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— Vous vous souvenez de mon nom comme je me souviens du vôtre. » Il poussa un long soupir. « Vous êtes venu m’achever, garde de fer ?

— Je ne suis plus garde de fer. »

Toru ne portait pas d’uniforme, ce qui ne voulait rien dire. Les gardes de fer s’habillaient souvent en civil pour se mêler à leurs victimes. Toru portait ce jour-là un costume occidental, selon la mode des jeunes Japonais travaillant à Shanghai. On n’aurait jamais deviné que sous cette tenue banale se cachaient des signes magiques qui transformaient un homme en arme vivante. « Ayez pitié, garde de fer.

— Mon mandarin doit être rouillé. Ne m’appelez pas garde de fer. J’ai renoncé à ce titre. »

La peur lui serrait la gorge. « Oui. Bien sûr. »

La propriétaire, une vieille dame, vint demander si Toru désirait quelque chose. Elle aussi, Xiang le savait, était une réfugiée de la guerre au Mandchoukouo. Elle ignorait que son nouveau client était l’un des monstres qui avaient massacré sa famille. Toru commanda un thé.

Quand elle fut partie, il se mit à contempler la rue. Le silence dura plusieurs minutes sans que Xiang ose prendre la parole. Toru, perdu dans ses pensées, regardait les allées et venues. Xiang eut tout le temps d’imaginer les différentes façons dont le garde de fer pouvait l’assassiner.

« Dites-moi, Xiang, travaillez-vous toujours comme journaliste ?

— Oui. Je suis rédacteur en chef du journal du district… Est-ce cela qui vous amène ? Je n’imprime rien qui risque de déplaire à l’Imperium ! Je ne sais pas ce qu’on vous a dit, mais les censeurs ont approuvé tous les… »

Toru le fit taire en levant une main. La patronne lui servit son thé. « Merci. » Elle s’inclina et disparut. « Je ne suis pas venu vous chercher, Xiang. C’est seulement une heureuse coïncidence.

— Je ne comprends pas, garde… » Xiang baissa la tête. « Pardonnez-moi. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. »

Toru, du menton, désigna le trottoir opposé. « J’ai appris que le bâtiment anonyme, juste là, abrite une division de la Tokubetsu Koto Keisatsu. Je suis venu transmettre un message. » Xiang se tourna vers le bâtiment, qui n’avait rien de particulier. Cela dit, l’information ne le surprenait pas : la police secrète était partout. « Je ne m’attendais pas à croiser une vieille connaissance. Je n’aurais pas dû parler d’heureuse coïncidence… »

Xiang opina. Le mot « heureuse » était pour le moins déplacé.

Toru goûta le thé. « Idéale.

— Oui. En effet. » Si Toru était satisfait de sa boisson, Xiang pouvait espérer une mort rapide sans torture ni humiliation.

« C’est un signe. » Le garde de fer, car Xiang refusait de croire qu’on quittait jamais les rangs de cet ordre, se frotta le menton d’un air songeur. « Rien n’arrive par hasard. L’esprit de mon père a une fois de plus guidé mes pas. Comme je vous l’ai dit, je suis venu transmettre un message. Vous êtes journaliste.

— Je suis rédacteur en chef.

— C’est pareil. Le sort qui m’a fait venir ici vous y a placé pour une raison précise. Vous relaterez ce que vous allez voir, afin que mon message soit compris. C’est un signe envoyé par mon père. Je vais vous raconter une histoire. Assurez-vous qu’elle soit publiée. » Toru lui lança un regard plein d’espoir.

« Hein ?

— Vous devriez prendre des notes. Pour ne rien oublier. »

Zhao ne les avait pas encore fait sortir du tunnel quand la voix de Lance s’éleva. « Oh merde. Nom de Dieu. » À l’accent distrait, Sullivan comprit que l’esprit du bestial se trouvait dans un animal.

Le groupe s’immobilisa. « Qu’est-ce que tu vois ?

— Je commence par la bonne ou la mauvaise nouvelle ?

— La bonne, disons.

— Notre ami aux oreilles décollées ne nous a pas vendus. »

Zhao, pour une fois, sourit. « J’espérais bien que mon cousin tiendrait parole. »

Heinrich ricana. « Et maintenant la mauvaise, bien sûr.

— C’est un de ses sbires qui nous a vendus. Dou et ses hommes sont partis à bord d’un convoi de camions. Ils comptent notre argent et se réjouissent. Mais une serveuse est sortie de l’entrepôt pour aller voir un policier dans la rue. Je ne parle pas la langue. À ce qu’il me semble, ce n’est pas une balance, il n’y a pas de récompense. C’est une fliquesse infiltrée. Son collègue s’excite dans la radio. Si seulement je parlais chinois…

— Pas la peine. » Sullivan mit un genou à terre malgré l’humidité. Ça soulageait son dos. Il regarda Zhao, qui prenait soin de maintenir la torche dirigée vers l’avant pour ne pas éblouir ses camarades. « Ils nous attendront à la sortie. » Sullivan tira son Webley. Ils avaient passé plusieurs bifurcations. « Il y a d’autres issues ?

— Oui. Beaucoup. Dans le quartier abandonné.

— J’ai un rat qui suit la fille. Elle est retournée dans l’entrepôt avec un détachement de la police secrète. Il y a un moteur diesel…

— À quoi il sert ? demanda Heinrich.

— Dur à voir au ras du sol… Attendez, c’est une pompe à eau. Elle l’a éteinte. Maintenant, elle essaie d’actionner une vanne…

— Elle inonde les tunnels, cracha Heinrich.

— Ils ne tendent pas un filet. » Sullivan rangea le Webley. « Ils nous noient.

— Le réseau se remplit très vite, dit Zhao. On court à l’issue la plus proche. Vite. »

Les chevaliers s’élancèrent. Lance avait du mal à contrôler deux corps avec un seul cerveau ; Heinrich l’attrapa par la manche pour l’entraîner. Sullivan fermait la marche parce que sa taille l’empêchait d’aller vite. Mieux valait tout de même rester plié en deux qu’avancer à quatre pattes. Il en avait eu sa dose en France.

« La vanne est lourde. Elle doit forcer. Je vais la déconcentrer… Tiens, ma petite dame, dis bonjour à mon copain. » Lance éclata d’un rire mauvais.

« Qu’est-ce que tu as fait ? demanda Heinrich.

— J’ai envoyé mon rat sous sa jupe pour lui mordre les fesses. Ah ! » Lance fit la grimace, trébucha et rentra dans le mur. Il tomba à plat ventre avec un gémissement.

Heinrich le releva. Leur bestial s’était pris un gnon. « Ça va ?

— Ça fait mal, de se faire marcher dessus. » Lance se frottait les tempes. « Ça va… On est mal barrés. Elle a des renforts. La rouille bloquait la vanne, mais ils sont dessus.

— Encore loin, Zhao ? demanda Sullivan.

— Quelques minutes.

— Occupe-les, Lance. J’ai pas envie de me noyer.

— J’essaie… Je puise dans ma magie… Voilà, il y a bien deux cents rats dans le hangar. Impossible de les contrôler individuellement… Merde. Ils ont dégrippé la valve. Avec tant de cerveaux, je ne peux provoquer qu’une ou deux émotions fortes. » Il ferma les yeux pour se concentrer. « La rage et la faim, c’est parti. »

Sullivan ne savait pas si Lance allait vraiment déchaîner une meute de rats d’égouts géants sur les membres de la police secrète, mais il ne se sentait pas d’humeur compatissante. « Vas-y.

— C’est fait. » Lance titubait. « Trop tard. La vanne est ouverte. »

Au loin s’éleva un bruit indéfinissable qui évoquait le tonnerre. La pression de l’air changea : l’eau fonçait vers eux.

« On n’y sera pas à temps ! » cria Zhao.

Ils n’avaient qu’une poignée de secondes. « On est loin du fleuve ? » demanda Heinrich.

Le rayon de la torche pivota sur la droite. « Je ne sais pas. Six mètres ?

— Oh… C’est moche… » Lance, les dents serrées, avait la conscience partagée entre le tunnel et le hangar. « Tout ce sang… »