Выбрать главу

Le terrifiant personnage hocha la tête. On l’avait présenté sous le nom de Hayate, un guerrier d’expérience couvert de décorations ; sa réputation le précédait. Son escouade allait s’occuper de Toru.

« Contactez les autres unités. Convoquez tous les hommes pour cerner les lieux. Respectez une marge de sécurité d’un pâté de maisons. Surtout ne vous faites pas repérer. Si quelqu’un sort, prenez-le en filature. Si possible, utilisez des esprits désincarnés. Je préfère en laisser échapper un qu’être repéré par la majorité. » Il consulta sa montre. Les instants paisibles qui précédaient l’aube étaient les meilleurs pour lancer un raid. « Nous frappons dans une heure. Nous attaquerons toutes les planques en même temps. Procédures habituelles. Tuez tous ceux qui vous résistent. Si possible, faites des prisonniers pour qu’on les interroge. »

Le message fut transmis. L’opération était lancée.

Pang se remit à bavoter en mandarin. Il réclamait le prix du sang. Matsuoka comprenait à peu près mais ne s’abaisserait pas à adresser la parole à un informateur. Il claqua des doigts ; deux soldats posèrent un coffre en bois devant Pang, qui, avide, s’agenouilla pour l’ouvrir. Les lingots d’or étaient nichés dans de la paille. Un grand sourire fendit la trogne du Chinois.

« Quel dommage, dit le garde fantôme. Ils sont en général très loyaux. C’est fort rare, un chevalier du Grimnoir qui renie son serment.

— Exact.

— Presque aussi rare que pour un guerrier de l’Imperium. Mais pas exactement sans précédent, j’en ai bien peur… Oh, Toru, quelle bêtise… Quelle honte tu attires sur toi ! Saviez-vous que je l’ai connu, major Matsuoka ?

— Non, garde fantôme, je l’ignorais.

— Nous avons servi ensemble au Mandchoukouo, et de nouveau pendant l’insurrection thaïe. Malgré son manque de discernement, c’est un combattant des plus remarquables. Il mérite de tomber sous les coups d’un égal. Est-ce bien compris ?

— Oui, garde fantôme. » Le major ne comptait pas faire de l’ombre à Hayate. Lui-même était policier ; le garde fantôme était un tueur légendaire, un assassin sans pitié qui œuvrait dans le noir, comme jailli d’un cauchemar, et ne laissait aucune trace de son passage. À part les cadavres. Matsuoka n’était pas un imbécile. « Mes troupes ne sont là que pour vous assister.

— Le Grimnoir et nous sommes différents… mais nous nous ressemblons par certains côtés. Les chevaliers aussi prêtent serment. Je les ai combattus partout sur la planète. Ils sont obstinés, courageux et peu enclins à se rendre. Ils sont les seuls que j’aime affronter. Je suis reconnaissant du défi qu’ils représentent. » Le garde fantôme glissa la main dans son ample chemise en se tournant vers Pang. « Et cet homme me déçoit beaucoup. » Il disparut.

Matsuoka fit volte-face en entendant un gargouillis. Hayate s’était matérialisé près de Pang. La poignée d’une dague dépassait sous sa mâchoire, et des flots de sang sortaient de la blessure évidemment fatale. Pang, stupéfait, ne cria pas, mais il prouva qu’il était malgré tout combatif. Puisant dans sa magie de brute, il lança son poing vers Hayate, qui voyagea pour l’éviter, revint dans le dos de sa victime et, d’un coup de pied aux fesses, l’envoya par-dessus le garde-corps, où elle se tortilla dans les eaux noires avant de couler.

« Économisez votre or. » Hayate referma soigneusement le coffre puis revint auprès de Matsuoka. « C’est le Grimnoir que nous allons affronter ; attendez-vous à des pertes. Répartissez l’or entre les familles des hommes qui périront. »

Matsuoka s’inclina. « C’est très généreux, garde fantôme. »

Hayate le dévisagea de ses yeux gris aux paupières tombantes. Ses prunelles luisaient dans le noir. « C’est que je suis un homme très généreux. »

Ils disposaient de quelques barques amarrées dans le rez-de-chaussée inondé. Les trous qui remplaçaient les fenêtres permettaient d’accéder à ce petit port secret. La créativité des chevaliers chinois impressionnait Sullivan.

C’était Zhao qui pilotait. Lui seul était visible, à l’arrière de la barque à moteur. Lady Origami, Barns et Sullivan se planquaient sous la bâche tendue qui formait une sorte de tente-cabine. Lady Origami était la plus proche de l’ouverture : si quelqu’un les accostait, autant qu’il découvre un visage japonais.

Leur barque disparaissait presque dans les ombres des énormes cargos. À cette vitesse-là, il leur faudrait une journée entière pour regagner la Voyageuse. Pas une partie de plaisir, entassés sous la bâche, surtout depuis que Barns s’était enfoncé un chapeau jusqu’aux yeux pour piquer un roupillon. D’ici quelques minutes, il se mettrait à parler dans son sommeil. Sullivan le savait pour avoir partagé la cabine du pilote. À bord de ce rafiot, ce serait encore plus agaçant.

« Je serai contente de regagner le dirigeable, dit Lady Origami. Je préfère être dans les airs.

— Pas moi. J’aime avoir les pieds sur terre.

— Vous êtes un lourd. » Elle sourit. « Pas étonnant que vous aimiez le sol. Moi, je suis une torche. Je suis de flammes et je vis dans le ciel. Mais, là, nous sommes sur l’eau. Comment tenir ? » Elle lui lança un clin d’œil et rit doucement quand il le lui rendit.

Recommençait-elle à flirter ? Il n’en avait pas l’habitude. Quelle drôle…

Une secousse. Zhao avait donné du pied sur le pont pour attirer leur attention. « Silence. »

Lady Origami colla l’oreille à la bâche et Sullivan l’imita. Un bruit naissait sur le fleuve. Des moteurs. Et des gros.

« Des patrouilles, souffla Zhao. En nombre. »

Le Grimnoir avait placé des sentinelles. Elles ne suffisaient pas.

Hayate apparut derrière la sentinelle. Un jeune autochtone. Jeune. Fort. Entraîné. Un corps de fermier ou d’ouvrier. En bandoulière, un fusil Mauser dont il n’aurait pas l’occasion de se servir. Hayate frappa si vite qu’aucune réaction n’était possible. Une main sur la bouche, l’autre pour enfoncer une lame dans la colonne vertébrale et la tourner en sectionnant les nerfs. La mort quasi instantanée. Hayate ne comptait plus le nombre de fois où il avait effectué cette manœuvre.

Le garde fantôme allongea le cadavre. Il avait agi à l’instant où la sentinelle traversait la zone la plus obscure. Examinant les toits environnants, il devina des mouvements chaque fois que ses hommes éliminaient d’autres guetteurs. Il fronça les sourcils. Il lui faudrait réprimander ses subalternes pour leur faiblesse technique. Certes, ses yeux gris lui donnaient un avantage dans l’obscurité, mais, s’ils avaient été vraiment rapides, même un voyageur n’aurait rien distingué. Il s’agissait d’un échec inacceptable pendant une mission capitale. Les réprimandes, au sein de la garde fantôme, se révélaient généralement très douloureuses.

La torture par l’eau, c’était formateur.

Hayate tira son épée courte et attendit. C’était l’arme préférée des gardes fantômes : assez petite pour les combats rapprochés, assez tranchante pour amputer un membre. Pas faite pour se battre mais pour tuer. Se battre, c’était bon pour les gardes de fer. Le domaine des fantômes, c’était la victoire.

La dernière sentinelle se découpa un instant sur les lumières de Shanghai, disparut derrière un coin de mur et ne réapparut jamais. Il n’y avait pas eu de bruit, aucun signe d’affrontement. Hayate sourit. Du beau travail.

À présent que les vigies étaient éliminées commençait l’étape difficile. Il faudrait prendre le temps nécessaire pour trouver les sortilèges d’alerte. C’était une spécialité du Grimnoir. Ensuite, la garde fantôme pénétrerait dans l’appartement pour semer la mort. Le jeu serait de compter les victimes abattues avant que quelqu’un réussisse à donner l’alarme.