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Le soldat se battait, résistait, terrifié, dans l’espoir vain de récupérer son corps.

« Tu le veux ? » demanda Lance en lâchant l’arme fumante. Il contraignit son prisonnier à tirer l’épée. En quoi consistait le suicide rituel qui avait cours dans l’Imperium ? En travers du ventre, et les entrailles se répandaient ? Ça doit faire mal. Le bras tremblait, mais il n’en avait pas fini. L’épée s’enfonça dans l’abdomen ; Lance força sa victime à pousser de toutes ses forces. La lame parfaitement aiguisée ne rencontra aucune résistance. Lance eut mal, exactement comme s’il s’était agi de sa propre chair, et se réjouit de la douleur inconcevable. La lame ressortit de l’autre côté. Les tripes du ninja dégringolèrent. « Je te le rends. »

Le garde fantôme s’effondra.

Lance libéra l’esprit volé et recouvra sa conscience propre.

Il se sentait vide et glacé. Il n’avait plus de magie. Il l’avait épuisée à jamais.

Lance Talon, au cœur d’un immeuble en flammes, entouré par des cadavres de gardes fantômes, ferma les yeux pour rêver de sa famille, qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps.

Les vedettes de patrouille filaient vers le petit bateau chinois. Un adolescent, debout à la poupe, levait les mains en signe de reddition. Aveuglé par les projecteurs, il n’allait pas chercher à résister. La première vedette se mit à couple. Les soldats s’apprêtaient à passer à bord pour commencer la perquisition.

« Vous êtes en état d’arrestation, annonça le major Matsuoka dans son porte-voix. Nous sommes prêts à tirer si vous résistez. » Le gamin, effaré, baissait la tête. Matsuoka n’était pas sûr que son bateau soit sorti de l’immeuble qui l’intéressait, mais c’était possible. On allait l’arrêter pour le soumettre à la torture. Sa jeunesse ne l’empêchait pas d’appartenir à la résistance terroriste, et, s’il n’était qu’un passant innocent, ce ne serait pas grave : il était chinois, et aucun Chinois n’était complètement innocent.

Son pilote s’arrêta de l’autre côté de la barque, à présent immobile entre deux vedettes beaucoup plus grosses. Une troisième les couvrait, chacune munie de plusieurs fusils de précision, de mitraillettes et même d’une mitrailleuse lourde. Toutes les armes étaient braquées vers la cible. Résister aurait été insensé, mais Matsuoka savait d’expérience que cela n’arrêtait jamais les criminels déterminés à tenter leur chance. Surtout quand c’était ça ou la mort. Il tira son pistolet. « Soyez prudents », dit-il à ses hommes qui s’apprêtaient à monter à bord.

Des gouttes d’eau s’élevèrent du fleuve. Comme de la pluie… à l’envers.

Plus rien n’allait de soi.

Ça se produisit trop vite pour qu’on puisse réagir. C’était aberrant, incompréhensible, et le major mit plusieurs secondes à formuler ce qui avait changé. La gravité. Le haut était devenu le bas, et vice-versa. Ces secondes-là, il les passa en vol plané.

Certains soldats eurent la présence d’esprit d’ouvrir le feu, mais les bateaux tanguaient si violemment qu’on ne pouvait pas viser. Quelqu’un, en bas… en haut… poussa un juron en recevant une balle perdue.

Puis tout retomba.

Matsuoka se brisa une côte en heurtant la rambarde d’acier. La vedette frissonna et envoya des torrents d’eau dans toutes les directions. Beaucoup d’hommes passèrent par-dessus bord, et quelques malchanceux heurtèrent les coques métalliques. Son Nambu lui échappa des mains. Les projecteurs dansaient follement.

Un hurlement : des flammes dévoraient l’un de ses policiers, qui se débattait, frappait ses vêtements, ne réussissant qu’à aggraver la situation. Il finit par plonger. Le major se retourna pour crier un ordre à l’opérateur radio, mais celui-ci était devenu blanc, non, bleu, et essayait en vain de décoller ses mains de ses instruments métalliques.

Sur le petit bateau, la bâche vola de côté et un jeune Occidental brandit un pistolet-mitrailleur dont il vida le chargeur. Les hommes tombaient comme des pantins désarticulés. L’instant d’après, la vedette tout entière prit feu.

La douleur qui lui transperça la cage thoracique quand il se leva arracha une grimace à Matsuoka. Tous les bateaux ayant valsé dans la plus grande anarchie, celui qui était censé les couvrir ne tenait plus l’ennemi dans sa ligne de mire. Matsuoka agita les mains pour attirer l’attention de l’unité concernée. Il fallait les canarder immédiatement.

Il entendit un bruit sourd tout près de lui. Il se tourna et leva les yeux. Les leva encore. Un homme très grand venait d’apparaître pour lui coller sous le nez un petit revolver britannique. Une main énorme le saisit au collet et le souleva. « Tu parles anglais ? »

Matsuoka ne répondit pas. La vedette de soutien redémarra son moteur. Elle venait voir ce qui se passait.

« Bouge pas », dit le géant avant de le frapper brutalement du poing qui tenait l’arme.

Matsuoka s’écrasa sur le pont, étourdi, et le géant bondit vers la proue, saisit les poignées de la mitrailleuse lourde et pivota vers la vedette en approche. Le canon rugit. Une ligne de balles traçantes orange zigzagua dans le noir. La vedette voulut répliquer, mais le géant était méthodique, il visait posément les éclairs lumineux jusqu’à ce qu’ils s’éteignent, dans un sens, puis dans l’autre. Il continuait. Sans cesse. Il détruisait l’embarcation pour s’assurer qu’elle ne représentait plus aucune menace. Quand le réservoir prit feu, le géant s’arrêta enfin.

Matsuoka secoua la tête pour recouvrer ses esprits, remarqua un Arisaka abandonné et se mit à ramper pour le récupérer, mais le géant vint lui écraser la main de sa botte. « Pas si vite. » Il leva son revolver et tira une seule balle. Le pilote, qui semblait gelé sur place, tomba à la renverse, un trou en plein milieu du front. Le géant se baissa, ramassa une corde et en jeta une extrémité au petit bateau. « Barns, attrape ça. On prend cette vedette.

— Vous ne vous en tirerez pas, cracha Matsuoka.

— Mais si. » Le géant braqua son arme droit sur lui. « Et, donc, tu parles anglais. Tu vas commencer par m’expliquer ce qui se passe. »

Ils n’avaient pas l’air de deux frères. C’était normal, puisque le président avait partagé l’intimité d’innombrables concubines au fil des décennies. À en croire la rumeur, certains des mille frères n’étaient même pas de mère japonaise, mais Toru n’avait jamais rencontré de métis. Hayate était aussi petit et menu que lui-même grand et large. Il avait vingt ans de plus, et chaque jour de ces années avait été consacré à l’entraînement, à l’enseignement, au combat et, plus généralement, à servir l’Imperium. Il était premier garde fantôme, honoré entre tous au sein d’un ordre mystérieux.

L’affronter était un grand honneur…

Mais la mission paternelle passait avant tout. Rien d’autre ne comptait.

« Écoute-moi, Hayate. L’homme que tu sers n’est pas notre père. C’est un imposteur. C’est maître Dosan Saito qui se fait passer pour lui. Il est de mèche avec l’ennemi. »

Hayate sourit. « On raconte que tout le sang versé pendant l’occupation t’a fait perdre l’esprit… Je vois que c’est exact. Épargne-moi tes délires, Toru. Je les connais. L’histoire que tu as racontée au journaliste a bien sûr fini sur le bureau des renseignements militaires. Je l’ai lue. Elle m’a empli d’une immense tristesse. Tomber si bas, malgré un tel potentiel… Tu es complètement fou.