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— Construisez ce machin très vite, et je vous promets des petits-déjeuners servis au lit par des danseuses de cabaret. »

Fuller sourit. « Comme vous le savez, l’idée de faire du mal à une forme de vie embarquée sur le vaisseau Terre me remplit d’une horreur profonde. Parmi l’équipage, des rumeurs circulent sur vos intentions, et je suis pleinement conscient des conséquences tragiques que vos actes auront sur la population de Shanghai. Il faudrait être stupide pour croire que mes suppliques en faveur d’une résolution pacifique seront écoutées ; et, après avoir vu le spécimen d’Axel Heiberg, j’ai parfaitement conscience qu’une telle résolution ne serait pas envisageable dans un laps de temps suffisant pour ne pas empêcher l’extinction de toute vie sur le vaisseau Terre… Néanmoins, tout acte de violence nous diminue.

— J’avais envisagé de vous planquer à bord de la Voyageuse.

— Naturellement ! Ce n’est pas là où je veux en venir. J’ai conscience que vous souhaitez révéler que le président est un imposteur, et, en atteignant ce but d’une façon efficace, éviter autant de mortitude que possible. »

Ça, ce n’est pas évident. Il y aurait sans doute beaucoup de mortitude. « J’essaierai.

— Je ne vais pas me contenter de créer un appareil qui vous servira de détectolocalisateur. Je compte concevoir les sortilèges nécessaires à un détectolocalisarévélateur. Les boucles deviendront visibles à l’œil nu. La vérité sera révélée à tous !

— Un révélateur d’ennemi ? Vous êtes un génie. »

Fuller rougit. « Je ne suis pas un génie. Rien qu’un immense amas d’expérience. »

Cette réponse rappela à Sullivan le profil de Dosan Saito établi par Wells… Et une nouvelle pièce du puzzle se mit en place.

Chapitre 12

Visitez Shanghai la belle, la perle de l’Orient. Savourez les mystères exotiques de l’Asie. Découvrez le luxe de la salle de bal du Paramount, assistez à un spectacle joué par les plus grandes stars dans le légendaire Opéra, choisissez des cadeaux uniques à Sincere, le merveilleux grand magasin, plongez dans le luxe de l’hôtel Cathay de sir Victor Sassoon. Jouez dans les casinos de la concession française, admirez l’architecture ultramoderne du quartier impérial. Suivez vos désirs ; Shanghai est le carrefour de la tradition et de l’avenir. Les dangers dont vous avez pu entendre parler n’existent plus et, même à l’époque, on se les exagérait. Mais vos amis l’ignorent et, à votre retour, les femmes admireront le voyageur intrépide ! Shanghai la belle a atteint une nouvelle ère de paix et de prospérité. La cité libre de Shanghai : pour une visite sereine, économique et délicieuse ! Réservez votre voyage dès aujourd’hui chez Apogée !

Publicité de magazine, 1931.

Cité libre de Shanghai

« Bonsoir, monsieur Smith », dit le policier chinois. Son anglais était correct, et son accent révélait qu’il l’avait acquis auprès d’un Britannique. Ça n’avait rien de surprenant : la ville grouillait d’Occidentaux qui, par dizaines de milliers, venaient se faire arnaquer. Plusieurs flics se tenaient à tous les check-points ; l’un parlait sûrement français et un autre allemand. Shanghai était cosmopolite. L’anglophone examina le passeport. « C’est votre première visite à Shanghai ?

— Oui », répondit Sullivan. Selon les documents officiels de la Cité libre, il était Fred Smith, riche propriétaire d’une usine d’outillage industriel à Detroit, venu s’encanailler à Shanghai l’exotique. Du moins les faux papiers disaient-ils sûrement quelque chose comme ça, mais il ne lisait pas le chinois. « Je ne suis ici que depuis deux jours.

— Oui. Je vois que vous êtes venu sur la Carpe riante, de San Francisco. » Le policier prenait son temps, se voulait rigoureux, mais les documents étaient irréprochables. Sullivan n’avait jamais vu de faux aussi convaincants, même à Detroit ou à Chicago. Cela dit, les carrés énigmatiques qui servaient d’écriture dans la région lui échappaient totalement, et il se reposait sur l’assurance du capitaine Southunder. Sullivan examina le marché, relativement paisible. Si les papiers, au bout du compte, n’étaient pas assez officiels, il lui resterait la violence ; mais assommer des flics avant d’essayer de se planquer, alors qu’il dépassait tout le monde de deux têtes, le tentait peu. « J’espère que le voyage a été agréable.

— Ah, ça oui. Toujours rêvé de faire une croisière.

— Bien sûr. » Le policier leva les papiers dans la lumière pour vérifier les filigranes. Ses trois collègues s’ennuyaient ferme. Appuyés sur leurs fusils, ils fumaient des cigarettes. « Que pensez-vous de notre ville ? »

Je pense que, si Dieu ne brûle pas Shanghai, il devra des excuses à Sodome et Gomorrhe. Mais Sullivan n’osa pas s’exprimer ouvertement et se contenta d’imiter la majorité des Occidentaux qui se retrouvaient là. « Ç’a l’air très beau. J’ai tellement entendu parler de la perle de l’Orient, et je ne suis pas du tout déçu. » Le flic hochait la tête. « Perle de l’Orient » était la formule polie. D’ordinaire, on disait plutôt « Pute de l’Orient ».

« Les casinos sont les meilleurs du monde.

— Vous avez déjà beaucoup gagné ? » demanda le policier d’un air retors.

Pourquoi ? Tu vas exiger un pot-de-vin ? Mais Sullivan secoua la tête en souriant. « Non. Je ne gagne jamais. Ma chance tournera peut-être ce soir. » Il ne pouvait pas s’éterniser. La raison pour laquelle on l’avait interpellé était évidente. L’avenue qui traversait le district abritait toutes les tentations destinées aux Occidentaux pleins aux as, mais, dans les ruelles adjacentes, il se faisait remarquer. Il constituait une anomalie, et, les anomalies, on s’y intéressait. Amérique ou terre étrangère, les policiers étaient partout les mêmes.

« Que faites-vous dans ce district ? »

Si on vous surprenait dans une situation compromettante, la meilleure façon d’avoir la paix était de confirmer les soupçons. « Je suis un peu gêné, mais je vais vous demander mon chemin. Vous voyez, j’ai entendu parler d’un établissement qui s’appelle, je crois, la Maison de la fleur d’or, mais je me suis perdu…

— Ah, bien sûr. C’est destiné à une clientèle aux goûts particuliers. » Le policier eut un sourire suffisant ; il savait depuis le début ce que ce grand yeux-ronds venait faire dans le quartier. Sullivan ne savait même pas ce qui se fricotait dans la Maison de la fleur d’or, mais, selon les maraudeurs qui lui avaient décrit la ville, il s’agissait de pratiques que les maquerelles des maisons de plaisir plus respectables n’auraient jamais tolérées. Le flic lui jeta un regard qui disait « sale pervers ».

« Je suis en vacances. »

Le flic lui rendit les faux documents. « Tournez à gauche au bout de la rue, et c’est au carrefour suivant. La maison avec les tuiles dorées.

— Merci, mon ami. Ça fait un drôle d’effet, demander à un flic où se trouve un bordel. Je n’arrive pas à me fourrer dans la tête que c’est légal, ici.

— Dans ce district, on est plus coulant. » En d’autres termes, c’était absolument illégal dans le reste de la ville, mais ici non, parce que les truands s’en mettaient plein les poches. À Shanghai, disait-on, tout était à vendre. « Bon séjour, monsieur Smith. »

Sullivan récupéra ses papiers et franchit le check-point. Se rappelant l’impression qu’il avait eue la première fois qu’il avait visité une grande ville, il adopta l’attitude convenable. Il marchait donc lentement, regardait d’un air bête tout ce qui lui paraissait bizarre ou incompréhensible. À peu près tout, au demeurant. Le district par lequel il était arrivé portait un masque occidental et, à part la foule de Chinois, aurait pu passer pour San Francisco : propre et moderne, gratte-ciel étincelants. Même les panneaux étaient en anglais ou en français. Celui-ci était un autre monde.