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— Je ne savais pas que les bestiaux connaissaient leurs tables de multiplication, déclara Toru. N’oubliez pas : ces troupes arrivent du front et ont été choisies pour leurs prouesses martiales. Beaucoup de leurs soldats ont été appelés pour recevoir des décorations. Servir d’escorte au cours d’une visite du président constitue un immense honneur. Ce seront tous des guerriers expérimentés.

— Parfait, s’écria Lance. Si des villages de Chinois sans défense expriment un soudain besoin de mourir dans d’atroces souffrances, ils sauront s’y prendre. » Beaucoup de chevaliers éclatèrent de rire, et la tension retomba d’un cran.

Toru fronça les sourcils sans répondre. Tant mieux : Lady Origami se tenait dans un angle, prête à inventer une excuse pour embraser le Japonais. « Il y a d’autres complications. Autrefois, il y avait deux gakutensoku dans le palais. Ils risquent d’y être encore.

— Des hommes mécaniques ? » demanda Diamond. Son équipe en avait affronté à Mason Island.

« Similaires à vos… robots, mais supérieurs à presque tous égards. Vitesse, résistance, initiative…

— Tu m’avais dit que leurs flingues étaient plus petits, rappela Sullivan.

— Ce n’est pas la taille qui compte. » Plusieurs Américains rirent sous cape sans que Toru ne se l’explique.

« Ils poseront sans doute problème si on arrive à entrer, mais, avant ça, j’observe des difficultés pour l’approche. » Diamond dirigeait l’une des trois troupes d’assaut. Il était bougeur et n’eut pas besoin de s’approcher de la table pour déplacer la carte de baseball qui représentait ses hommes. Elle était à l’effigie du grand Babe Ruth, qui décolla doucement pour descendre la ligne bleue du Whampoa. « Ce pont-ci est à découvert. Comment sommes-nous censés franchir le poste de garde sans être repérés ?

— Aucune chance, répondit Sullivan. Attendez que je passe à l’action, puis foncez et passez en force, en espérant que je vous donne une minute de battement. »

Diamond laissa retomber le rectangle de carton. « Tu te feras sans doute tuer pendant cette minute.

— Bah, j’en ai pas l’intention. » Sullivan se pencha pour tapoter la carte. « L’important, c’est que les deux voies permettant de sortir du quartier soient coupées. On ne peut pas laisser l’imposteur s’enfuir. »

On se gratta poliment la gorge. Sullivan leva les yeux : le docteur Wells, tout maigrelet, se frayait un chemin entre les robustes chevaliers avec une facilité qui révélait l’usage d’une touche de magie. « L’imposteur ne cherchera pas à s’enfuir. Pour lui, il sera vital de se conduire comme le vrai président pendant cette attaque. Sinon il attirerait les soupçons.

— Le président ne fuirait jamais, confirma Toru. Jamais. Dans ses mémoires, il explique que la retraite n’est acceptable que face à un ennemi supérieur et dans le but de préserver ses forces pour une contre-attaque. Fuir impliquerait qu’il n’est pas le plus fort. C’est inconcevable.

— Faye ne serait pas d’accord. » Leur bestial cherchait les ennuis ; mais sans doute avait-il la tête ailleurs : il faisait voleter un oiseau dans le quartier, en guise de sentinelle.

« De toute façon, il n’est pas le vrai président, rappela Heinrich. L’attitude présumée de Tokugawa n’a aucune pertinence.

— Bien au contraire. » Wells eut son sourire de prédateur brisé. « Il n’est pas le président, donc il se sent en position de faiblesse et doit à tout prix agir comme il sent qu’il le devrait. Toru, vous l’avez vu, a déclaré sans l’ombre d’un doute que le président ne fuirait pas. Tous les gardes de fer partageront ce sentiment. Le président, s’il était vraiment lui-même, serait bien plus libre de ses décisions que Dosan Saito. Il est prisonnier de son propre mensonge. Non, il n’ira nulle part. »

Ian Wright n’était pas convaincu. « À condition qu’il ne soit pas le vrai président, qui, lui, peut voyager pour disparaître quand ça lui chante.

— Voyager ? intervint Lance. C’est le cadet de nos soucis. S’il n’est pas un usurpateur, espérons qu’il décampe. Sinon, on est tous morts.

— Bien vu… En tout cas, il sait que nous sommes à Shanghai. Du moins, il sait que notre garde de fer est…

— Je ne suis pas votre garde de fer, gronda Toru.

— Peut-être, mais il sait que vous êtes ici : vous avez passé la semaine à zigouiller en pleine rue des agents de la police secrète ! À cause de votre petite vendetta personnelle, ce sera l’alerte rouge.

— C’est vrai, dit Zhao. La Tokubetsu Koto Keisatsu a intensifié sa campagne contre nous. Elle offre une forte récompense en échange de tout renseignement. Il a été très compliqué d’organiser cette réunion. Elle a des yeux partout. »

Ian tendit vers Toru un doigt accusateur « Vous n’avez même pas cherché à dissimuler votre identité.

— L’idée vient de moi, déclara fièrement Wells.

— Pardon ? »

Sullivan intervint avant que les chevaliers ne s’échauffent trop. « Toru est célèbre dans l’Imperium. Nous en tirons avantage.

— Le simple fait que je sois encore vivant est une insulte pour l’Imperium, énonça Toru d’une voix plate. S’incliner, pour l’État, serait un déshonneur. Ma présence oblige l’imposteur à maintenir sa visite afin de ne pas perdre la face.

— Absolument, fit Wells. S’il ne s’agissait que du Grimnoir, Saito pourrait s’inventer une excuse pour ne pas mettre les pieds en ville. Il laisserait ses séides nous régler notre compte. Toru, en revanche, est une provocation impossible à ignorer. Saito doit réagir, il n’a pas le choix. Personne ne s’étonnerait qu’il change d’avis, non, mais il est rongé par le doute ; il n’osera pas se montrer raisonnable. Il courra le risque de venir à Shanghai et respectera son programme parce que Toru s’y trouve. »

Les chevaliers réfléchissaient. Sullivan voyait les rouages tourner sous les crânes. C’étaient des malins. « Ça nous rend plus visibles et plus vulnérables. Il va essayer de nous éliminer avant la cérémonie, mais nous n’avons pas d’autre moyen de nous assurer qu’il se pointera. Il ne peut pas reculer. »

Des murmures s’élevèrent, mais la perspective, globalement, plaisait. Un assaut frontal contre des soldats d’élite supérieurs en nombre n’était pas une si mauvaise idée. Sullivan, à présent, n’avait plus qu’à exposer la partie insensée de son plan.

La réunion terminée, la majorité des chevaliers étaient retournés dans leur cachette pour préparer leurs hommes, et quelques-uns s’étaient trouvé un coin pour dormir dans les décombres. Toru reprit sa besogne sainte. Agenouillé parmi les pièces d’armure dans une chambre au papier peint en lambeaux, couverte de taches d’humidité, il s’efforçait d’accomplir l’impossible.

Le moment suprême approchait. Il mourrait sans doute en observant les dernières volontés de son père, mais il acceptait ce destin. Il l’appelait même de ses vœux. La découverte de l’armure de Nishimura était une bénédiction, un signe indéniable que son père veillait sur la mission et lui fournissait les outils nécessaires au succès.

Le travail manuel lui offrait une distraction bienvenue. Depuis sa conversation avec Xiang, le journaliste, il se sentait mal à l’aise. Il avait évoqué des souvenirs qu’il avait cru oubliés. Toru n’aimait pas gratter les vieilles cicatrices.

L’armure était en meilleur état que prévu. Elle était montée au combat, certainement même au front. Vu les bosselures laissées par les énormes balles à basse vélocité et les traces de griffes d’ours, elle venait de Sibérie. Les Cosaques étaient des adversaires valeureux mais bien inférieurs à ceux que Toru allait bientôt affronter. Nishimura, le génial engrenage, avait-il jamais imaginé qu’une de ses œuvres d’art serait retournée contre l’Imperium ? Toru ignorait la réponse. Il se remit à tester chaque kanji.