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Le dessin de l’ennemi était tombé sur le tapis. Jacques ne le quittait pas des yeux ; le monstre semblait vouloir sortir de l’encre pour dévorer leurs âmes. « Que comptez-vous faire ?

— Je ne sais pas encore. Me débrouiller pour gagner. »

Jacques, quoique secoué, recouvra son cran habituel. « Et moi ? En quoi puis-je vous aider ?

— Dites aux anciens que je ne suis pas morte, et empêchez-les de me glisser des bâtons dans les roues. Convainquez-les que l’attaque est imminente, partout sur Terre, et qu’il faut nous préparer. Convainquez tout le monde. Les dessins représentent des hommes qui ne sont pas vraiment humains, et ils se planquent partout sur Terre, prêts à récolter les actifs. Il faut que je rejoigne mes amis avant qu’il soit trop tard. Ils ne savent pas à quoi s’attendre contre le vieux samouraï qui a une ombre dans le cerveau. Je les ai vus sur les dessins, dans une ville avec des bâtiments bizarres et des caractères orientaux sur les affiches. »

Jacques ne l’écoutait qu’à moitié ; il se répétait qu’il avait eu tort, que la magie allait être chassée de la planète, que toute vie sur Terre allait disparaître. « Shanghai. L’expédition de Jake Sullivan est à Shanghai. »

Faye se leva pour réunir ses maigres bagages. « Le pouvoir avait une bonne raison de créer la malédiction. Les gens qu’il a d’abord choisis n’étaient pas assez bien ; moi, il faut que je rectifie tout ça, que je corrige les erreurs commises. J’ai deux ou trois trucs à régler, ensuite je file à Shanghai pour écraser le monstre une bonne fois pour toutes. » Son visage était déterminé. Elle disparut immédiatement.

Pour, une seconde fois, pousser Jacques au bord de la crise cardiaque quand elle réapparut aussitôt. « C’est où, Shanghai, au fait ? »

Chapitre 15

Si j’ai une leçon à transmettre, la voici : quelle que soit la situation dans laquelle se trouve l’aventurier – lions à l’affût dans la savane, tribus cannibales de Nouvelle-Guinée, radeau lancé vers une chute d’eau –, pour espérer survivre, il faut garder sa présence d’esprit. Il faut bien nettoyer ses armes à feu, aiguiser ses couteaux et, si on a la chance de détenir un pouvoir magique, être prêt à s’en servir. Mais aucun matériel ni aucun pouvoir magique ne remplacera jamais l’intelligence et le courage. Quand le danger menace, ne pas hésiter ; agir. Ça me rappelle un jour où j’étais en expédition au Tibet…

Lance S. Talon, Mes traversées du danger, 1923.

Cité libre de Shanghai

Ce serait la dernière fois que les commandants se rencontreraient avant l’assaut. La planque délabrée était noire de monde. Cette réunion entraînait des risques : une seule bombe japonaise suffirait à décapiter la conspiration et réduirait à néant les plans hâtivement conçus, mais elle était nécessaire. Sullivan avait une confiance aveugle en tous ses camarades, mais il ne les avait pas briefés à bord de la Voyageuse. En partie de peur que l’un d’entre eux ne tombe entre les griffes de la police secrète, et en partie parce qu’il n’avait pas encore mis tous les détails au point.

L’émeute achetée était fixée au 17, et la date approchait.

Par chance, Buckminster Fuller avait envoyé un message codé qui contenait la pièce manquante : « Ça marche. À peu près. » En dessous, des croquis et des nombres abscons. Mais Sullivan avait compris l’idée. L’appareil n’était pas parfait. Loin de là. Mais il leur assurerait un avantage.

Il avait convoqué les autres. Ils avaient mis deux jours à arriver, en évitant les patrouilles de plus en plus fréquentes et les armées de mouchards. Ça faisait du bien de les retrouver. Le Grimnoir n’avait pas encore perdu un seul chevalier. Shanghai était si grande, si agitée, si rongée par le crime que, même si l’Imperium tenait le gouvernement sous sa coupe, il ne pouvait pas tout surveiller.

Les chefs de l’expédition étaient déterminés. Une semaine passée dans les taudis de Shanghai n’avait pas refroidi leur enthousiasme. Barns représentait la Voyageuse. Sullivan avait espéré ne pas mêler le vaisseau à la tentative d’assassinat, mais ce ne serait pas possible vu le mode de fonctionnement de l’appareil conçu par Fuller. L’idée était dingue, mais Barns jurait ses grands dieux que les maraudeurs s’en sortiraient.

Ils avaient déjà réglé les points fondamentaux : répartition des rôles et des responsabilités en fonction des compétences, choix des itinéraires de repli. Pour révéler la mystification opérée par le faux président, le Grimnoir devrait réaliser son plan sans un seul accroc ; il fallait donc passer en revue toutes les éventualités avec le plus grand soin.

Lance poussa un sifflement. « Tu plaisantes. Combien de gardes de fer ?

— Non, c’est bien ça, insista Zhao. Pour une cérémonie pareille, il y en aura au moins quarante, et peut-être une centaine. La dernière fois, notre espion en a compté soixante, et il soupçonne que d’autres, vêtus en soldats ou en fonctionnaires, étaient disséminés dans l’assistance.

— Ce n’étaient pas des gardes de fer, corrigea Toru. Mes anciens frères porteraient fièrement leur uniforme. Se déguiser serait une honte et un déshonneur. En revanche, la garde fantôme… Elle a dû envoyer au moins une escouade d’estompeurs et de voyageurs, probablement incognito. »

Cinq mille soldats de l’Imperium étaient en poste autour de la « cité libre » de Shanghai, mais Sullivan ne s’inquiétait que de ceux qui assisteraient à la cérémonie. Si les Verts de Dou-les-Grandes-Oreilles faisaient leur boulot, les forces de police et les militaires seraient en majorité trop occupés pour intervenir. Vingt mille criminels qui se soulevaient, même à Shanghai, ça faisait du raffut. « Et combien de détachements de l’armée régulière seront postés dans l’enceinte du domaine ? demanda-t-il. Pas besoin d’être un gorille bardé de pouvoirs magiques pour nous loger une balle dans la tête. Alors ?

— Il y a cinq pelotons de salopards… » Zhao s’interrompit avec un regard pour Toru. Heureusement, celui-ci n’écoutait pas ; à moins que, résolu à devenir plus diplomate, il n’ait décidé de ne pas prendre la mouche. « Cinq pelotons de soldats de l’Imperium ont été retirés du front pour accompagner le président. En général, il y en a deux autres en garnison dans la section impériale de la Cité nouvelle. »

Sullivan, lentement, fit le tour de l’immense carte de Shanghai. Ils l’avaient volée dans les bureaux de la banque britannique. Il avait fallu rassembler toutes les tables disponibles pour l’étaler. Il examinait les piécettes, les capsules de bouteille, les mégots de cigarette, les cartes de baseball et les deux soldats de plomb qui représentaient ses forces, puis les cubes de bois de l’Imperium. Lui-même était un caillou, planté au milieu de la section impériale, sous le nez du président. Puisque leur force aérienne allait s’exposer, autant en profiter au mieux. Sullivan allait opérer une descente rapide.

« C’est gros comment, un peloton impérial, Toru ? demanda Lance.

— Ça dépend de la mission et du statut opérationnel. Un peloton armé au complet, c’est au maximum soixante-quatre hommes.

— Les Japs ont des unités plus grosses que l’AEF. Ça fait… quatre cent quarante-huit soldats.