, ça ne mange pas si vite que ça. Et vous assureriez plusieurs repas. »

Le Français rentra le ventre d’un air vexé.

S’il tenait à l’envoyer à une mort certaine au cœur de Berlin, elle ne se sentait plus tenue à la politesse. « J’en ai marre que vous ne me disiez rien et que vous me fassiez des cachotteries. Crachez le morceau. À qui je suis censée parler, et pourquoi ? Si la réponse ne me convient pas, je décarre.

— Comme vous voulez. C’est vous qui êtes venue me chercher, ne l’oubliez pas. »

Faye aurait pu voyager, disparaître et ne jamais revenir, mais elle se retint, et ils savaient tous les deux pourquoi. Elle ne voulait pas se transformer en folle homicide comme l’ensorcelé qui l’avait précédée. Elle attendit, les mains sur les hanches.

« Très bien. L’homme que vous devez trouver est un ancien chevalier du Grimnoir. Il s’appelle Zachary. Il m’a assisté au cours de mes recherches sur l’ensorcelé. Si quelqu’un est à même de répondre aux questions concernant votre malédiction et de vous dire si vous pouvez éviter de suivre les traces de Sivaram, c’est lui. »

Faye observa les murailles d’un air incrédule puis se tourna vers Jacques. Aucun vivant n’aurait accepté de… de vivre là-dedans. « C’est un zombie… »

Jacques hocha la tête. « Malheureusement oui. Voici plusieurs années, en Hongrie, alors que nous combattions des agents soviétiques, Zachary a été tué et, sous l’influence d’un lazare, est revenu d’entre les morts. »

Faye fit la grimace : elle repensait à cette pauvre Delilah. « Je connais.

— Quand la douleur a pris le dessus, Zachary a estimé qu’il devenait dangereux pour son entourage et s’est exilé ici. Il détient un pouvoir magique extrêmement rare, que les forces du mal seraient prêtes à tout pour s’approprier si elles apprenaient qu’il existe. C’était un de nos secrets les mieux gardés, et très peu de chevaliers sont au courant. Zachary est venu à Berlin pour s’assurer solitude et discrétion. Depuis, il offre volontiers ses services au Grimnoir quand on les lui demande, mais cela fait longtemps que personne ne lui a parlé.

— Comment savez-vous qu’il est toujours… » Elle faillit dire « vivant », mais ça ne convenait pas. « Toujours là ?

— Je n’en suis pas certain. Il n’a plus eu de contact avec le monde extérieur depuis des années. La dernière fois que j’ai voulu le consulter, c’était à propos de votre identité. Hélas, il n’a pas répondu à l’appel de sa bague. Je ne sais pas s’il en était incapable ou s’il a cessé de se préoccuper de nous. »

Faye soupira. Elle allait pénétrer dans la Cité morte, et sans savoir si l’homme qu’elle y cherchait aurait encore la lucidité pour répondre à ses questions. Les zombies n’étaient pas réputés pour leur sérénité. « Et il connaît mieux Sivaram que vous ? »

Jacques hocha la tête. « Je crains que non. L’expert, en ce qui concerne ce triste sire, c’est moi.

— Mais alors…

— Zachary voit l’avenir. »

Jacques Montand tiendrait parole. Il attendrait vingt-quatre heures avant de quitter l’Allemagne sans se retourner. La facilité avec quoi il allait abandonner la pauvre enfant à un sort tragique le consternait, mais seulement quand il voyait en Faye la jeune femme efficace, enthousiaste et courageuse, et non l’ensorcelée, malédiction vampirique faite chair et destinée à devenir une machine à tuer, un prototype de l’avenir. Là, l’idée le choquait moins.

Elle était entrée seule dans la Cité morte. Le risque était immense, mais elle reviendrait, il en était presque sûr. Pour une autre qu’elle, c’était la mort assurée : de nombreuses expéditions l’avaient prouvé en se lançant dans des chasses au trésor. Mais Faye était différente. Sa ruse, sa vivacité d’esprit et sa réserve de pouvoir apparemment inépuisable faisaient d’elle une force irrésistible. Elle était une arme au service du bien. Il était tentant de croire qu’elle ne basculerait pas vers le mal, mais Jacques, au cours de sa longue vie, avait appris à éviter l’idéalisme naïf.

La chambre d’hôtel était trop silencieuse, mais c’était normal dans la banlieue de la Cité morte, monde d’inquiétude et de chuchotements. Sans bruit ambiant, il était trop facile de ruminer ses pensées, et Jacques n’était pas en paix avec lui-même : ceux qui doivent prendre les décisions difficiles le sont rarement. Il avait caché aux anciens que Faye n’était pas morte. Ses chevaliers avaient juré de se taire, d’autant plus volontiers qu’aucun ne comprenait la gravité des enjeux. Le vieil homme avait mauvaise conscience d’avoir porté assistance au plus grand danger qui pesait sur l’humanité.

Tout aurait été plus simple si Faye avait été une tueuse farouche et non une charmante jeune fille.

Si Zachary était toujours disponible, il réussirait à la guider. Son pouvoir n’était pas très fiable, mais, si la chance leur souriait enfin, ses visions indiqueraient à Faye un but vers lequel tendre. Douteux. Jacques but une gorgée de bourbon. Les visions de Zachary, sans aucun doute, n’auraient pas évolué. Faye comprendrait alors qu’elle incarnait un danger redoutable. Soit elle se calmerait et retarderait l’inévitable, soit – issue bien triste, mais sans doute préférable – elle se suiciderait, et le Grimnoir n’aurait pas à déjouer les manipulations du pouvoir.

Quand leur devin, avant sa disparition, avait annoncé la venue d’un nouvel ensorcelé, tous les avenirs possibles s’achevaient en fleuves de sang et en ciels de flammes. Zachary n’avait jamais prédit l’arrivée d’un ennemi extraterrestre et d’un éclaireur, mais, après tout, personne ne lui avait posé la question.

Laisser vivre Faye représentait un risque immense. Jacques sortit la fiole de sa poche de chemise pour examiner le liquide d’apparence anodine. La gamine était d’un naturel confiant. Il serait si simple de verser quelques gouttes dans son dîner. Elle mourrait vite et presque sans douleur.

Pourquoi me placer dans une situation si délicate, Murmure ?

Il ressentit une chaleur soudaine qui n’était pas due à l’alcool dans ses veines. Sa bague du Grimnoir brûlait d’une énergie magique. On essayait de le contacter et, vu la quantité de pouvoir à l’œuvre, son interlocuteur était doué. Sans doute un autre des sept anciens. Avaient-ils découvert la vérité ? Savaient-ils qu’il protégeait l’ensorcelée ?

Jacques remit dans sa poche la toxine mortelle avant de pêcher dans sa valise un petit miroir de poche, déjà gravé des signes appropriés. Il le posa sur le lit et dirigea dessus son pouvoir magique. En une seconde, le pouvoir activa le sortilège de communication. Le miroir se mit à luire, puis décolla pour se placer à hauteur de ses yeux et tournoya à mesure que d’autres se joignaient à la réunion. Il reconnut de vieux camarades et des chevaliers de premier plan. Certains avaient visiblement été tirés du lit. Quelques visages restaient flous, mal éclairés ; le sien apparaîtrait ainsi aux autres. Cette protection magique visait à dissimuler l’identité des anciens. Ce n’était donc pas un interrogatoire mais une cellule de crise. Il poussa un soupir de soulagement.

Enfin, le sortilège s’immobilisa face à l’homme qui en était à l’origine. Ce n’était pas un ancien, mais la trogne brutale et carrée du lourd Jake Sullivan. Celui-ci, malgré sa relative inexpérience, affichait une maîtrise de la magie qui égalait ou surpassait celle de bien des anciens. Il était dangereux, déterminé, ardent. Non content d’affirmer que le mythique ennemi annoncé par le président Okubo Tokugawa existait réellement, il avait convaincu une armée de jeunes chevaliers de se joindre à sa vaine quête.